![Projet d'excuses officielles au peuple acadien : Motion d'honneur](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/11/11445_1;1920x768.jpg)
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Projet d’excuses officielles au peuple acadien : Motion d’honneur
Le 27 novembre dernier, la Chambre des communes rejetait une motion visant à demander à la Couronne britannique qu’elle adresse des excuses officielles aux Acadiens pour leur déportation de 1755 à 1763. Retour sur une petite saga à propos d’un ordre d’exil qui pourrait bien être toujours en vigueur…
Denoncourt Frédéric
Il y a quelques mois, lorsque les orphelins de Duplessis obtenaient, après une bataille ardue, une compensation financière du gouvernement du Québec pour avoir été injustement internés dans les années 1940 et 50, plusieurs ont salué le geste. Déjà en 1988, sous Brian Mulroney, le gouvernement fédéral présentait des excuses officielles aux citoyens d’origine japonaise pour les politiques racistes à leur endroit durant le second conflit mondial, en plus de leur verser 300 millions $ en dédommagement.
Bien au fait de ces réalités, le député du Bloc québécois d’origine acadienne et initiateur du projet de motion d’excuses officielles, Stéphane Bergeron, garde encore un goût amer du dénouement, d’autant plus que le gouvernement canadien n’est pas directement en cause dans ce cas-ci et qu’il n’est nullement question de compensation financière. Ironiquement, ce sont les députés acadiens du Parti libéral, Dominique Leblanc en tête, qui auraient torpillé le projet en menant le mouvement au sein du PLC visant à faire rejeter la motion. Même une proposition d’amendement afin de ne réclamer qu’une reconnaissance officielle des préjudices commis, plutôt que des excuses formelles, a été préalablement battue. "À la suite d’une rumeur voulant que des députés libéraux s’apprêtaient à voter en faveur de l’amendement, Leblanc s’est mis à faire circuler une petite note dans la députation libérale pour l’inciter à voter contre, soutenant que ce n’était pas une bonne chose pour les Acadiens. Des députés libéraux de l’Ontario m’ont dit qu’ils auraient voté pour n’eut été de la note en question", explique le député bloquiste.
"L’argument de Leblanc et des libéraux est fondé sur la pensée de Trudeau qui avait refusé de s’excuser aux Japonais, invoquant qu’une génération n’est pas liée par les erreurs des précédentes. C’est un argument qui se tient, mais dans le cas d’institutions qui perdurent comme la Couronne britannique ou la papauté, les implications dépassent une génération", d’enchaîner Euclide Chiasson, président de la Société nationale de l’Acadie (SNA).
Pour sa part, le député bloquiste perçoit surtout du cynisme dans la démarche des députés, les soupçonnant d’avoir cédé à leurs ambitions personnelles. "On verra lors du prochain remaniement ministériel où était leur motivation. M. Leblanc aspire sûrement à un poste de ministre", clame-t-il sans détour. M. Chiasson prétend aussi que plusieurs Acadiens sont outrés du comportement de leurs députés. "Ils vont passer à l’histoire comme des poules mouillées, ils se sont tous levés comme des moutons et ont activement travaillé contre la motion."
Selon le rédacteur en chef du quotidien L’Acadie nouvelle, Bruno Godin, la politique partisane a pris le dessus, empêchant tout débat de fond sur l’essence de la motion, son caractère historique. Les députés du PLC n’auraient pu résister à la tentation de mettre des bâtons dans les roues du Bloc québécois. "Je crois que la motion aurait eu plus de chance d’être appuyée par les libéraux si le NPD ou le Parti conservateur avaient porté le projet; les députés acadiens auraient suivi plus facilement. On semblait dire que le Bloc cherchait à se faire du capital en démontrant qu’il ne s’intéressait pas qu’aux francophones du Québec."
La motion amendée a aussi reçu des appuis chez les députés anglophones du Nouveau-Brunswick, tandis qu’elle fut appuyée par la quasi-totalité des membres du Bloc québécois, du NPD ou du Parti conservateur. "Certains craignaient peut-être qu’après des excuses officielles, on demande des compensations financières", poursuit M. Godin.
Un ordre de déportation légalement valide?
