Au service public : Entrevue avec Jean-Marc Fournier
Société

Au service public : Entrevue avec Jean-Marc Fournier

Au cours des prochaines semaines, nous vous présenterons quatre entretiens avec des hommes et des femmes politiques québécois qui sont parmi les plus jeunes de leur profession. À l’heure où la politique n’a plus la cote, pourquoi ont-ils choisi d’en faire? Comment la perçoivent-ils?

Jean-Marc Fournier

est avocat de formation et détient une maîtrise en droit public. Au milieu des années 1980, il exerce la profession de juriste et livre en parallèle une chronique juridique à la radio communautaire de Châteauguay, où il devient même pour un temps morning man. Il est candidat défait du Parti libéral du Canada à l’élection fédérale de 1988. En novembre 1990, le Parti libéral du Québec fait appel à ses services pour siéger sur la commission Bélanger-Campeau comme conseiller politique. De 1991 à 1994, il poursuit son implication au PLQ au cabinet du ministre Gilles Rémillard. Il est élu député de Châteauguay pour le PLQ pour la première fois en 1994. Réélu en 1998, il est aujourd’hui whip en chef de l’opposition officielle et critique en matière de santé.

Vous avez tenu un rôle d’arrière-plan durant quelques années, comment en êtes-vous venu à faire le saut en politique active?
"J’avais un certain goût pour la politique depuis que je m’étais présenté en 1988. Quand on a fait ce que les gens du métier appellent mettre sa face sur le poteau et qu’on a goûté aux campagnes électorales avec le feeling que ça donne… Je désirais aussi livrer les idées plutôt que simplement les écrire."

Selon vous, à quoi ça sert, la politique?
"Ma priorité, c’est l’implication communautaire. Je m’inscris aussi à contre-courant de la pensée générale et très cynique selon laquelle la politique est inutile aujourd’hui. J’ai toujours cru qu’elle avait son utilité lorsqu’on travaille en partenariat avec tous les organismes autour de nous. Et puis, si la politique n’était pas utile à la collectivité, elle n’existerait pas. La politique, c’est également se donner des cadres législatifs, réglementaires, financiers, qui font en sorte qu’on peut accepter de vivre en société et se contraindre un peu pour l’avantage de l’ensemble."

Mais est-ce que, dans le contexte de la mondialisation, la politique et les gouvernements en particulier ne perdent pas dangereusement de leur utilité ou de leur influence au profit de multinationales?
"Aujourd’hui, personne ne peut regarder passer le train. L’évolution fait qu’on est englobé par les décisions des autres et cela ne concerne pas seulement les multinationales, mais aussi les groupes sociaux ou nationaux qui se regroupent de plus en plus. Le pouvoir décisionnel s’est peut-être effrité pour ce qui est des lois ou des règlements, mais si en échange on a augmenté la richesse collective avec l’ouverture des marchés, on a plus d’outils. Le credo libéral auquel je tiens est le développement économique pour une justice sociale et le gouvernement aura toujours cette marge de manoeuvre. Par exemple, plusieurs en ce moment poussent pour privatiser la santé, mais les gouvernements peuvent maintenir le système public s’ils mettent l’argent à la bonne place."

Donc, c’est la position officielle du PLQ de maintenir l’intégralité du système de santé public…
"Dans le parti, il y a des réflexions qui sont faites, les positions ne sont pas arrêtées totalement. Selon moi, si la privatisation est à la mode, c’est qu’on a arrêté de financer le système public et qu’on l’a mal planifié, ce qui fait que les gens disent: "Ce régime-là, il ne marche pas." Ce qu’il manque, c’est l’engagement public ciblé qui forcerait le gouvernement à planifier et à financer suffisamment. Ensuite, il faudrait une évaluation de cet engagement ciblé qui jouerait dans la nécessité de rendre des compte et créerait une pression agissante. Au Québec, en 1994, nous étions au 3e rang des provinces canadiennes en termes de financement de la santé per capita, nous sommes maintenant au 10e et dernier rang, alors qu’en termes de richesse relative on est au 5e rang. C’est donc un mythe qui veut qu’on n’ait plus d’argent pour la santé."

