André Arthur : Le complot
Société

André Arthur : Le complot

Retiré des ondes pour bris de contrat, ANDRÉ ARTHUR se croit plutôt victime d’un complot orchestré par les nombreux ennemis qu’il s’est faits au fil des ans et dont les ramifications s’étendent jusqu’à Ottawa, de la Chambre des communes aux bureaux du CRTC. Étonnant? Chômeur affligé, il nie aussi les rumeurs persistantes qui l’envoient très bientôt sur les ondes d’une autre station.

Sans tribune, vous êtes toujours confiné au circuit des autobus ces jours-ci?

"Oui, je pars pour la Floride demain matin. C’est un hobby qui me plaît, mais si on me disait que c’est tout ce qu’il me restera comme travail jusqu’à la fin de mes jours, je ne suis pas sûr que je la trouverais drôle…"

Vous niez catégoriquement que votre renvoi soit dû au bris de contrat invoqué par votre employeur, mais plutôt à une machination entre Cogeco et le CRTC. Vraiment?
"Ce qui est intéressant là-dedans, c’est un paradoxe qui est vraiment spécial. On est habitués de penser que plus une compagnie est grosse, plus elle est forte, puissante, plus elle peut déterminer ses objectifs, trouver les moyens de les réaliser et aller de l’avant, sauf en communications au Canada. Plus une compagnie canadienne de communications est grosse, plus elle est faible. Plus elle est petite, plus elle peut résister aux pressions politiques qui sont faites sur le milieu. J’aurais dû m’en apercevoir avant. Prenons l’exemple de Cogeco. Cogeco, c’est le câble, la télévision, la radio, la téléphonie éventuellement et ce sont toutes des entreprises régies par le gouvernement canadien. Donc ils se présentent devant le CRTC toutes les semaines avec des nouvelles demandes, qui peuvent déterminer leur rentabilité. Par conséquent, ils sont toujours en contact avec les gens qui veulent les influencer, donc les politiciens fédéraux. À la minute où le CRTC est insatisfait de quelque chose, dès qu’un politicien se plaint d’un animateur, ça devient une pression terrible sur Cogeco. Par ailleurs, s’ils cèdent à ces pressions-là, ils sont vite récompensés. Si Cogeco veut acheter Quatre-Saisons – une transaction de 75 millions de dollars – avec Bell Canada, ça lui prend la permission du gouvernement canadien. Pour obtenir ça, pour avoir de bonnes relations avec le gouvernement, on n’hésitera pas à laisser partir un animateur qui est rentable, on va perdre le 3 millions qu’il rapportait à la station FM 93 et on va gagner une transaction de 75 millions."

André Arthur, victime de la convergence des médias?
"C’est la faiblesse de la business devant les politiciens. On laisse grossir les entreprises et on craint leur grosseur, mais on ne craint pas leurs faiblesses. Moi, ce que je te dis, c’est que plus ils sont gros, plus ils sont faibles."

"Si on suit la chronologie: CJMF met Arthur à la porte à la suite de pressions; une semaine plus tard, le CRTC autorise, sans condition, l’achat de TQS par Bell Canada et Cogeco. Wow! Tu parles d’un cadeau, c’est pas arrivé souvent des autorisations sans condition. Quelques jours plus tard, Cogeco annonce son intention d’ouvrir six nouvelles stations au Québec au cours des prochaines années… Une compagnie cotée en bourse ne peut pas faire des annonces de cette nature sans avoir la certitude que ça va marcher."

"J’ai été visé par des politiciens qui se sont servis de la faiblesse de Cogeco pour se débarrasser d’un emmerdeur. La preuve de ça, c’est qu’une autre corporation de diffusion qui veut m’embaucher est actuellement soumise à des menaces. Les gens se font dire: "Vous êtes dans la radio, la télévision, vous voulez engager André Arthur? Attention, on va vous avoir dans le détour.""

"Un canal spécialisé à la télévision, sur le service de base, ça rapporte des millions de dollars par année puisque les gens sont obligés de le payer. Mais si le CRTC, bien arbitrairement, les enlève du service de base pour les mettre sur le service optionnel, ils viennent de perdre des dizaines de millions de dollars dans une décision qui n’a même pas besoin d’être justifiée, qui peut être prise totalement arbitrairement par le CRTC. Ils n’ont aucun moyen de résister au CRTC. La rentabilité d’une station de radio qui peut représenter 2 ou 3 millions de profits par année ne sera jamais de taille par rapport à la perte d’un canal spécialisé qui peut représenter 40 millions par année en pertes."

Votre sortie contre Robert Gillet n’a donc rien à voir, selon vous, avec votre renvoi?
"Si ça n’avait pas été ça, ç’aurait été autre chose. Le seul avantage, ça a été de donner à Cogeco la capacité de me congédier sans compensation. Ils m’auraient congédié quand même. Je n’aurais pas résisté à la nécessité pour Cogeco d’acheter TQS et d’ouvrir de nouvelles stations."

Bien étrangement, c’est Andrée Boucher qui prendra la place. Qu’en pensez-vous?
"Si Andrée Boucher avait du talent et que je savais qu’elle donnerait aux auditeurs une émission amusante, intéressante, fascinante, je n’aurais pas un mot à dire. Être remplacé par meilleur que soi, c’est être condamné au silence. Être remplacé par quelqu’un totalement dénué de talent, c’est un peu insultant et je sais que la station va perdre 2 millions. Mais pour eux, ça n’a pas d’importance, elle va faire son temps, et comme elle a de bons contacts avec le Parti libéral, ça va améliorer les relations de Cogeco avec le CRTC."

C’est donc un complot, selon vous, une histoire de trafic d’influence?
"Pas juste selon moi! J’ai un président de réseau de radio et de télévision au Québec qui, devant témoin, m’a dit qu’il est soumis à des pressions menaçantes venant de représentants du CRTC. Il me l’a dit!"

Alors seriez-vous prêt à baisser le ton, à être moins véhément sur les ondes pour reprendre le micro?
"Si les politiciens ont bien démontré leur pouvoir, je vais être obligé d’en prendre note si jamais je retrouve un micro et j’ai déjà commencé à en prendre note avec le petit micro que j’ai à Montréal le matin. Je suis bien décidé à vivre avec les exigences du régime canadien de censure et je vais laisser les autres aller au bat pendant un bout de temps."

On ne pensait jamais vous entendre dire cela…
"Moi non plus! Mais mes enfants ont pris une vilaine habitude après leur naissance: ils ont commencé à manger. J’ai 57 ans, je n’étais pas prêt à prendre ma retraite, je ne suis pas indépendant de fortune, j’ai besoin de travailler. On m’a enlevé mon gagne-pain parce que j’ai déplu à des gens puissants. […] Mon avocat me l’a dit: "Tes ennemis sont trop puissants.""