Phylactère Cola : À l'attaque!
Société

Phylactère Cola : À l’attaque!

Avec son univers coloré et farfelu, pigeant autant dans la bédé que dans le psychotronique, Phylactère Cola pourrait bien être la surprise de l’hiver à la télé. Conçue par neuf patenteux allumés, tous originaires de Québec, cette série propose des sketchs humoristiques qui risquent de créer un véritable phénomène. On vous aura prévenu.

Attention: la télé québécoise est prise d’assaut par une gang de malades. Psychopat, Boo, Giral, L’ami Francis, Strob, Brazil, Carnior et Eddie 69, ces huit zigotos (neuf, si l’on inclut le musicien Éric Pfalzgraf) qui proposent, avec Phylactère Cola, de courts sketchs qui brasseront le monde cloisonné de l’humour télévisé, viennent d’arriver sur les ondes de Télé-Québec, avec un projet déjanté et fantaisiste, qui fera l’effet d’une claque sur la gueule.

Plus abouti que N’ajustez pas votre sécheuse (dont il occupe la case horaire), plus débile que RBO, plus éclaté que les films artisanaux des Chick’n’Swell, l’univers particulier de Phylactère Cola, qui mélange le réel et le virtuel, ne ressemble à rien qu’on ait déjà vu, tant il est inventif et éclaté. Avec peu de moyens et beaucoup de débrouillardise, les gars offrent un cocktail explosif de parodies, de fausses pubs, de dessins animés, de clins d’oeil au cinéma (dont Nosferatu, Santo et Back to the Future), et d’histoires dénonçant les petits et les grands travers de notre société. C’est mordant, baveux et même grotesque, mais ça ne tombe jamais dans la facilité.

Qui se cache derrière cette étrange émission, dont les publicités montrent des ovnis, une grand-mère qui explose et un boucher vendant de la viande dans sa voiture? À la conférence de presse présentant la série, les neuf Phylactère se sont pointés avec leurs gueules de malfrats, habillés de vêtements usés, affublés de fausses verrues au visage et de blessures à la tête, décoiffés ou rasés à n’importe quel endroit. Cette mise en scène a causé tout un émoi, tellement que le personnel de l’hôtel où se tenait l’événement a hésité avant de les laisser entrer, pensant sûrement avoir affaire à un groupe de clochards. Voilà l’essence de Phylactère Cola: les gars veulent déranger, innover et, surtout, tirer sur tout ce qui bouge: les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, les beaux et les laids.

Avec Phylactère Cola, le psychotronique et le série B sont aussi poussés à l’extrême. Enfants nourris au biberon de la télé, du vidéoclip, du cinéma et de la bédé, les gars n’ont pas eu peur de mordre la main qui les a nourris. Toutes leurs références sont joyeusement passées à la moulinette: Goldorak se transforme en Macdorak et combat des méchants végétariens; les trois filles de Drôles de dames sont remplacées par des vieillards; The Crow devient La Piñata; une histoire bizarre de policiers amène un clin d’oeil à Clockwork Orange.

Avec les Phylactère, la charge est souvent virulente, surtout quand ils s’attaquent à la débilité ambiante. On ne se gêne pas pour rire des infopubs avec des "offres trop malhonnêtes pour être vendues en magasin", des soaps américains, de la télé-réalité, des jeux-questionnaires ou des films étouffés par les bonnes intentions. Comme l’histoire du petit Richter qui se lie d’amitié avec une échelle rouillée, une amusante parodie des séries à la Lassie, qui mettent en vedette des animaux.

Selon Eddie 69, le groupe ne se fixe aucune limite, et n’hésite pas à mélanger des styles, même si le résultat peut être dépareillé. "Comme tout le monde possède des goûts et des références différentes, c’est facile d’amalgamer tout ça. Par exemple, on aime la science-fiction, l’horreur, l’absurde, la contestation. Si tu fais des mélanges, tu peux faire un film de science-fiction qui conteste, ou un film de cow-boy avec des extraterrestres."

Système P
La grande particularité de Phylactère Cola, c’est que tout, absolument tout, est réalisé par ses membres. Dans un garage désaffecté, retiré du centre-ville de Québec, ils se sont bâti un studio, d’où ils produisent de A à Z les 13 épisodes de la série. Adeptes du do it yourself, tout le monde a donc mis la main à la pâte pour concevoir de toutes pièces les sketchs. Et ça va de la scénarisation à la construction d’univers virtuels en 2D ou en 3D, en passant par le montage, la sonorisation et la conception de décors, de costumes et de masques en latex. "On touche vraiment à tout; même si ta spécialité, c’est le 3D, ça ne t’empêchera pas de fabriquer une chaise. Avant, je n’avais jamais touché à une perceuse. On fonctionne sur le principe de la commune, alors on ne s’ennuie pas", précise Eddie 69.

