Forum Action Toxico : Au secours du Centre-Sud
Société

Forum Action Toxico : Au secours du Centre-Sud

Le Centre-Sud connaît des heures difficiles. Devant l’incapacité des autorités à répondre à ses besoins criants en matière de toxicomanie et de prostitution de rue, les intervenants Pierre Matteau et Normand Senez proposent au quartier de se reprendre en main. Le duo a décidé de créer le Forum Action Toxico, un regroupement de tous les acteurs du Centre-Sud. Une tribune unique pour les citoyens.

Quand Normand Senez et Pierre Matteau, les deux intervenants en toxicomanie les plus militants de Montréal, ont présenté au journal Voir un projet de regroupement de tous les acteurs du Centre-Sud pour remédier à l’enlisement du quartier, une réaction s’est manifestée d’emblée: enfin!

Depuis des années, le Centre-Sud n’en peut plus et crie à l’aide. Toxicomanie, itinérance, prostitution de rue, santé mentale, criminalité: ce quartier laissé pour compte de Montréal croule sous des problématiques critiques. Alors qu’elles se complexifient et que les besoins augmentent sans cesse, les ressources, elles, s’avèrent non seulement limitées, mais carrément dépassées. Les organismes communautaires en ont plein les bras. La répression policière ne mène à rien. Le réseau de la santé souffre d’impuissance. Et le gouvernement impose, à partir de ses officines, de timides projets déconnectés de la réalité… Bref, aucune approche adaptée aux besoins criants du quartier n’est mise de l’avant, déplorent Matteau et Senez. Si bien que les seringues dans les parcs, les trafiquants aux coins des rues et les prostituées en détresse sont à la fois le paysage du quartier et le lot des résidants.

"Nous ne pouvons plus demander aux citoyennes et citoyens du quartier Centre-Sud de tolérer l’intolérable. Il faut agir et agir maintenant. (…) Il faut se prendre en main et rechercher des solutions durables en fonction de l’intérêt commun de tous les citoyens concernés. Comment sera la situation du quartier Centre-sud dans un an? Dans trois ans? Dans cinq ans?"

Voilà comment Pierre Matteau et Normand Senez décrivent l’urgence d’intervenir dans le Centre-Sud. Dans un document de 60 pages, issu d’une tournée d’organismes de tout acabit qui a duré plusieurs mois, les deux intervenants présentent une nouvelle approche pour tenter de résoudre les maux qui minent le quartier: le Forum Action Toxico (FATOX). Leur objectif? Réunir commerçants, résidants, policiers, intervenants communautaires et acteurs du réseau de la santé afin de discuter des problématiques du quartier et de trouver des pistes de solutions durables. Une première. Fini, la mise sous tutelle du quartier: le Centre-Sud veut se relever et agir, sur la base d’une plus grande solidarité sociale.

"Nous vivons dans un contexte de crise, et c’est pourquoi le projet FATOX est devenu nécessaire, affirme Pierre Matteau, ex-intervenant auprès d’Alerte Centre-Sud qui a quitté le groupe l’année dernière en raison de divergence d’opinions. Nous voyons que la répression ne fonctionne pas et que les citoyens sont exaspérés. Il faut se mobiliser pour parvenir à renverser la situation. Nous avons donc pensé à créer un espace de réflexion. Depuis l’année dernière, nous avons rencontré différents organismes et plusieurs personnes pour connaître leur intérêt. Et la plupart croient au projet. C’est aussi important pour nous de consulter les citoyens afin qu’ils participent activement au Forum. Ce sont des acteurs indispensables, car ce sont eux qui vivent avec toutes ces problématiques." Comme sa force réside dans sa structure totalement autonome et dans son approche novatrice, plusieurs groupes du quartier ont appuyé le FATOX, notamment le Centre St-Pierre, le CLSC des Faubourgs et la Corporation de développement Berri-UQAM. "Le FATOX, insiste Normand Senez, c’est une véritable réforme sociale."

Non au dumping
Au printemps 2000, le rejet quasi unilatéral du projet-pilote de non-judiciarisation de la prostitution de rue par les résidants du quartier Centre-Sud a marqué un important tournant. "Les citoyens ont senti leur destinée décidée par des politiques gouvernementales, des projets venant d’en haut, souligne Normand Senez. Maintenant, les gens ont cheminé, ils veulent participer à la réflexion et arrêter de subir des politiques sociales improvisées."

