Crise du logement annoncée : Montréal, ville fermée
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Crise du logement annoncée : Montréal, ville fermée

Montréal n’a plus d’appartements disponibles. Ou presque. Les derniers chiffres font état d’une pénurie qu’on n’avait pas vue depuis plus de 25 ans. C’est le fond du baril. Les différents organismes prévoient un mois de juillet catastrophique, pire que l’an dernier. Explications d’un chaos  annoncé.

"Si possible, ne déménagez pas! Ne partez surtout pas à l’aventure. Renouvelez le bail actuel, quitte à contester la hausse de loyer s’il le faut. Si ça ne fonctionne pas, vous aurez au moins eu du temps pour chercher un autre appartement."

Ces recommandations inhabituelles proviennent du Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec, un organisme provincial qui défend les personnes résidant en appartement. Car l’association est déjà sur un pied d’alerte en prévision du mois des déménagements. "On a déjà des comités de crise prêts à fonctionner, explique le coordonnateur du regroupement, Denis Cusson. On est dans la même situation que juillet dernier, où des dizaines de familles se sont retrouvées sans endroit où dormir."

La crise du logement risque même d’être plus prononcée cette année, alors que les derniers chiffres de la Société centrale d’hypothèques et de logement (SCHL) donnent des frissons aux futurs chasseurs de logis: le taux d’inoccupation est présentement de 0,6 % à Montréal, comparativement à 1,5 % l’an dernier à pareille date. C’est donc dire que sur un peu plus de 462 000 appartements, moins de 3000 sont libres, et ce, sans compter ceux en rénovation ou en mauvais état. Pour trouver des chiffres semblables, il faut remonter à 1975, où le pourcentage de logements vacants était de près de 1 %.

Pourquoi ce creux? Depuis quelques mois, les théories abondent. Certains avancent que les couples se séparent davantage aujourd’hui qu’avant. D’autres pointent le phénomène des régions qui se vident, saturant ainsi le marché immobilier des grandes villes. Des analystes ont aussi vu dans la récente expansion économique une occasion pour les jeunes de quitter le nid familial. Des facteurs rejetés du revers de la main par l’agent de recherche à la Régie du logement, Pierre Marchand. "Ces phénomènes sociaux existent depuis de nombreuses années, souligne-t-il. Pourtant, en 1993, le taux d’inoccupation était autour de 8 %."

Le logement est boudé
S’il n’y a plus de logements libres, c’est simplement parce qu’il s’en construit au compte-gouttes depuis quelques années, répondent à l’unisson les regroupements de propriétaires, les organismes communautaires et la Régie du logement. "Les entrepreneurs se sont désintéressés du locatif", soutient le président de l’Association des propriétaires d’appartements du Grand Montréal (APAGM), Adrien Leduc. Il s’est effectivement bâti très peu de logements à Montréal dans les dernières années. De 1996 à 2001, 7684 unités ont vu le jour. C’est exactement 3000 de moins que pour la seule année 1988 et 11 000 de moins qu’en 1987! Au milieu de la récente décennie, on ne construisait même pas 1000 logements annuellement.

Selon Adrien Leduc, les coûts de construction des immeubles sont impossibles à rentabiliser, ce qui rebute les investisseurs. "Il faut louer un nouveau 41/2 près de 900 $ par mois pour qu’il soit rentable, explique le président de l’APAGM, lui-même propriétaire de logements. Mais le prix du marché est 650 $. Aucun locataire ne veut payer la différence." Une constatation appuyée par la Régie du logement. "Le coeur du problème, c’est le coût de construction, avance Pierre Marchand. C’est actuellement beaucoup plus rentable de bâtir des condominiums que des appartements, il n’y a pas de doute."

