Même les matins d’hiver quand le soleil reste couché jusqu’à neuf heures. Même les soirs où, additionnées de pop-corn au beurre, les nouvelles donnent le mal de mer.
Ni le vent, ni la tempête, ni les crampes d’estomac, ni la solitude, ni le langage de Liza Frulla ou la coiffure de Gérard Deltel n’altèrent ma conviction profonde…
Car malgré les apparences, je suis de la grande famille des optimistes.
De ceux qui considèrent que, depuis l’avènement de l’Homo sapiens, sur cette petite planète, les choses vont, bon an mal an, en s’améliorant.
Donc, vous me demanderiez: "Ducon, à ton avis, comment va le monde?"
Mieux qu’hier, moins que demain, serais-je encore et toujours tenté de répondre.
Songez-y, l’avènement de la pénicilline, l’éradication des fièvres multicolores, de la peste et des abcès… la victoire sur tant de maladies sournoises… la fin de l’esclavage et de l’infaillibilité papale… la pilule, l’eau courante et le papier de toilette, l’électricité, la télé, le bigophone et la mixette.
Pas si mal…
On me rétorquera: "Oui, mais le Rwanda, mais l’Algérie, mais l’Argentine. Mais Bush et Reagan, Jeffrey Dahmer, Hitler, Mao, Pol-Pot, Staline ou Ariel Sharon, les opportunistes, les menteurs, les racistes, les maniaques, les assassins… disponibles en grand nombre au rayon des surfêlés."
Je penche… mais résiste. Et j’ose tristement considérer que ces avatars qui retardent l’avènement du monde idéal sont des ruptures passagères dans la courbe ascendante de l’inéluctable progrès.
D’ailleurs, les temps récents, étonnamment doux, semblaient me donner raison.
Et puis le 11 septembre… j’ai déchanté.
On m’a renvoyé patauger une fois de plus dans la question fondamentale: le progrès, le bien, la paix sont-ils vraiment, bel et bien, comme l’univers, en expansion perpétuelle? Doute.
Comme on rencontre par le jeu du hasard au milieu d’une foule immense une vieille connaissance, je suis tombé sur une réflexion d’André Glucksmann, philosophe de son état, qui réfléchissait sur la stupeur qui a frappé le monde à neuf heures il y a six mois.
"Depuis 1987, les démocraties sont acquises à l’idée que finalement tout s’arrange toujours, que le mal n’est que le fourrier du bien… Par quelle aberration a-t-on pu croire, après la chute du mur de Berlin, que la disparition d’un adversaire signifiait l’abolition de l’adversité? Par quelle sottise a-t-on pu considérer que l’Homo économicus allait pacifier la planète, et que les conflits subsistants n’étaient que des vestiges du passé, des bavures exotiques? Par le très grand plaisir qu’ont les hommes de dormir."
Et Glucksmann d’avancer que ces attentats et bien d’autres sont l’oeuvre de nihilistes pour lesquels il n’existe pas d’échelle de valeurs morales entre le bien et le mal.
Tiens, moi qui pensais au contraire que ce sont des fièvres que nous ne savons vaincre, des emportements que nous avons refusé de refroidir à l’aune de la tolérance qui sont généralement responsables des atrocités terrestres?
J’ai ensuite entendu quelqu’un, quelque part, avancer que si l’ex-URSS était un immense foutoir de corruption, de mafieux où règne désormais en maître la politique du chacun pour soi, ce n’était pas, comme on le pense couramment, parce que là-bas on éprouve des difficultés à s’adapter à une démocratie fraîchement retrouvée, mais bien parce que si nous assistons dans l’avenir à l’avènement de nouvelles structures sociales, elles seront nécessairement tournées vers l’assouvissement des ambitions et des désirs individuels plutôt que vers le bien-être des populations.
Régression passagère ou plutôt prémices du futur implacable dans lequel s’avance déjà un Occident qui n’est retenu de la sauvagerie que par les restes du mince filet social installé dans les années 70?
À l’égard du monde, ces temps-ci, je me sens comme ces vieux nationalistes qui, en soufflant sur les bougies de leurs 60 printemps, se disent que jamais ils ne verront l’avènement d’une nation. J’ai peur que le monde meilleur ne m’échappe finalement.
Et aux enfants de mes enfants…
Je ne sais pas si nous dormions, mais va falloir s’accrocher très fort à notre optimisme pour un bout de temps.