Sur un autre plan, le rôle des simples députés n’est-il pas très dévalorisé dans le système actuel?
"Tout gouvernement, PQ ou PLQ, trouve un avantage à éviter le débat parlementaire parce que c’est un débat contradictoire où il y a quelqu’un de légitime devant lui qui le conteste, donc il limite les débats qui se déplacent hors du parlement, vers les gens des corporations. Il faut donc rappeler, dans les médias et dans la population, qu’on passe parfois à côté de nos élus et qu’on devrait faire payer le prix à un gouvernement qui persiste à ne consulter que des non-élus."

Mais ne devrait-on pas également assouplir la discipline de parti pour laisser plus de liberté aux députés en chambre?
"J’ai eu cette conversation avec le journaliste Michel David et je lui ai dit: "Le jour où tu n’écriras pas que la confiance envers mon chef est ébranlée parce que quatre députés n’ont pas voté comme lui, je vais dire, c’est parfait, faisons-le.""

Êtes-vous conscient que les gens perçoivent souvent la politique comme une grosse game?
"C’est parce qu’ils ne voient que la période de questions, qui est l’aspect théâtral. Ce n’est que 45 minutes dans la journée, mais c’est le moment le plus important. Et souvent je dis au monde qu’on est capable de travailler ensemble devant les caméras de télévision, je félicite parfois le gouvernement mais, malheureusement, ce n’est pas rapporté par les médias."

Vous comptez ainsi beaucoup sur les médias pour refaire votre image…
"Pour moi, c’est plus facile de faire 50 000 salons que 50 perrons. Il faut qu’on parle au monde et que les médias rapportent le message."

Somme toute, les sondages démontrent qu’il y a un bris de confiance, que les politiciens n’ont pas la cote dans la population. Comment expliquez-vous ça?
"Par le balancier démocratique. Lorsqu’on n’a pas beaucoup de droits, on est très content d’avoir des élections, mais quand on a déjà nos droits, on trouve que parfois les compromis de la classe politique ne font pas notre affaire. Quand les gens sont d’accord avec une politique, ils n’y pensent plus, mais quand ils sont contre, ils sont en maudit contre ceux qui l’ont faite. Les gens ont peut-être aussi perdu de vue l’avantage d’avoir un représentant élu et ne perçoivent peut-être pas encore ce glissement du pouvoir vers les membres de corporations, pas seulement commerciales, mais aussi professionnelles."

Mais est-ce que vous, les politiciens, n’auriez pas aussi intérêt à changer votre discours, à dire moins de demi-vérités et faire moins de promesses électoralistes que vous savez que vous ne pourrez pas tenir?
"Il y se dit beaucoup de demi-vérités, on ne peut pas le cacher; il y a des politiciens qui mentent et ils se le font dire, comme Trudel, qui dit que tout va bien dans la santé. Mais les politiciens sont aussi des gens de convictions et de plus en plus le parler vrai a la cote, même si ce n’est pas encore généralisé. Moi, si je dis dans un discours: "Regardez, je vais perdre des points, mais je pense ça", d’habitude, je ne perds aucun point. Si je ne l’avais pas dis, j’en aurais perdu. Le parler vrai, c’est le respect et il y a des techniques de communication qui permettent d’être plus transparent. Il faudrait aussi réinventer l’obligation de rendre des comptes des politiciens pour que les gens sentent que l’élu a pris un engagement public ciblé et que, lorsque vient le temps des élections, on lui donne sa note de passage ou d’échec en fonction de ce qu’il avait dit qu’il ferait."

La semaine prochaine: entrevue avec la députée péquiste Manon Blanchette