![Produits dérivés des partis politiques : Afficher ses couleurs](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/11/11661_1;1920x768.jpg)
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Produits dérivés des partis politiques : Afficher ses couleurs
Tout cela est bien mignon: petits chapeaux en vogue à l’effigie d’un parti politique, balles de golf ou manteaux permettant d’afficher son allégeance, etc. Mais l’apparition de boutiques en ligne des partis permettant de vendre du matériel promotionnel est-elle révélatrice de la tangente publicitaire qu’a prise la politique en général? Acheter et voter, du pareil au même?
David Desjardins
Ce n’est un secret pour personne, les partis politiques et les gouvernements investissent plus que jamais dans la publicité sous toutes ses formes. Propagande, incitatifs, campagnes informatives et préventives ou même… produits dérivés. Il n’est donc pas tout à fait surprenant de constater que plusieurs des sites Internet de partis fédéraux comprennent une boutique en ligne.
Balles de golf, épinglettes, chapeaux, casquettes, coupe-vent, parapluies, manteaux, t-shirts et gilets de coton ouaté ornés du logo du parti concerné y sont affichés en vitrine virtuelle avec le plus grand sérieux, utilisant parfois, comme c’est le cas au Parti libéral du Canada, un quelconque quidam comme pitoyable mannequin d’un jour.
Les temps changent
Un phénomène creusant de plus en plus profondément le fossé entre la notion d’adhésion à une idéologie et la nouvelle vision marketing de la politique qui consiste, comme en affaires, à offrir un produit auquel le consommateur s’identifie. Les idées étant en perte de vitesse, on cherche à vendre une image. Au même titre que les compagnies de vêtements ou de boissons, les partis politiques vendent des articles de consommation courante – panneaux publicitaires déguisés – qu’utiliseront leurs acheteurs. Partisannerie et consommation, propagande et publicité: même combat?
"Depuis les années 60 et surtout depuis 1980, le conseiller publicitaire [dans les partis politiques] a de plus en plus de poids dans la balance", croit Claude Cossette, fondateur de la plus importante agence de pub au Canada, universitaire et auteur du récent ouvrage anti-pub La Publicité: déchet culturel.
Selon Claude Cossette, les stratégies de visibilité des partis politiques ont dramatiquement changé: "Avant, on présentait des publicités basées sur les idées ou qui offraient simplement une présence. Aujourd’hui, on fait des sondages qui sont comme des études de marché et on dit aux gens ce qu’ils veulent entendre au premier plan de la campagne. C’est devenu un produit, ce n’est plus un domaine d’idées. C’est l’approche marketing. Dans le même sens, les gouvernements dirigent par sondages et même si on ne fait pas ce qu’on a promis, on dit aux gens qu’on va le faire, on les rassure."
Dans le sillage de la nouvelle gauche, Claude Cossette dénonce les phénomènes d’appropriation des logos, des marques, par les consommateurs: l’inscription de l’individu dans une société de loisirs s’appuyant sur les diktats du marché. Selon lui, ces boutiques en ligne sont le symptôme de ce dérapage à l’échelle globale.
Image de marque
La qualité du produit étant donc secondaire, on préfère de loin le statut social et l’identification à la masse qu’il procure. En politique, comme chez les grandes corporations, le symbole serait-il devenu un outil à faire du fric? "Le logo, l’image de marque d’un parti politique a une valeur sociale, explique Cossette. Si 40 % de la population est vendue aux libéraux par exemple, le logo du parti a une grande valeur marchande. Là, il y a des sous-traitants qui disent: "Passez-nous votre marque et nous mettrons des produits en marché et nous vous donnerons un pourcentage." C’est la même chose qu’avec Cadbury, qui vend son nom pour vendre du lait alors qu’elle ne fabrique que du chocolat. C’est comme cela pour toutes les grandes marques. La valeur ajoutée d’un article portant un logo de marque permet d’augmenter la valeur de vente du produit et d’en tirer un meilleur profit. C’est la même chose pour les partis politiques et, en même temps, c’est une manière pour le parti de diffuser une image. [La diffusion en boucle], c’est la répétition et on sait que c’est une des principales stratégies dans la publicité, car les gens peu intéressés par la politique – et il y en a beaucoup – voteront comme ils achèteraient un produit avec lequel ils ne sont pas familiers, en optant pour celui que la publicité leur a le plus souvent montré."
Trou d’un coup
L’un de ces sous-traitants dont parle le prof Cossette, Steven Sparling, conçoit les produits dérivés pour la boutique en ligne du Parti progressiste conservateur du Canada. Il est aussi membre de la fondation du parti et affirme avoir créé cette boutique pour lui venir en aide. "Le site fonctionne très bien, prétend-il, ces objets se vendent parce qu’il s’agit de produits que les gens désirent avoir et nous les leur procurons. Personnellement, je ne crois pas que ce soit le même phénomène qu’en mode où on cherche la marque, mais plutôt comme quelqu’un qui porterait le manteau de la compagnie pour laquelle il travaille puisqu’il se sent lié à l’entreprise, qu’il existe un sentiment d’appartenance."
Tandis qu’au Parti libéral du Canada on se fait plutôt évasif quant au rendement de son propre site (le plus complet, il comprend des dizaines d’articles différents), Sparling n’hésite pas à commenter la compétition inhérente à la politique et à la vente de produits de consommation entre concurrents, avouant qu’il consulte parfois les sites des autres partis: "Bien sûr, il existe d’autres sites et, en politique comme en affaires, il y a toujours de la compétition." Mais comment se fait-il que son site n’offre pas, comme le font les libéraux et l’Alliance (qui n’a pas de boutique en ligne, mais un catalogue d’articles vendus par courrier), des balles de golf à l’effigie du parti? Car Dieu sait si politique et golf sont intimement reliés. "[Rires] Nous sommes en plein hiver, mais si ce produit est en demande, nous aurons certainement des balles de golf à vendre l’été prochain", spécifie-t-il. C’est la loi du marché, n’est-ce pas? "Exactement."