Droit de cité : L'autoroute de la discorde, la suite
Société

Droit de cité : L’autoroute de la discorde, la suite

Ce qui devait arriver arriva, et de modernisation de la rue Notre-Dame, il n’y aura point. Chevrette tassé sur la voie de garage, Ménard prend les commandes du ministère des Transports et, tambour battant, appuie à deux pieds sur les freins pour tous les projets de son prédécesseur, au moins jusqu’après l’élection de ce printemps ou de cet automne.

Ce qui mène toute relance du projet vers 2006, à la fin du prochain gouvernement; on n’entreprend pas de construction de route en début de mandat. Sinon, quel électeur s’en souviendra dans quatre ans? Mais en 2006, il y aura une autre élection. Alors, selon le même principe, le premier coup de pic ne pourrait avoir lieu avant l’aube de l’autre élection, soit vers 2010. Si les finances publiques le permettent d’ici là…

En destituant Guy Chevrette, le premier ministre Landry vient de mettre un terme à la modernisation de la rue Notre-Dame pour au moins 20 ans. Trop controversé, le projet représentait un potentiel de dérapage en cette année électorale. Il a retiré cette cocotte-minute du feu pour le bien de son gouvernement.

Un projet controversé à cause de l’implication plus intéressée et inopinée que pertinente du nouveau maire Tremblay. Bien que les manières du tough de Joliette ne soient pas des plus élégantes, son irritation pouvait se comprendre: depuis plus de deux ans que son ministère travaillait au projet. Chevrette a marché sur son orgueil de boeuf et a laissé la place pour une rare fois à la voix du public, en permettant qu’une commission indépendante présidée par Gérald Larose prenne acte des besoins et des craintes des résidants du quartier. Il en a tenu compte, et a modifié son projet. Pas de sorties dans le quartier, de plus grandes portions couvertes, plus de parcs. À l’exception de quelques dissidents, son projet de modernisation reçoit un large appui.

Et puis soudain, tout était à recommencer. Tremblay voulait un boulevard urbain, même si ses promesses d’une circulation moindre ne tenaient pas la moindre analyse rigoureuse. Je me répète: la rue Notre-Dame demeurera une importante voie de transit entre l’Est et l’Ouest. En boulevard ou en autoroute. Il n’y aura finalement qu’un statu quo. Et l’enfer assuré qui l’accompagne.

Cependant, les arguments des fans du boulevard urbain sont loin d’être convaincants. On a vraiment charrié de la garnotte au nom d’un environnementalisme de façade.

En premier lieu, celui-ci, transformé en mantra: "Ailleurs, on a compris qu’il ne fallait plus développer d’autoroutes urbaines." Soit, et c’est vrai. Mais ailleurs, il y a longtemps qu’ils ont terminé le développement de leurs réseaux autoroutiers. Au Québec, on a tout commencé, mais rien fini. Montréal a probablement le réseau le plus inachevé des grandes villes du continent. Une demi-douzaine d’autoroutes qui aboutissent soit dans les champs, soit en plein quartier résidentiel. C’est le cas de l’autoroute Ville-Marie, dont Hochelaga-Maisonneuve sert en ce moment de déversoir. Malgré ses défauts, le projet d’autoroute avait l’avantage de canaliser cette circulation non désirée hors du quartier. Pas le boulevard urbain.

Deuxième égarement: "L’avenir est au boulevard urbain." Le boulevard urbain a cette aura de bienfaisance progressiste seulement parce qu’on l’a affublé de cette notion galvaudée d’urbanité. Pour le reste, qu’est-ce qu’un boulevard urbain? Ce sont les boulevards de l’Acadie, Henri-Bourassa, Taschereau; c’est aussi l’avenue Papineau au nord de la Métropolitaine. Bref, pour la modernité et la qualité de vie, on repassera.

L’autre idée tient au fait qu’une autoroute en tranchée brisera irrémédiablement le lien entre le quartier et la berge du fleuve, actuellement occupée par le port. Or, disent les partisans du boulevard "écologique", leur projet vient de pair avec un déménagement du port, au profit d’un parc. C’est écologique, un parc, non? Or, un déménagement du port sur la Rive-Sud, comme on le préconise, exigerait qu’on bétonne à nouveau ailleurs 15, 20, voire 30 kilomètres de rive supplémentaire. À coup sûr, le plus grand outrage au fleuve depuis sa canalisation dans les années 50. C’est sans compter le déménagement de milliers d’emplois hors de l’île. Comme encouragement à l’étalement urbain, on n’a pas fait mieux jusqu’ici. De toute façon, avec les normes environnementales actuelles, on ne pourra jamais aménager un autre port ailleurs.

Et puis, il y a le fameux argument de l’autoroute 30. Paraît-il qu’en la parachevant, nous n’aurions plus besoin d’autoroute sur l’île… D’abord, pour la finir, la 30, il va falloir couper toutes les petites villes de la Rive-Sud en deux, exactement comme on l’a fait avec Notre-Dame-de-Grâce quand on a creusé l’autoroute Décarie. C’est fin encore…

Sinon, elle pourrait les contourner au sud, ce qui ajouterait plusieurs kilomètres au trajet. Mais à ce compte-là, cela demeurerait plus court de piquer à travers Montréal, via le boulevard urbain congestionné de la rue Notre-Dame…