Il est subitement, ces temps-ci, beaucoup question des privilèges dont disposent les membres du corps policier en matière de renseignement.
Entendons-nous, on ne parle pas de lutte au terrorisme afghan et des nouvelles normes de C-36, mais des tripotages minables qui permettent quotidiennement au simple flic d’abuser des ressources mises à sa disposition.
Le vérificateur du Québec s’inquiète de l’usage que font les forces de l’ordre des centaines de milliers de renseignements recueillis annuellement auprès du fichier central de police. On présume que nos policiers fouillent trop souvent à des fins personnelles dans la vie du citoyen…
Des flics jaloux pataugeraient illégalement dans la vie des amis de leurs ex-petites amies, d’autres fouilleraient dans le passé de leurs locataires et de leurs voisins en toute impunité?
Laissez-moi vous raconter l’histoire authentique de Linda.
Fuyant le centre-ville de Montréal et ses loyers hors de prix, Linda, une mère de trois enfants en bas âge, s’installa sur la Rive-Sud au milieu des années 90. Le propriétaire du six et demie où elle prit pied était un ex-policier mis en disponibilité… avec salaire.
Monoparentale épuisée, au bord de l’éclatement, dépendant d’entrées financières instables, oubliée par un État où les grosses bourgeoises inconscientes font les meilleurs ministres des Finances, Linda fit tout ce qu’elle pouvait pour assumer ses responsabilités jusqu’au jour où, perdant un boulot passager, elle se retrouva dans le rouge.
Ses retards dans le paiement de son loyer alarmèrent son antipathique proprio qui choisit d’abord de réclamer son dû. Mais pas conformément aux principes établis par la loi
Normal…
Manger ou payer, Linda choisit.
L’ex- policier, lui, choisit d’abuser de ses privilèges.
Un premier du mois, il la séquestra littéralement chez la concierge. Et sous les cris et la menace, la poussa à appeler ses amis à l’aide afin de combler sa dette. Échec. En guise de consolation passagère, le lendemain, il vendit la sécheuse et le lave-vaisselle de Linda contre son gré.
Linda, terrorisée, quitta l’appartement et se réfugia au centre-ville.
Mais sur la rive sud la confrérie du flic s’étend sur des kilomètres à La Ronde… Des pistes cyclables au club vidéo porno du coin… Quelques jours plus tard, le proprio mit sur l’affaire un de ses ex-collègues et ami.
Fouillant sur son terminal, le policier découvrit que notre maman avait, comme bien du monde, et par la force des choses, deux ou trois contraventions impayées.
Il se rendit chez elle et lui fit comprendre que, si elle payait ses arrérages de loyer, la justice oublierait – pour l’instant – ses contraventions.
Toujours sans le sou, Linda refusa ce chantage.
Le lendemain, elle partait passer de chouettes vacances d’hiver bien au chaud à Parthenais.
Une condamnation qui, en temps normal, lui aurait valu trois semaines de travaux communautaires s’étira comme par hasard sur deux semaines de prison. Les ambitions du ministre Ménard de réduire l’encombrement des prisons était visiblement tombées dans les oreilles d’un vieux juge sourd…
Aurait-elle pu se défendre? Raconter le chantage dont elle était victime?
Avez-vous déjà passé 15 minutes devant une cour de justice?
Dans les estrades du festival de l’arrivisme, où, planqués derrière le code civil, des gens bien comme il faut négocient des ententes incompréhensibles dans un langage alambiqué, on a plutôt tendance à ignorer la bavure… je ne suis pas sûr qu’on l’aurait prise au sérieux.
Pendant que ses enfants, sans abri, s’éparpillaient dans Montréal, Linda connut en prison la honte et l’impossibilité d’emprunter ne serait-ce qu’un stylo Bic pour défendre sa dignité. Sympathiques comme des lames de rasoir rouillées, les filles du bloc lui faisaient assez peur pour qu’elle s’enferme encore un peu plus chaque jour dans sa cellule…
Trois mois plus tard, contre toute attente, son tortionnaire se retrouva en justice pour une affaire semblable. Il fut accusé de coercition ou quelque chose du genre et trouvé coupable. Et, il me semble que finalement, sous l’oeil bienveillant de son syndicat, il fut mis à la pré-retraite, pensionné.
L’histoire de Linda est bien banale. Mais je crois tout de même qu’il est de rigueur, ces jours-ci, alors que les bonzes de la loi et de la santé réclament en choeur une scandaleuse absence d’imputabilité, de craindre que la justice ne soit menacée de déviances par les privilèges illégitimes de ceux-là mêmes qui l’appliquent.