Le jour se couche à peine dans les sous-bois de Saint-Valentin que, déjà, sous les mousses vertes et le feuillage humide, s’agite avec une vigueur inhabituelle toute une faune inquiète et douce.
C’est que, voyez-vous, comme dans une fable de Jean de La Fontaine, les petits animaux s’en vont se réunir discrètement dans la clairière, près du cimetière, afin de prêter forme, pelisse et traits de caractère aux amours de ce 14 février si froid.
S’ils le font de bon cour et ne comptent pas le temps emprunté sur le sommeil et la quête de nourriture, c’est qu’ils savent que, sans eux, sans s’identifier à eux, même en cette journée bénie, l’homme et la femme ne pourraient exprimer convenablement leurs élans de tendresse.
Ainsi, dans un frisson d’extase parcourant l’échine, cervidés, rongeurs et volatiles songent à tous ces hommes rentrant au bercail, chocolats, parfums et roses roses sous le bras.
Ils entendent les amants, les légitimes, invoquer dans un souffle leurs fiers noms d’animaux libres, afin de dire cette douceur de vivre en couple, parfois, et de se lover l’un dans l’autre comme des chats.
"Joyeuse Saint-Valentin mon lapin, mon canard, ma caille…" lancent les amoureux, épris, en jouant de la langue et des lèvres…
D’autres, d’un certain âge, se sont saisis du placide bestiaire de la basse-cour où les tendresses immédiates et les rapports convenus semblent propices à réaffirmer des affections anciennes:
"Bonne fête mon poussin, mon poulet, mon gros cochonnet, mon tendre agneau, mon ti-lard, ma fesse de veau chérie…"
Et c’est sans surprise, afin de prolonger ces instants de pur bonheur, qu’après quelques verres d’un excellent champagne, tous s’installent en tête à tête devant une argenterie clinquante.
"À table, ma chérie!"
À table, donc. Mousse de canard au porto, civet de lapin sauce moutarde, côte de chevreuil braisée aux olives noires, ragoût de mouton à l’ail des bois, on déguste au clair de lune avec force élégance tant de mets fins, dont les effluves exquis glissent sous la dent, que l’estomac du célibataire endormi à l’étage le réveille de ses propres gargouillements.
À la première bouchée, levant les yeux au ciel, les amants émus s’élancent dans un bénédicité immense, afin de rendre grâce de tant d’abondance au dieu qui les anime, les chérit et ne les prend pas pour des canards sauvages.
Et c’est à peine si, dans la lumière dansante des chandelles, leurs regards, éperdus, glissent sur ce spectacle charmant:
Aux poutres du plafond, suspendus par leurs entrailles vertes, madame poulet, monsieur lapin, compère canard et toute la chorale des petits poussins morts-nés, joliment décorés de leurs intestins sanglants, s’éclatent les tripes et chantent en chour, la gorge tout ouverte: "Joyeuse Saint-Valentin".
Vous le pensez bien, un tel spectacle, débordant d’harmonie, n’a pu être improvisé.
Et même si, pour les grands du show-business, l’effort est rarement apparent, chez Maple Leaf et Olymel pourtant, le soleil ne se couche jamais sur la scène où tant de générations d’artistes ont sué sang et eau afin de payer la rançon d’une gloire qui leur échappe.
Dans ce monde animal où le don de soi est plus qu’une vocation, on a fait preuve, ces temps-ci, d’une pudeur de circonstance alors que quelques profiteurs sans scrupules vantent un peu partout les mérites d’une diète faite exclusivement de grains et d’hormones.
Mais délaissons là ces considérations qui… tuent quelque peu la magie du moment et revenons à nos amoureux de mi-mois.
La soirée s’étire, messieurs dames.
Et le silence est revenu dans la clairière, près du cimetière.
Sachant qu’il est toujours trop tard, les amants, d’une dernière bouchée repus, s’entraînent l’un l’autre vers la chambre sombre, au pays des caresses, des tendresses, laissant là les âmes mortes et les restes tièdes de nos amis.