![Droit de cité : Les intégristes du Plateau](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/11/11745_1;1920x768.jpg)
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Droit de cité : Les intégristes du Plateau
Éric Grenier
Photo : Victor Diaz Lamich
Ils voulaient d’abord interdire la construction des condos sur pilotis. Maintenant, ils souhaitent qu’on ne construise plus rien. Ou presque, c’est-à-dire que la Ville décrète un moratoire sur toute construction de condominiums dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. Qui ça? Les intégristes du Plateau.
Le projet approuvé par la Ville de Montréal prévoit la construction de 98 condominiums sur pilotis par-dessus les horribles stationnements situés au nord de l’avenue du Mont-Royal, entre les rues Marquette et de Lanaudière. Autrefois, sur ces stationnements, gisaient des dizaines de logements qu’on a démolis, chassant leurs résidants pour permettre à un plus grand nombre de banlieusards d’accéder au quartier en voiture, plutôt qu’en transport en commun. Avec pour conséquence plus de circulation, plus de pollution, plus de bruit, plus de piétons qui se font frapper.
Mais les activistes du Plateau craignent que le projet apporte une trop grande densité de population (ce qui est idiot dans un quartier qui a déjà été une fois et demie plus populeux et troué de toute part par des édifices incendiés qu’on n’a jamais reconstruits), que les stationnements couverts ne couvent, justement, une criminalité rampante: viols, vols, vente de drogue, le Bronx quoi.
Pourtant, le projet respecte à la lettre les règlements de zonage et le plan d’urbanisme, mais également l’esprit même du Plateau; il n’est pas question d’habitations de grand luxe complètement désynchronisées avec l’architecture voisine, mais tout au plus destinées à une classe moyenne supérieure, en symbiose architecturale avec le voisinage. De plus, il a l’avantage de laisser souffler un peu de pression sur la demande excessive pour l’habitation dans le quartier. Bien peu peut-être, mais aucun projet et aucune politique d’habitation ne pourraient de toute façon à lui ou à elle seule remettre en équilibre ce marché totalement gaga.
Leur position est d’autant plus insoutenable que la plupart des résidences arborant l’affiche "Touchez pas à mon Plateau", signe distinctif des opposants au projet, sont elles-mêmes soit des copropriétés, soit des résidences privées. Bref, ils défendent à autrui ce qu’ils ont obtenu. Et l’utilisation de l’adjectif possessif "mon", comme dans "MON Plateau", ressemble à une appropriation des lieux franchement égoïste, très proche de celle de ces petites villes privées américaines où les vieux "s’emmurent" dans une riche collectivité de retraités à l’abri des enfants, des colporteurs, des voleurs ou de tout autre intrus menaçant leur sacro-saint droit à la tranquillité telle qu’ils la conçoivent.
Pourtant, ils sont tous un peu de la même eau, ceux qui y habitent déjà, et ceux qui veulent y emménager: professionnels, assez bien nantis sans être riches, artistes, etc. Il n’y a pas beaucoup de mères de famille monoparentale avec un secondaire trois.
Alors, à moins que tous les Montréalais contribuent par le biais de leurs taxes à un coûteux dédommagement au promoteur si la Ville annule la vente de l’espace, parce qu’un groupe de citoyens ne voulaient pas de nouveaux voisins dans leur cour, il n’y a plus de sortie.
On propose donc maintenant d’imposer un moratoire sur toute nouvelle construction de condos. L’argument? Dans peu de temps, les espaces libres auront tous été comblés par des condos, juste des condos, et il n’y aura plus un centimètre carré disponible pour d’autres types d’habitation. C’est comme exiger la fin de la trithérapie parce qu’on n’a pas encore trouvé de remède miracle au sida. Et parce que la trithérapie a le mauvais effet de rassurer un peu trop les gens devant la propagation de la maladie.
S’ils étaient vraiment sincères dans leurs revendications d’un Plateau pour tous, les activistes exigeraient plutôt qu’on accompagne les projets de copropriétés d’autres formes d’habitation.
Il y a quelques semaines, je mentionnais le désir des élus démocrates de l’État du Massachusetts de forcer les promoteurs immobiliers à faire une place aux logements destinés aux familles à faible revenu dans chacun de leurs projets de construction, ce qu’on appelle un zonage inclusif ou, dans une langue plus populaire, un zonage anti-snob. Dix pour cent des unités construites devront l’être pour les familles à faible revenu.
Évidemment, on ne pourrait pas appliquer une telle politique à Montréal immédiatement. Il faut d’abord revoir le plan d’urbanisme, une tâche colossale, et on devra commander des dizaines d’avis légaux pour voir si une telle réglementation ne contreviendrait pas à d’autres. Mais, en attendant, on peut en repiquer l’esprit. C’est-à-dire inciter fortement les promoteurs à réserver certaines des nouvelles unités à la location abordable, par le biais de subventions, de crédits de taxes ou autre.
Quatre-vingt-dix-huit condos? Et si c’était 80 condos et 18 logements locatifs subventionnés? Et si on répétait l’expérience partout dans la ville?