C’est cet esprit de débrouillardise qui a mené à la création de Phylactère Cola. L’histoire du groupe débute en 1995 quand les huit bédéistes ont eu l’idée de concocter une émission sur la chaîne Télécom 9 à Québec. À l’aide de chroniques et de sketchs humoristiques, ils espéraient, au départ, démystifier le monde de la bédé. Munis d’une petite caméra vidéo, n’ayant aucune expérience en télé, ces néophytes ont alors appris sur le tas, ce qui conférait à leur émission un côté broche à foin, qui a plu immédiatement à de nombreux adeptes. "On fait partie d’une génération où la vidéo était accessible, où l’on a pu expérimenter par essai et erreur. Sans cela, je ne suis pas certain qu’on aurait pu réussir un tel projet", souligne Psychopat, le réalisateur.

Et même si l’émission a été retirée après une année d’existence seulement, le groupe n’a pas abandonné son univers, puisqu’il a lancé, dans la région de Québec, quatre cassettes vidéo. En 1999, la gang de Phylactère Cola a même attiré l’attention du réseau TQS, qui lui a offert de produire une série de 13 épisodes. À cause de la faillite du producteur et des exigences de plus en plus élevées du diffuseur, le projet est tombé à l’eau. Le matériel créé pour l’occasion s’est quand même retrouvé sur la dernière cassette du groupe, 5 minutes dans l’champ, qui a, elle aussi, atterri sur le bureau du directeur des programmes de Télé-Québec. La chaîne, qui a tenté une incursion plus ou moins convaincante dans le monde de l’humour avec la venue de Bruno Blanchet, s’est alors montrée intéressée à reprendre le projet. Cette fois-ci, le groupe a carte blanche, à son grand soulagement. "On n’avait pas besoin de changer le concept ni de faire des compromis, relate Eddie 69. De toute façon, on n’aurait pas accepté d’amoindrir le projet. On est capables de faire autre chose. Si la télé, ça ne marche pas, je vais retourner au dessin, c’est tout. Je n’ai jamais voulu faire de la télé, ce n’est pas mon but dans la vie."

Tous pour un
Bien que Phylactère Cola ait finalement réussi à se tailler une place au petit écran, on ne sent pas chez les membres une volonté de devenir célèbres. Quand on leur parle d’image ou de marketing, on voit très bien que c’est le groupe qui prime sur les individus. Il s’agit du reste de l’une des règles les plus importantes pour les Phylactère. Voilà pourquoi tout le monde se cache derrière un pseudonyme, et que personne n’a peur de se déguiser, et même de s’enlaidir pour les besoins des différents sketchs. D’ailleurs, à de maintes reprises pendant l’émission, on reconnaît à peine qui, dans le groupe, interprète un certain personnage. "C’est normal, on est tellement transformés. C’est ça qui est le concept: la vedette, c’est Phylactère Cola; moi, je sers seulement le groupe. C’est le projet qui compte, pas moi", souligne avec conviction Eddie 69.

Et quand on leur demande une appréciation de leur jeu de comédiens, la réponse est encore plus éloquente. "C’est l’aspect qui m’intéresse le moins dans le projet, concède Eddie 69. Le nombre de minutes qu’on me voit dans l’émission ne me dérange pas du tout. Je m’en fous, il y a des semaines où on ne me verra pas, parce qu’il n’y a pas de sketchs auxquels j’ai participé. Mais le simple fait d’avoir réalisé une petite animation me donne plus de fierté que de voir ma gueule à l’écran." Il faut dire que les gars sont devenus comédiens par la force des choses, poussant à bout leur volonté de tout réaliser par eux-mêmes. "S’il y a beaucoup de muet dans Phylactère Cola, c’est parce qu’on n’a pas besoin d’apprendre des textes", lance Eddie 69 en riant.

En ce qui concerne les attentes, les membres de Phylactère Cola prennent la chose à la légère. Si ça fonctionne bien, ils aimeraient peut-être toucher au cinéma, mais rien n’est encore certain. "Avec le budget d’un film québécois, on est capables de réaliser quatre fois plus d’effets visuels, pense Eddie 69. On est habitués à faire beaucoup avec peu. Mais il nous faut une bonne idée au départ." Peut-on espérer que les neuf Phylactère réussissent le même miracle au cinéma?

Le mercredi, à 21 h (en reprise le dimanche, à 18 h 30)
Sur les ondes de Télé-Québec