L'obésité chez les jeunes enfants : Un problème de taille
Société

L’obésité chez les jeunes enfants : Un problème de taille

Les enfants montréalais d’âge primaire sont de plus en plus gros. À tel point que la Direction de la santé publique tire maintenant la sonnette d’alarme. Que faire? Valoriser l’activité physique et une bonne alimentation? Un problème plus complexe qu’il n’y paraît.

Ce n’est un secret pour personne, le problème du surplus de poids en Amérique du Nord grandit à vue d’oeil. Alors qu’il affecte nos voisins du sud depuis plusieurs années (60 % de la population des États-Unis a un excès de kilos), les différents organismes canadiens de la santé s’inquiètent de la progression du phénomène au pays. Et voilà que même les tout-petits en souffrent.

Une étude effectuée par la Direction de la santé publique (DSP) de Montréal-Centre entre 1993 et 1997, dans 24 écoles de milieux défavorisés de Montréal, brosse un sombre portrait de la situation. Ainsi, 35 % des garçons de 9 à 12 ans ont des kilos en trop. De ce nombre, 15 % sont obèses, soit 25 % plus de poids que la normale. La situation est légèrement moins grave du côté des filles du même âge, dont 33 % souffrent d’un excès de poids et 13 % d’obésité. Une proportion qui a augmenté de 4 % durant l’enquête, peu importe le sexe de l’enfant.

Non seulement rien ne laisse voir une amélioration de la situation depuis ce temps, mais le problème tend à se généraliser. Même si aucun rapport récent ne couvre l’ensemble de la province pour les enfants du primaire, la DSP s’inquiète. "Il est évident que ça touche maintenant toutes les couches de la société, non seulement les milieux défavorisés", soutient l’agente de planification au comité Santé, nutrition et activité physique de la DSP, Dominique Lesage.

Selon le comité, formé il y a quelques mois par la DSP pour étudier le phénomène et trouver des solutions, plusieurs facteurs entrent en jeu pour expliquer l’obésité chez les 9 à 12 ans. "C’est de plus en plus facile pour les enfants d’avoir accès à de la nourriture riche en gras et faible en valeur nutritive, souligne Dominique Lesage. Prenons par exemple les publicités du produit Rouleau fruit, destiné aux enfants. Ça ne remplace aucunement les fruits comme elles le disent et, de plus, c’est riche en calories. C’est le cas des chips, des boissons gazeuses et de beaucoup de produits que les jeunes consomment aujourd’hui."

Si l’alimentation des enfants doit s’améliorer, rien ne pèse aussi lourd dans la balance que l’activité physique: le sport n’a plus la cote chez les jeunes. En 2001, selon l’Institut national de santé publique, 57 % des garçons et 71 % des filles de 13 ans au Québec ne faisaient pas assez d’activité physique pour en bénéficier. Pire, ce désintéressement va en s’accentuant. Santé Canada révélait en juillet 2000, lors d’une enquête s’échelonnant entre 1990 et 1998, que 17 % des garçons et 25 % des filles de 6e année faisaient moins de sport à la fin de l’étude qu’au début.

L’électronique a le dessus
Selon la responsable du comité Santé, nutrition et activité physique, Véronique Déry, les jeunes sont désormais tournés vers les jeux vidéo, Internet et l’ordinateur. Des occupations sédentaires qui augmentent leurs risques de souffrir d’un surplus de poids. "Les enfants sont beaucoup moins dehors qu’avant, affirme le médecin. Il faut des pommettes rouges et des activités de plein air pour garder un jeune en forme."

Pour inciter les enfants à jouer à l’extérieur ou tout simplement à faire de l’activité physique comme la marche ou le vélo, le directeur de la santé publique de Montréal-Centre, Richard Lessard, a produit un rapport, dévoilé il y a un peu plus d’une semaine. Ce dernier met de l’avant une série de recommandations qui touchent tout l’environnement du jeune au primaire: l’école, la municipalité, le service de garde, les associations de sport, les parents, le ministère de l’Éducation… tout le monde a un rôle à jouer pour garder les enfants actifs, selon lui. "Ne pas se préoccuper du problème, c’est se mettre la tête dans le sable!" soutient le médecin, sur un ton sans équivoque.

Si la parole est ferme, c’est que la DSP a aussi un oeil sur l’avenir. Et si rien ne bouge, les années futures s’annoncent noires. "On se crée des problèmes pour lesquels on va payer cher plus tard, pense Richard Lessard. Il est prouvé que plusieurs maladies chroniques se développent plus facilement sans activité physique. C’est le cas notamment de certains types de diabète et de cancer. Il faut faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard."

