Après Pôrto Alegre : Lendemain de veille
Société

Après Pôrto Alegre : Lendemain de veille

Le Forum social mondial vient à peine de se terminer que déjà les délégations québécoises présentes au Brésil voient les retombées positives de l’événement. Reste maintenant à appliquer concrètement la tempête de propositions qui a sévi à Pôrto Alegre (toute une commande!). Réflexion sur le  mouvement.

Il y a un peu plus d’une semaine s’achevait, à Pôrto Alegre, au Brésil, le deuxième Forum social mondial (FSM). Pendant six jours, des représentants de plus de 4000 organismes provenant de 131 pays ont tenté de faire contrepoids au Forum économique mondial (FEM), qui se déroulait simultanément à New York. L’objectif est ambitieux: donner à la mondialisation en cours un visage humain.

De l’avis même des ONG québécoises, qui formaient une délégation de près de 150 personnes, le FSM "est un processus, pas une fin". Alors, même s’il y a loin de la coupe aux lèvres, ces associations estiment que l’événement est une réussite colossale. "L’ampleur de la participation et la couverture médiatique montrent bien le succès du Forum", pense le président d’Attac-Québec, Robert Jasmin, qui était à Pôrto Alegre avec 12 autres représentants de l’organisme, pour soutenir entre autres l’instauration d’une taxe sur les transactions financières (taxe Tobin).

En effet, si le FSM est devenu cette année "un interlocuteur incontournable pour trouver des solutions de rechange au néolibéralisme", comme l’affirme Robert Jasmin, c’est surtout grâce à sa taille. Avec 51 000 participants officiellement inscrits (sans compter les journalistes et les observateurs), le Forum est l’un des plus imposants événements de l’histoire.

Tisser des liens
Avec autant de participants, il était plus facile d’atteindre l’un des buts avoués par les organisateurs: celui de consolider et dynamiser le "mouvement citoyen", passablement tranquille depuis le 11 septembre. Selon Robert Jasmin, c’est mission accomplie. "Les contacts humains sont très importants pour garder les organismes unis, explique-t-il. Les tapes sur l’épaule et les discussions face à face tissent des liens plus difficiles à démanteler." Robert Jasmin donne comme exemple non seulement les appuis qu’il a reçus de la Fédération des femmes du Québec et de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, qui accordent aujourd’hui leur soutien à la taxe Tobin, "mais aussi les rencontres très productives avec les autres groupes Attac, présents dans 35 pays". À la suite du FSM, des projets de grande envergure, comme la rédaction d’un manifeste commun, sont désormais sur les rails.

Chez Alternatives, qui sensibilise la population sur les enjeux de la mondialisation, on estime aussi que le dialogue est primordial. L’ONG a même animé l’une des conférences, intitulée "Lutte et résistance en Amérique du Nord". "Le Forum est là pour écouter, mais aussi pour montrer ce qui se fait ailleurs, explique le président, Pierre Beaudet, qui était accompagné de 50 personnes affiliées à son organisme, ce qui en faisait la plus importante association québécoise présente. Beaucoup de gens croyaient que des pays riches comme le Canada ou les États-Unis ne se préoccupaient pas des débats actuels."

Du côté d’Équiterre, un groupe qui prône le commerce équitable, on voulait avant tout se faire connaître. "Notre façon de faire était déjà connue et elle existe dans plusieurs pays, explique l’un des trois membres de la délégation, Abdi Rahman. Mais avec d’autres groupes, nous avons élaboré des ententes et des protocoles pour élargir notre offre. Il n’y aura plus juste le café équitable. Éventuellement, nous pourrons offrir le chocolat équitable pour les enfants ou des fruits équitables, comme les bananes."

Même si les fils de la toile se resserrent et que les ententes se multiplient, il n’est aucunement question de mettre en place un organisme mondial unique pour gérer les mouvements sociaux. "C’est plus coordonné qu’avant, mais il n’y aura jamais un seul lieu de pouvoir, soutient Pierre Beaudet. Les contacts vont justement permettre de faire des actions en commun, tout en restant chacun autonome."

Le son de cloche est le même chez Équiterre. "On ne peut pas manquer un forum aussi important, c’est essentiel d’y être pour continuer à évoluer dans notre champ d’activité, juge Abdi Rahman. Mais il n’est pas question de changer de façon de faire. C’est clair qu’il faut penser globalement, mais agir localement."

Approche régionale
C’est justement dans le but de refléter plus précisément la problématique de chaque endroit du monde que le FSM a accouché cette année des Forums sociaux régionaux (FSR). Ces forums, organisés à plus petite échelle partout sur la planète, permettront à des organismes qui n’ont pas les moyens de se rendre au Brésil de joindre leur voix au concert. Les idées reçues dans les FSR auront la possibilité de faire leur chemin jusqu’au FSM, qui restera un événement annuel.

"C’est un grand pas, soutient Robert Jasmin. Non seulement ça permettra à des délégations africaines et asiatiques plus pauvres de participer aux discussions, mais ça sensibilisera aussi des régions comme l’Asie de l’Est, peu présentes au FSM." Le FSR de l’Amérique du Nord pourrait voir le jour dès octobre. L’endroit reste à déterminer.

Si le "mouvement citoyen" s’enracine de plus en plus solidement, est-il envisageable de voir un jour le Forum économique mondial et le Forum social mondial se tendre la main et chercher des solutions ensemble? "Ce n’est pas possible et souhaitable, tranche Robert Jasmin. Les mentalités sont trop opposées. Tant que les gouvernements et les multinationales voudront mettre des pansements sur les plaies plutôt que d’envisager une tout autre logique, le dialogue sera impossible."

Cette autre logique, c’est redonner la place qui s’impose aux différents gouvernements, avance Pierre Beaudet. "Ce sont les compagnies qui décident de tout présentement, dit-il. C’est à nos gouvernements de s’engager pour aider les pays pauvres et mettre en place des mesures pour encadrer la mondialisation. L’ONU doit devenir ce qu’il prétend être, représenter les gens du monde entier. C’est par là que ça doit changer."

Robert Jasmin voit d’ailleurs d’un bon oeil la présence de députés au FSM, dont certains du Parti québécois et du Bloc. "Ils n’étaient pas admis officiellement parce qu’on ne veut pas que des dirigeants orientent les discussions vers leurs intérêts, explique le président d’Attac-Québec. Mais le fait qu’ils soient attentifs est un pas dans la bonne direction. Je ne crois pas que ce soit seulement de la récupération à des fins politiques."

Avec les répercussions du FSM dans les médias, les élus semblent s’intéresser davantage au "mouvement citoyen". Pourtant, au même moment, seulement 10 000 personnes marchaient à New York pour protester contre les argentiers du monde en réunion. Changement de stratégie? "On ne délaisse pas la rue, affirme Pierre Beaudet. C’est important de maintenir la pression à tous les niveaux. Mais il faut aussi faire avancer nos idées avec le dialogue. On a des choses à gagner en mettant tous les moyens ensemble."