Société

La semaine des 4 jeudis : Cul par-dessus tête

Tous les publicistes, producteurs, éditeurs et journalistes du monde entier le savent: depuis la nuit des temps, le cul, ça vend. Et la nuit, par les temps qui courent, dure particulièrement longtemps.

Parcourons les méandres de la culture de masse. En débutant par les étalages de la Maison de la presse. Regardez à la ronde.

Mensuels et hebdomadaires sont devenus des usines à filles-pas-de-poils qui distillent le sexe à toutes les sauces. Sondages, témoignages, entrevues, aérobic, cuisine, bricolage, informatique, décoration, tout est désormais prétexte à parler cul. Bientôt, des pénis ventriloques nous parleront de la perte des cheveux, de la crampe du cycliste et des techniques de yoga qui permettent d’éprouver du plaisir lors d’un test de dépistage du cancer de la prostate.

À défaut de causer, le sexe réfléchit; je pense, donc je jouis.

Maladie typiquement française qui, jusqu’à présent, n’a heureusement contaminé que Léa Pool et Charles Binamé, le cinéma francophone de fin de siècle s’est brièvement complu dans quelques-unes de ces déprimantes réflexions psycho-cul à la Catherine Breillat, censées questionner les hauts et les bas de l’émancipation féminine. Inutile de préciser que c’est 30 ans trop tard à ceux qui n’ont jamais vu Looking for Mrs. Goodbar et même The Devil in Miss Jones.

On tergiverse aussi abondamment ces temps-ci sur l’incidence qu’auront les nouvelles pornocrates dans l’industrie du hard lorsqu’elles se retrouveront en grand nombre derrière la caméra. Affirmeront-elles une nouvelle sensibilité dans la manière de filmer une fellation? De bas en haut, en citant dans le texte Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir? Quel phénomène de société!

Le comble du ridicule est atteint chaque année sur la côte d’Azur où, parallèlement au Festival de Cannes, l’industrie du cul-cul élève des starlettes du porno au niveau d’actrices de caractère en leur remettant des trophées aux formes évocatrices, faits de métaux non allergènes. Ces vedettes internationalement acclamées pour la justesse de leurs performances terminent généralement la soirée à la proue du yacht d’un armateur russe qui, les oreilles bouchées, s’exclame: "I am the pimp of the world."

Multipliant l’intellect de la braguette, la télé fonce tête baissée dans la retransmission des concours de baise venus d’Espagne et de Norvège. Le canal Playboy entame la première saison d’un reality show auprès duquel Temptation Island est une bluette pour enfants. Et que les amateurs excités par les previews de la prochaine saison de Lance et compte qui voudraient voir le bas se consolent, Sex TV dans quelques jours rentre en ondes.

En 2000, pour obtenir un Goncourt, un Femina, un Médicis, ce qui se lit, s’écrit, ces temps-ci, se livre aux confidences du lit. Comme si, après les années sida, il fallait redonner au cul des lettres de noblesse égarées depuis Georges Bataille. Et même si les aveux sordides et merdiques de pseudo-putes et d’actrices x reconverties en biographes ne stopperont jamais l’avalanche de bons sentiments de la littérature populaire, lorsque Nancy Houston évoque sans gêne la beauté et la sensualité irradiant de sa personne comme vecteur de son oeuvre, on se dit qu’en littérature comme en musique, l’oeuvre, justement, peut n’être que la moitié d’une grosse paire d’arguments.

"Tu la prends entre le pouce et l’index et tu lèches." En lisant cette annonce de papier à rouler dans un très branché magazine, je me suis dit que si l’halloween n’était pas encore devenue tout à fait une fête du cul sado-maso où le cuir de chauve-souris se coince dans les gencives de vampires, la Saint-Valentin, avant 40 ans, n’est plus l’anniversaire de l’amour, mais la Fête officielle du rentre-dedans où la douzaine de capotes kiwi-fraise se disputent la faveur du public contre les chocolats fourrés à l’Astroglide.

Attention, oh! ce n’est pas que je sois contre ce commerce et cette inévitable déviation du sens, mais je m’inquiète. À plus d’un titre. D’abord de l’usure et de la banalisation du sexe.

Mais surtout, je tiens à vous rappeler que, comme le précise la notice du fleuriste, la petite poudre qui accompagne les tiges de roses, même si elle s’appelle préservatif, goûte méchant et ne se mange pas.