Le ministère pointé du doigt
Pour changer la tendance à l’inactivité, la DSP veut faire de l’école un morceau important du casse-tête. "Le milieu scolaire est l’endroit où le jeune passe le plus de temps, rappelle Dominique Lesage. Il faut donc que ça passe aussi par là." Mais la réforme de l’éducation mise en place en septembre 2000 va à l’encontre des objectifs du directeur de la santé publique.

Avant la réforme, le ministère de l’Éducation recommandait aux écoles de mettre 120 minutes d’activité physique par semaine dans la grille horaire. Depuis, la recommandation est de 60 minutes. Le ministère se défend bien de nuire à la santé des enfants. "Ça reste des suggestions, il n’y a aucune obligation là-dedans, proteste l’agent de communication au ministère, François Moisan. Si une école veut mettre plus de 60 minutes par semaine pour l’éducation physique, elle en a le droit."

C’est effectivement au conseil d’établissement de chaque école de décider la répartition des matières. Pour les enfants de 9 et 10 ans, outre le temps réservé au français et aux mathématiques, les institutions d’enseignement disposent de 11 heures et demie par semaine à répartir entre sept autres matières, dont éducation physique, anglais, histoire et géographie, enseignement religieux ou morale, sciences et technologies et deux formes d’arts au choix. "La compétition entre matières est une réalité, estime Véronique Déry. Et c’est souvent l’éducation physique qui écope."

Bien que la DSP n’hésite pas à jeter une partie du blâme sur le ministère de l’Éducation, elle reconnaît toutefois que le gouvernement n’est pas le seul à faire fausse route. Les parents aussi méritent une mauvaise note. "Les parents jouent un rôle important dans les conseils d’établissements, souligne Dominique Lesage. Souvent, les adultes préfèrent voir leurs enfants faire deux fois plus d’anglais, de sciences ou d’informatique." Le directeur de la DSP, Richard Lessard, s’insurge contre cette façon de voir. "La plupart des gens croient que plus le jeune apprend intellectuellement, plus il aura de chances de réussir plus tard, explique-t-il. Ce n’est pas suffisant, il faut plus pour développer un enfant, et l’activité physique est nécessaire."

Une école différente
Certains établissements prennent toutefois le problème à bras-le-corps. À l’école Pierre-de-Coubertin, dans le nord de Montréal, on ne fait pas écho aux recommandations du gouvernement. Dans cette institution, les jeunes du primaire font 300 minutes d’activité physique par semaine, soit une heure minimum par jour! Ce qui est très supérieur à la moyenne montréalaise, qui est de 65 minutes par semaine.

"La planification demande un grand travail, précise la directrice de l’école, Sylvie Favreau. On a le même programme qu’ailleurs, mais les jeunes ont un peu plus de devoirs à la maison. Les profs doivent préparer soigneusement leurs cours pour qu’il n’y ait aucun temps de perdu en classe." Ce choix, effectué il y a 18 ans, alors "qu’on parlait déjà de l’importance de l’activité physique", rigole Sylvie Favreau, semble porter fruit.

Même si l’école a déjà été classée "milieu défavorisé" et reste près de l’être, les résultats des élèves sont très bons. "Ce qui est sûr, c’est que chaque élève qui arrive ici augmente ses notes ou demeure au même niveau, souligne fièrement la directrice. De plus, ils doivent travailler un peu plus fort qu’ailleurs pour maintenir le rythme." Malgré le fait qu’il n’existe aucune recherche prouvant le lien entre les résultats scolaires d’un enfant et la forme physique, la DSP croit elle aussi qu’il y a corrélation entre les deux. "Le sport canalise l’énergie de l’enfant, ce qui l’aide à rester concentré en classe, avance Dominique Lesage. C’est aussi très bon pour l’estime de soi et les relations sociales du jeune."

Sylvie Favreau constate tout de même qu’il y a des enfants avec un surplus de poids dans son établissement. "L’activité physique aide à contrer le phénomène, mais il n’y a pas que ça, soutient-elle. Il faudrait peut-être qu’on incite davantage les jeunes à bouger, en mettant davantage de périodes de cirque ou de danse au programme."

Le directeur de la DSP abonde dans le même sens et c’est pourquoi il se donne une grosse commande pour les années à venir. "Il faut changer toute la mentalité de la société concernant l’activité physique, pense-t-il. Il faut tout revoir, de la nutrition de l’enfant jusqu’aux cours donnés à l’école. C’est le temps ou jamais de s’attaquer au problème." Du pain sur la planche en perspective…