Qu'est-ce qu'un sport olympique? : Sport de salon
Société

Qu’est-ce qu’un sport olympique? : Sport de salon

Les Jeux olympiques, qui débuteront bientôt à Salt Lake City, s’ouvrent maintenant à des sports qui, jusque-là, n’ont jamais été assimilés à des disciplines olympiques. Par exemple, le bridge pourrait même en devenir une! Question: c’est quoi au juste, un sport olympique?

Vous avez toujours rêvé de participer aux Olympiques, mais vous n’avez pas vraiment l’intention de laisser tomber votre paquet de Player’s Light quotidien?

Vous auriez voulu voyager à travers le monde avec l’élite du sport, mais vous avez l’âge cumulatif de toute l’équipe féminine de gymnastique roumaine?

Eh bien, le Comité international olympique pourrait vous sauver. En effet, les Jeux se montrent de plus en plus ouverts à des disciplines qui, jusque-là, n’ont jamais été assimilées à des sport olympiques.

Que penser du skeleton, une nouvelle discilpine de luge la tête en avant? Que diriez-vous, par exemple, de participer aux Jeux olympiques de Turin de 2006 en tant que membre de l’équipe nationale de… bridge?

La World Bridge Federation, présidée par le Monégasque José Damiani, souhaite que le Grand Prix de bridge, qui se déroulera à Salt Lake City (SLC) quelques jours avant l’ouverture des Jeux olympiques, constitue la dernière étape avant la reconnaissance officielle du bridge comme sport olympique! Sur le site Internet de la WBF, on peut lire qu’"il est espéré que la reconnaissance définitive du bridge comme discipline sportive aura lieu aux Olympiques de 2006 à Turin, en Italie".

Marie-José Turcotte, chef d’antenne de Radio-Canada pour les Olympiques de SLC, ne partage pas l’enthousiasme de M. Damiani. "Le bridge fait partie des activités culturelles de Salt Lake City et ce n’est aucunement sportif. Si le bridge devient un sport olympique à Turin, j’avale mon chapeau."

En effet, le Grand Prix de bridge de Salt Lake City ne fait pas partie du programme sportif des Olympiques de 2002, mais ça ne veut pas dire que les espoirs de la WBF sont complètement farfelus. Le Comité international olympique reconnaît la WBF en tant que fédération sportive internationale depuis 1999, au même titre que les fédérations internationales de rugby, de karaté et de golf. Plusieurs fédérations olympiques nationales comme celles de la Belgique, de la Bulgarie, de la Croatie et… du Canada reconnaissent leurs fédérations nationales de bridge. À la demande du CIO, la WBF a même accepté d’adhérer au Tribunal arbitral du sport et de soumettre les joueurs à des contrôles antidopage lors de toutes les compétitions internationales!

Un bon ménage
Sauf que… même si le bridge est, incroyablement, dans le peloton de tête des "sports" qui aspirent au statut olympique, il semblerait qu’il ait manqué de temps aux qualifications. Le nouveau président du CIO, Jacques Rogge, s’est donné comme priorité la réduction de la taille des Jeux. En effet, le cirque olympique est tellement gros – plus de 10 000 athlètes à Sydney – que plusieurs pays n’ont tout simplement pas les moyens de l’accueillir. Le 18 janvier, M. Rogge a nommé le Montréalais Dick Pound à la tête de la Commission d’étude des Jeux olympiques, chargée de trouver des moyens de réduire la taille des Jeux, sans pour autant réduire les profits.

Le changement de régime au CIO pourrait signifier non seulement la fin des rêves olympiques du bridge, mais aussi la disparition de sports peu populaires ou peu pratiqués. "Le nouveau président veut rapetisser les Jeux, explique Marie-José Turcotte. Avec (l’ancien président du CIO, Juan Antonio) Samaranch, on disait que les sports qui faisaient partie des Olympiques avaient des droits acquis. Avec le nouveau président, même cette idée est ouverte à la discussion."