Petit rappel historique: à l’aube de la guerre de Sept ans, qui l’opposera à la France, l’Angleterre voit d’un bien mauvais oeil cette population de francophones – mais néanmoins sujets britanniques – affichant sa neutralité. Dès 1755, un ordre officiel de déportation est ainsi émis qui ne prendra fin, de fait, qu’en 1763 avec la signature du Traité de Paris. Selon certaines estimations, sur une population totale de 15 000 personnes, le tiers fut envoyé, surtout, vers 13 colonies américaines; un autre tiers aurait évité la déportation en trouvant refuge, souvent au Québec; le dernier tiers serait mort ou disparu. Cet exode forcé ainsi que le douloureux destin de la diaspora acadienne ne sont sans doute nulle part ailleurs mieux exprimés que sous la plume de l’Américain H.W. Longfellow, avec son très beau poème épique Évangéline (1847) dont les vers relatent la séparation brutale de deux amoureux et qui figure aujourd’hui parmi les fleurons de la littérature américaine.
Pour l’avocat louisianais d’origine acadienne et véritable pionnier de la cause, Warrin Perrin, c’est davantage l’aspect légal du phénomène qui importe, même s’il appuie activement les démarches politiques parallèles. À ce titre, l’irritant majeur vient de ce que l’ordre de déportation aurait toujours force de loi, même si en pratique il est bien sûr caduc. "Aucun autre document n’a jamais été rédigé pour annuler l’ordre de déportation de 1755. Je suis acadien et cela constitue un affront pour moi." Le texte qui qualifiait les Acadiens de rebelles prévoyait même la peine de mort pour ceux qui tenteraient de retourner sur leurs terres.
Décidé à faire réparer cette faute historique, Perrin envoie donc en janvier 1990 une mise en demeure à la reine d’Angleterre et à la première ministre, Margaret Thatcher, pour qu’elles annulent l’ordre de déportation et reconnaissent une erreur historique dans les 30 jours, sous peine de procédures légales. Bien loin de prendre la chose à la légère, l’État britannique retint les services d’une firme d’avocats de Houston afin de chercher un terrain d’entente. "Depuis, des offres de règlement ont été faites, mais elles étaient insuffisantes et nous les avons rejetées. Les discussions se poursuivent."
Au plan politique, les États de la Louisiane et du Maine ont passé des résolutions favorables au projet de M. Perrin, et le sénateur de la Louisiane, d’origine acadienne, a également soumis une résolution à la Chambre basse. "Ce serait une triste ironie si le Sénat américain adoptait une résolution alors que le Parlement canadien ne l’a pas fait", observe M. Perrin.
"Depuis la défaite de la motion, les quotidiens du Nouveau-Brunswick reçoivent chaque jour des lettres dénonçant les députés acadiens qui ont voté contre, alors qu’il s’agissait d’un vote libre", soutient Maurice Basque, directeur des Études acadiennes à l’Université de Moncton. Au début du mois d’octobre, l’historien signait un rapport de la SNA qui concluait que 98 % des Acadiens ayant fait part de leur opinion à travers un comité consultatif étaient favorables à la poursuite des démarches. "Ça va finir par passer; j’ai l’impression qu’une certaine arrogance des députés lors du vote a fouetté ceux qui se disaient indécis ou indifférents. On demande maintenant à la SNA de passer directement par la Grande-Bretagne."
Depuis 1995, la Couronne ou le gouvernement britannique présentèrent à sept reprises des excuses officielles, que ce soit au peuple maori de Nouvelle-Zélande, aux Allemands pour le bombardement de la ville de Dresde durant la Seconde Guerre mondiale ou aux Irlandais pour la grande famine de la patate au XIXe siècle. "On ne demande pas d’argent, seulement une reconnaissance des torts par un geste symbolique", conclut M. Perrin.
En dépit de nombreuses tentatives, il ne fut pas possible de s’entretenir avec un des députés acadiens ayant voté contre la motion. Au bureau de M. Leblanc, on nous a signifié que le dossier était clos et qu’on ne désirait plus en parler.
Coïncidence ou pas, Jean Chrétien est le seul chef de parti à ne pas s’être prononcé sur ladite motion, étant absent le jour du vote. Rappelons que le chef du PLC a effectué son retour à la Chambre des communes en 1990, après que la population de la circonscription acadienne de Beauséjour au Nouveau-Brunswick lui eut accordé sa confiance lors d’une élection complémentaire…