La mise en chantier de condos a effectivement progressé très rapidement depuis cinq ans, alors que leur nombre a plus que doublé. Depuis 1996, il se construit chaque année deux fois plus de condos que d’appartements. "Avec les taux hypothécaires les plus bas depuis 40 ans, les gens préfèrent acheter plutôt que louer, ils veulent améliorer leur sort, pense Adrien Leduc. Avec les condos, le promoteur construit, vend, et son profit est fait. C’est simple." Sur le Plateau-Mont-Royal, les condos se multiplient: il n’y a qu’à penser à la résistance de citoyens contre la construction de 98 unités de 41/2 par un promoteur, D3 Habitations, qui s’est approprié les droits aériens sur des stationnements de ce quartier.

Si la construction de condominiums est plus populaire que jamais, la conversion d’immeubles locatifs en propriétés de ce type a aussi attiré les investisseurs. Depuis 1993, 2376 logements existants sont devenus des condos. Une tendance toutefois en baisse depuis deux ans. "Depuis 1993, il est impossible de convertir des appartements dans des zones où le taux d’inoccupation est sous la barre des 3 %, comme c’est le cas à Montréal depuis plusieurs mois, explique la chargée de communication à la Direction de l’habitation de la Ville de Montréal, Danielle Dionne. Et pour déroger au moratoire, il y a des exemptions précises qui ne nuisent aucunement au marché locatif." Le président de l’APAGM soutient quant à lui que le mal est fait. "Ces conversions ont quand même enlevé beaucoup de logements, c’est dommage."

Solutions en vue?
Pressé par les acteurs du milieu de mettre son nez dans le problème, le gouvernement du Québec a récemment annoncé la création de 1600 logements sociaux (loyer oscillant entre 350 $ et 500 $ par mois) pour l’année 2002. Un bon geste, mais trop peu, trop tard, selon Denis Cusson. "C’est un signal important, mais les appartements ne seront pas tous prêts pour le 1er juillet. Il faudra aussi que le secteur privé mette l’épaule à la roue."

Mais pas question de générosité. "Crise ou pas, le propriétaire a droit à sa rentabilité!" martèle Adrien Leduc. L’APAGM recommande d’ailleurs à ses membres d’augmenter le prix des loyers de 4 % pour compenser les coûts de chauffage en constante progression et l’entretien des immeubles. L’année dernière, la hausse moyenne des loyers avait été de la même ampleur. "Si les loyers grimpent et suivent la valeur du marché, les investisseurs seront de nouveau attirés par ce type d’habitation", croit-il. Une prétention sans fondement, objecte la Régie du logement. "En Ontario, il n’y a pas de contrôle sur les logements et les prix sont élevés, souligne Pierre Marchand. Pourtant, Toronto et Ottawa sont aux prises avec un taux d’inoccupation de 1 %."

La solution doit venir du gouvernement, dans le but d’aider le secteur privé, estime Adrien Leduc. "Il faut que l’État prenne une série de mesures qui inciteront les promoteurs à construire des logements, suggère-t-il. Il faut diminuer les coûts de construction ou alors aider à les amortir avec des crédits d’impôts ou de taxes. Pour qu’un immeuble soit rentable avec le prix actuel des appartements, il faut qu’il coûte moins cher à bâtir."

L’APAGM suggère donc à la ministre Louise Harel, responsable du dossier du logement à Montréal, de tenir un sommet de l’habitation pour que tous les intervenants dans le domaine discutent des mesures à prendre pour régler la crise. "Il faut des actions, même si c’est juste temporaire, plaide Adrien Leduc. On réforme l’éducation et la santé à tous les trois ans, on pourrait peut-être faire un effort pour l’habitation!" L’attachée de presse de Louise Harel, Christine Mitton, était en tournée au Québec et n’a pu confirmer si l’idée d’une telle rencontre pouvait être envisagée.

Mais selon Denis Cusson, peu importe la méthode, il faut que des solutions soient trouvées, et vite. Sinon, cette crise pourrait bien sévir encore deux ou trois ans. "Il est désolant de constater qu’avoir un toit n’est plus un droit, dit-il. C’est un privilège pour ceux qui peuvent en trouver un et le payer."