"Moi, je pense que le sport doit inclure un minimum d’activité physique, raisonne Pierre Harvey, vétéran des Olympiques d’hiver et d’été et analyste pour Radio-Canada à SLC. Le bridge, c’est une habileté sociale, pas un sport." Cela dit, Harvey croit aussi que Dick Pound a beaucoup de travail devant lui s’il espère faire le ménage dans les sports olympiques. "Il a fallu beaucoup d’effort pour qu’ils s’ouvrent au vélo de montagne, et il reste des sports archaïques qui ne sont plus pratiqués. Les dirigeants sont âgés, et s’ils ont gagné une médaille en bobsleigh en 1954, ils vont mourir avant qu’on enlève le bob des Jeux."

Pour être admis aux Jeux, un "sport" olympique doit être pratiqué sur chacun des cinq continents dans le cas des sports d’été, et trois continents dans le cas des sports d’hiver. La définition d’un "sport" ne va pas plus loin. On ne dit pas combien de muscles doivent être utilisés ou s’il est nécessaire de suer pour être un athlète.

Marketing et lobbying
"Personnellement, je crois qu’admettre le bridge comme sport olympique ne répond plus aux objectifs de Pierre de Coubertin, affirme Chau Tran, président de la Fédération québécoise de karaté, sport qui attend toujours son entrée aux Olympiques. Ce serait comme admettre les échecs. N’importe quelle personne qui a fait du sport ou qui l’a étudié sait qu’il y a quatre ou cinq critères fondamentaux qui le définissent, et que le premier de ces critères, c’est le mouvement. Plier le pouce pour bouger un pion, ce n’est pas un sport."

Ça, c’est la théorie. Le CIO, cependant, n’est pas une faculté d’éducation physique. Les Olympiques représentent pour les athlètes une occasion unique de se faire connaître et de décrocher des commanditaires, et, pour cette raison, des dizaines de fédérations sportives courtisent le mouvement olympique avec l’espoir que leur sport soit un jour reconnu en tant que discipline olympique, un peu comme les villes font campagne dans l’espoir de recevoir les Jeux.

Ainsi le karaté, un sport ancien pratiqué à travers le monde, a le même statut olympique que le bridge, le billard et le bowling, et végète dans l’antichambre des Jeux. Tran, qui a personnellement eu l’occasion de discuter avec plusieurs dirigeants du mouvement olympique, incluant Dick Pound, est complètement désillusionné. "Tout dépend de la force du lobbying. Récemment, le taekwondo est devenu un sport olympique. Le taekwondo est beaucoup moins pratiqué que le karaté, mais Um Yong Kim, président de la Fédération internationale de taekwondo et vice-président du CIO, a fait des pressions. Ils sont rentrés.

"Certaines compagnies font du très bon marketing tout en proposant un produit qui ne vaut rien. C’est comme entrer dans une compagnie et penser qu’on va monter les échelons selon notre mérite. Ensuite, on s’aperçoit que tout se décide sur le terrain de golf. Quand je regarde ça, je perds espoir dans le mouvement olympique. J’espère que la nouvelle administration va mieux faire les choses."

"À un moment donné, il va falloir avoir des critères plus clairs, admet Marie-José Turcotte. Je crois que le fait de nommer Dick Pound à une commission est un signe de changement. Mais le fonctionnement même du CIO est très fermé. Il n’y a aucune démocratie. La mentalité n’a pas changé."

Presque personne ne croit que le bridge sera admis comme sport olympique à Turin en 2006, mais dans le mystérieux monde du CIO, où l’argent, les connexions et le lobbying accomplissent beaucoup plus de choses que la sueur et l’effort physique, qui sait ce qui peut arriver? José Damiani et la World Bridge Federation ont dépensé beaucoup d’argent et d’énergie pour obtenir la reconnaissance olympique de leur "sport", ils ne vont certainement pas laisser tomber leur campagne si près du but.

Et si l’équipe canadienne de bridge enfile son survêtement Roots et prend place avec les autres dieux du stade à Turin en 2006, il se trouvera certainement quelqu’un pour donner sa casquette à Marie-José Turcotte.