Il y a deux semaines, l’Amérique s’est passionnée pour la solution d’une énigme très médiatisée.
Comme au temps du télégraphe, caché derrière un rideau blanc, un objet inconnu narguait depuis presque un mois les téléspectateurs des réseaux de télévision invités à deviner sa forme et son usage. Un seul indice: la chose mystérieuse devait rénover une des formes quotidiennes de l’activité humaine. Superordinateur? Brosse à dents intelligente? Implants sonores stéréophoniques? On se perdait en conjectures. Et dans la morosité ambiante de ces temps de pseudo-guerre, entre deux méga-bombes balancées là-bas sur quelques crève-la-faim d’intégristes, c’était plutôt distrayant… cette devinette.
Le rideau est finalement tombé sur un étrange petit véhicule individuel à deux roues ressemblant plus à une de ces anciennes tondeuses à gazon manuelles qu’à une trottinette.
Nanti d’un moteur électrique et d’un centre de gravité à toute épreuve, It, comme on l’a surnommé, semblait déjà le nouveau véhicule idéal pour se déplacer en ville, du moins sous des climats tempérés.
Mais le consommateur a vite déchanté devant le défilé de spécialistes qui l’un après l’autre ont relevé les défauts du prototype: autonomie insuffisante, poids trop élevé, prix d’achat excessif… le carrosse s’est changé en un citron imprévisible dont la réputation ne survivra probablement pas au jour de l’An.
Déception.
Allons bon, tout de même, me suis-je dit, en ce temps de bilan annuel, après cette année difficile tant pour la démocratie que pour le moral, n’y aurait-il pas quelque part quelque avancée du génie humain et de la science qui permettrait à l’humanité de garder espoir en son implacable progression vers la perfection?
Mes voeux furent entendus. La science s’est mise au travail. Et c’est ainsi que cette fin d’année vit peu à peu apparaître in extremis quelques-unes de ces inventions qui, telles l’imprimerie et l’électricité, vont désormais transformer nos vies.
En novembre, le prix Nobel de l’ingénierie échappa de peu au Turbo Rotato, une merveille technologique issue directement des années 70, qui permet d’éplucher à toute vitesse les plus croches des patates transgéniques. L’invention fut talonnée de près par le découpeur de cadre de fenêtre, un appareil sophistiqué destiné à tous ces peintres du dimanche qui en arrachent entre la plinthe et la moulure. À 24,99 $ plus frais de port et de manutention, cette bonne affaire est fournie avec deux rouleaux de gros tape beige…
Après des mois d’expérimentation, l’amaigrisseur électrique qui administre aux muscles du ventre des décharges électriques ainsi que le gril de Georges Foreman, une rôtisserie portative qui élimine le gras de la cuisson, furent offerts aux gens soucieux de leur ligne, tandis que le hot Digeddy Dogger, un pratique moule à roteux en plastique blanc, justifiait l’usage thérapeutique du miraculeux Saran Wrap diététique de Louise-Josée Mondoux (toujours disponible à la boutique TVA). La science pure fit aussi en ce début de millénaire une extraordinaire avancée en matière de prévention avec l’avènement du marteau distributeur de clous aimantés.
Tout cela est bien beau, mais j’ai peur que, distraite par les conséquences du 11 septembre, notre société fébrile n’ait pas su jusqu’à maintenant reconnaître à sa juste valeur l’incidence discrète d’une invention qui risque de changer à tout jamais la digestion des masses et la politique étrangère de l’Amérique au Moyen-Orient.
Réparons cette injustice.
Finie l’époque où il fallait tailler carottes et brocolis en longueur pour tartiner convenablement ces crudités. Finis ces temps préhistoriques où il fallait saloper le manche du couteau pour se faire un sandwich au céleri.
Issu d’études poussées en aérodynamique des fluides et des technologies spatiales d’étanchéité, avec un retard de 20 ans sur l’Europe et l’Asie, le pot presseur (squeezable) de mayonnaise est enfin arrivé sur les rayons. Alléluia!!!
Enthousiasmés par cette nouvelle, les éditeurs de périodiques qui hésitaient à couronner Oussama ben Laden personnalité de l’année se sont réunis en haut lieu afin d’examiner la possibilité de le remplacer par monsieur Hellmann. Un homme qui, vous le soupçonnez à son nom, respecte le sabbat et mange cachère.
Personnellement, je crains que ce geste n’irrite les communautés musulmanes de Palestine qui pourraient voir là un complot sioniste, et qu’il ne provoque une recrudescence du fanatisme au Moyen-Orient et de la violence dans les territoires occupés…