C’est justement cette façon de traiter les problèmes du quartier Centre-Sud qui pose problème. Le gouvernement impose ses politiques et ses projets aux organismes communautaires, qui n’ont d’autres choix que de les suivre, de fonctionner avec la stratégie des petits pas, de se débrouiller avec peu de moyens et de constater des effets limités. "Depuis plusieurs années, nous assistons dans le réseau de la santé et des services sociaux à un important dumping, organisé et planifié, vers le communautaire, écrivent les auteurs du document de réflexion du FATOX. Ce phénomène est particulièrement marqué pour les problématiques lourdes, qui sont bien présentes dans le quartier, telles que l’itinérance, la santé mentale, la toxicomanie, la prostitution. Le discours qui entoure ce dumping est celui du partenariat, mais lorsque c’est le réseau qui décide de ce que tu vas faire et avec combien (selon des critères qu’il a lui-même définis), on ne parle pas de relation de partenariat mais de relation de pouvoir et de contrôle social. Dans le contexte actuel, le communautaire n’est pas reconnu comme un partenaire mais plutôt comme un sous-traitant dispensateur de services. Cette sous-traitance implique pour le communautaire la perte de son autonomie et un financement qui le maintient en situation de survie. Le but de l’intervention communautaire étant le changement social, il ressort que beaucoup d’organismes communautaires ne sont en réalité que des organismes sans but lucratif au statut précaire qui ne sont pas issus de la communauté mais qui sont plutôt implantés dans cette communauté par une régie régionale afin d’y offrir des services."

Résultat? Les actions des organismes changent selon les priorités du gouvernement. Les solutions proposées prennent ainsi davantage la forme d’un sparadrap sur une immense plaie ouverte. "Actuellement, on ne fait qu’éteindre des feux, indique Pierre Matteau. On y va de moyens isolés et ponctuels qui sont insuffisants. Par exemple, on veut bien donner des seringues propres aux toxicomanes, mais on hésite à installer des bacs à seringues à plusieurs endroits. Ainsi, les seringues souillées se retrouvent souvent dans les parcs! On manque carrément de vision."

Comme il le résume dans le document du FATOX: "Les enjeux sociaux actuels sont énormes et les différents ministères (Santé, Justice, Sécurité publique) n’ont présentement pas de position ni de discours communs, créant ainsi une intervention confuse et inadéquate. Il y a de graves problèmes de coordination et de continuité dans des services auprès de ces personnes qui ne semblent pas recevoir toute l’attention requise de la part des décideurs."

Le Forum Action Toxico, c’est tout le contraire de ce qui se fait en ce moment. Au lieu de se voir imposer des projets par le haut, Matteau et Senez proposent de redonner le pouvoir aux résidants du Centre-Sud et de créer des projets émanant du bas, par et pour les citoyens. "Nous voulons que tous les acteurs du Centre-Sud participent aux solutions et décident de ce qui convient le mieux pour leur quartier", note Pierre Matteau.

Quelles solutions?
C’est bien beau de vouloir trouver des solutions, mais avec la panoplie de problèmes présents dans le Centre-Sud, par où faudrait-il commencer? D’après Matteau et Senez, la toxicomanie représente le fléau numéro un du quartier. Et tant que cette problématique ne fera pas l’objet de plus d’attention, il sera bien difficile de parvenir à changer le visage du Centre-Sud.

Par exemple, la mise en place de piqueries assistées pourrait être une voie à suivre. Il ne s’agit toutefois pas d’une panacée. Ces salles supervisées, destinées aux utilisateurs de drogues injectables, ne formeraient qu’une mesure parmi d’autres. "Il faut avoir une vision, une approche globale, c’est un ensemble de mesures qui peut avoir un impact, et tout ça reste encore à discuter", explique Pierre Matteau.

Dans leur document, Matteau et Senez présentent des exemples de mesures entreprises ailleurs qui pourraient inspirer l’adoption d’un modèle ici. "En Suisse, souligne-t-il, le gouvernement a instauré un système qui s’appuie sur différentes mesures, comme les piqueries assistées et la prescription d’héroïne. Les programmes de désintoxication sont aussi très valorisés. La répression, elle, est davantage tournée vers le commerce de la drogue et le blanchiment d’argent, et non contre les toxicomanes, comme ici. Au départ, c’était très controversé, mais aujourd’hui, c’est considéré comme indispensable. Je pense qu’il est important de donner des exemples de cas ailleurs dans le monde pour montrer que d’autres quartiers ont vécu des situations critiques, mais qu’ils sont parvenus à faire quelque chose. Le Centre-Sud peut y arriver aussi. Il faut trouver un modèle adapté à notre contexte. C’est ce à quoi peut servir le FATOX."

Si le Forum est en cours de formation, les deux instigateurs entendent bien passer à l’action sous peu, avec la recherche de financement et d’appuis supplémentaires, puis des ateliers d’information et des rencontres de groupe. Car Matteau et Senez n’en démordent pas: le Centre-Sud n’est pas un ghetto, les politiques actuelles sont dépassées et la toxicomanie ne représente pas un problème de criminalité, mais bien un problème de santé publique. "En ce moment, avec nos politiques actuelles, conclut Pierre Matteau, tous les citoyens du quartier sont perdants; sauf les trafiquants et les dealers."