Au service public : Entrevue avec Manon Blanchet
Vocation, sacerdoce, appétit du pouvoir… Au cours des prochaines semaines, nous vous présenterons quatre entretiens avec des hommes et des femmes politiques québécois qui sont parmi les plus jeunes de leur profession. À l’heure où la politique n’a plus la cote, pourquoi ont-ils choisi d’en faire?
Après avoir obtenu un baccalauréat en sciences politiques de l’Université de Montréal en 1990, Manon Blanchet s’initie au monde politique de 1994 à 1998 alors qu’elle est attachée politique du ministre péquiste Jean Campeau, dans la circonscription de Crémazie. Le poste laissé vacant, elle décide de briguer les suffrages aux élections de 1998 et est élue députée de Crémazie le 20 novembre. Âgée de 33 ans, elle occupe également aujourd’hui la fonction de whip adjointe du gouvernement.
Pourquoi s’engager en politique alors qu’il existe une foule d’autres professions beaucoup plus valorisées socialement?
"J’avais la piqûre pour la politique depuis le cégep, mais je m’étais dis que je resterais toujours dans un rôle d’arrière-plan. Puis M. Campeau, qui prenait sa retraite, des gens de mon entourage et des collègues m’ont encouragée à faire le saut étant donné que je travaillais déjà dans le milieu comme attachée politique. Même si j’étais consciente du peu de popularité des politiciens et que je savais qu’ils n’étaient pas aimés, je voulais, peut-être avec une certaine naïveté, faire ma petite part.
Ce qu’il faudrait surtout, c’est apprendre aux gens à mieux connaître le travail de député; les médias ne rapportent pas fidèlement ce que l’on fait avec des clips de 30 secondes sur la période de questions qui ne dure que 45 minutes, même s’il y a là une part de jeu qui fait partie du débat."
Mais, comme vous semblez dire, ne faut-il pas être un peu naïf pour croire qu’on peut vraiment faire changer les choses et se faire entendre en politique, comme simple député surtout?
"C’est vrai que, dans les caucus, c’est plus difficile parce qu’on est une bonne soixantaine, mais quand les ministres nous présentent des dossiers, nous pouvons tout de même émettre certains commentaires. Mais c’est surtout dans les comités restreints ou les comités de députés au sein desquels je travaille que je sens que j’ai vraiment mon mot à dire et que je peux faire quelque chose pour faire avancer tel programme ou tel projet de loi. Par exemple, quand le Fond de lutte à la pauvreté arrivait à terme, un comité de députés auquel j’ai siégé a travaillé pendant plusieurs mois afin de déterminer l’orientation à suivre pour le reconduire. Et effectivement, le ministre Boisclair l’a reconduit pas mal dans la voie qu’on suggérait. On a aussi réussi après presque 15 ans d’efforts à faire ouvrir un centre communautaire dans le comté. Je crois donc qu’après trois ans, j’ai fait ma petite part pour les gens."
Donc, la clé, en politique, est de modérer ses ambitions, de ne pas se faire trop d’illusions en politique pour éviter les déceptions…
"Oui, parce qu’on doit être réaliste, la machine est grosse. Vu que j’ai été attachée politique et que j’ai défendu des dossiers de citoyens, je connaissais le fonctionnement et mes illusions étaient déjà à plat là-dessus. N’empêche qu’on peut faire quelque chose, ne serait-ce que de relayer les messages de nos commettants ou d’organismes. Moi je dis souvent aux ministres: "Dis-moi oui ou non, mais donne-moi une réponse.""
Est-ce que parfois les politiciens n’auraient pas aussi intérêt à mettre de côté la dimension partisane et à travailler un peu plus ensemble?
"Écoutez, je suis la seule députée péquiste dans le nord de Montréal, mes trois voisins de comté sont tous libéraux, mais on est capables de travailler ensemble. Lorsque je leur ai demandé de signer avec moi une lettre d’appui pour les gens qui formulaient une demande pour le centre communautaire à la ministre des Affaires municipales dans le programme des infrastructures, ils ont tous accepté. Mme Harel a déposé les sous et nous avons notre centre communautaire depuis plus d’un an. Pour moi, ce fut toujours possible de collaborer, même si parfois il y a eu des petits accrocs."
Malgré tout, la politique demeure très mal perçue par la population. Comment expliquez-vous qu’on ait si peu confiance en vous?
"À cause d’une méconnaissance globale de notre travail. Les gens croient peut-être qu’on est en vacances dans le Sud quand l’Assemblée nationale termine ses travaux, mais on est dans notre comté. D’ailleurs, quand j’ai commencé à travailler avec M. Campeau, je ne savais pas ce qu’était le travail d’un politicien. J’essaie donc aujourd’hui de démontrer qu’on fait vraiment quelque chose, je montre mon agenda à qui veut le voir, et si les gens persistent par la suite à croire qu’on est tous des menteurs, au moins ils en sauront plus sur notre travail."
Est-ce que les politiciens n’auraient pas aussi un effort à faire enfin d’être plus transparents ou plus francs dans leur discours, de moins se contredire?
"Oui. Il arrive qu’on se laisse aller à s’engager et les gens se disent: "Ils veulent nous emplir." Parfois, des projets ont mis du temps à se réaliser. Ce serait bien que les politiciens réfléchissent avant de parler parce qu’en campagne électorale ou dans l’opposition, on n’a pas accès à toutes les informations qu’on a lorsqu’on est élus."
Vous admettez donc que les politiciens s’avancent un peu trop, font parfois des promesses seulement pour être élus…
"Ça peut arriver et c’est dommage, mais c’est peut-être le jeu de toute campagne, on est là pour courtiser la population. En fait, on ne sait jamais dans quoi on s’embarque, on ne peut savoir si on sera au pouvoir ou dans l’opposition et je regrette qu’on soit parfois obligés de reculer sur certaines choses. Moi, par exemple, je n’ai rien promis comme tel, j’ai dit que je travaillerais fort, c’est tout. Je ne peux pas parler pour les 124 autres candidats qui ont fait la campagne, mais certains collègues ont dû revenir sur des engagements. Chacun a donc son petit bout à faire, je ne dis pas que les politiciens ne sont pas francs, mais ils devraient effectivement faire attention aux grands élans. On se doit autant que possible de dire les vraies choses, mais les gens doivent aussi comprendre notre travail de législateur et de député dans le comté; ce n’est pas pour me plaindre, mais trop souvent les gens parlent à travers leur chapeau."