Les galas télévisés : Et les gagnants sont…?
Société

Les galas télévisés : Et les gagnants sont…?

La Soirée des Masques ne fait pas l’unanimité, tout comme les prix Jutra et Félix. Et un premier gala littéraire est boycotté avant même sa diffusion. Bref, les galas télévisés soulèvent la controverse. En cette saison de soirées à trophées, une question se pose: à quoi servent les galas?

C’est la saison de la chasse aux trophées. Ces remises de prix devenues de gros shows de télé font le bonheur des producteurs, des lauréats et de leurs fans, mais blessent les laissés-pour-compte et ennuient, ou même exaspèrent, une partie du public. Pour un Garou qui brandit quatre Félix, combien d’oubliés?

C’est immanquable: à chaque gala, son scandale. En avril, un petit nouveau devrait voir le jour à Télé-Québec, question de récompenser les auteurs et artisans du livre. Et devinez quoi? Avant même que les nominations soient annoncées, le milieu littéraire est sur le pied de guerre, et des maisons d’édition refusent de participer au pow-wow. Devant cet exemple, on peut se demander: les galas, qu’est-ce que ça donne?

Imaginez une famille pauvre, dont le voisin gagne à la loterie. C’est en quelque sorte ce qui arrive aux éditeurs de livres, dont les plus affamés questionnent les subventions obtenues par la Corporation des Odyssées du livre pour la création d’un gala télévisé, le premier du genre. Pour se distinguer des centaines de prix littéraires existants, la Corporation a promis de récompenser "tous les artisans du métier du livre", avec 28 trophées. Quatre éditeurs, Boréal, Lanctôt Éditeur, Libre Expression et Septentrion, ont affirmé qu’ils ne participeraient pas au gala, qu’ils jugent improvisé. Quand on sait que Boréal a publié 75 titres l’an dernier (dont celui d’une certaine Marie Laberge), sur un total d’environ 4000 au Québec, on comprend l’importance du boycott! Cela dit, 88 éditeurs francophones du Québec et du Canada tenteront leur chance.

"Certains éditeurs sont plus ou moins convaincus de la valeur d’un gala, reconnaît Lise Oligny, directrice de la Corporation. Mais je pense que la promotion du livre, ce n’est jamais perdu." Notons que la SODEC a investi 180 000 $ dans l’aventure. "Mais nous espérons aller chercher en tout près de un million en subventions, ce qui peut sembler beaucoup dans le domaine du livre, mais représente peu dans celui de la télé, ajoute madame Oligny."

En désaccord avec cette initiative, Denis Vaugeois, directeur des Éditions Septentrion et président de l’Association nationale des éditeurs de livres, suggère d’autres solutions, par exemple plus d’émissions et d’articles consacrés au livre. "Un gala ne récompense qu’un nombre restreint de personnes. C’est encourager la société de vedettariat, où les idées profondes ne sont pas abordées."

Son collègue de Boréal est sur la même longueur d’ondes. "La formule gala n’est pas adaptée au livre, croit Pascal Assathiany. Les auteurs n’ont pas tous l’habitude du show-business! De plus, on nous a demandé d’envoyer trois exemplaires de nos publications, ce qui fait beaucoup. J’aurais préféré faire une sélection, pour éviter que 90 % de ces livres finissent à la poubelle." Pas suffisamment convaincue des retombées économiques de l’événement, l’Association des libraires du Québec s’en dissocie elle aussi, affirmant qu’il y a là "utilisation inappropriée d’une importante enveloppe budgétaire".

L’idée de se pavaner sous les projecteurs fait sourire l’écrivain Guillaume Vigneault, pour qui "la télé et le glitter" se marient mal avec la littérature. "C’est étrange qu’un gala qui prétend parler des réussites dans le domaine du livre puisse se passer de Boréal, Libre Expression et Lanctôt. C’est un peu comme si Gallimard, Seuil et Grasset ne participaient pas au Goncourt! En général, je trouve les galas lassants et répétitifs; je crois qu’il y aurait place pour une formule plus intimiste."

Malgré leurs réserves, tous s’entendent pour attendre la diffusion de la production signée Pixcom, le 23 avril, afin de juger de la pertinence du concept. Si on obtient une rose à l’achat d’un bouquin en cette Journée mondiale du livre, on pourrait peut-être avoir droit à la livraison d’une pizza si on regarde le gala?

Du grand au petit écran
Joint dès son retour de Toronto, où son film La femme qui boit a permis à Élise Guilbault de gagner le Génie de la meilleure interprétation féminine, Bernard Émond ne cache pas ses réserves. Bien sûr, un prix, ça fait un velours. Mais il sait bien que le Génie remporté ne ramènera pas son long métrage en salle, et qu’un Jutra n’aurait à la limite "qu’un impact sur les locations en cassettes". D’emblée, il prévient Voir: il déteste les galas, trouve ça d’un ennui total. De plus, des confrères lui ont confirmé que l’année qui suit un triomphe est "rarement la meilleure" pour un cinéaste. "Je ne suis pas certain que ce soit la bonne façon de juger des films. Je serais curieux de savoir combien de fois les galas sont passés à côté des meilleures oeuvres. J’ai l’impression qu’ils favorisent les gros films, ceux qui ont eu le plus long passage en salle, qui ont des distributeurs et des producteurs actifs, et des réalisateurs médiatiques." Il ajoute toutefois que les galas ont probablement un caractère positif, puisqu’ils peuvent élargir les horizons du téléspectateur…

Ça, le délégué général des prix Jutra, Henry Welsh, n’en doute pas. À l’entendre, les lauréats de la 4e édition, présentée ce dimanche, peuvent espérer des retombées importantes. Ainsi, le film L’Ange de goudron, de Denis Chouinard, aurait repris l’affiche en raison de sa nomination aux Oscars québécois. Les Jutra disposent d’un budget de 932 000 $, dont 35 % de subventions. Si, en coulisses, on chuchote que le milieu du cinéma nage dans l’argent, en réalité, c’est inférieur aux Masques (budget de l’Académie du théâtre: 1 600 000 $), pour des cotes d’écoute deux fois supérieures.

De la scène au salon
Difficile de reprocher quelque chose à la pétillante huitième cérémonie des Masques, si ce n’est quelques bizarreries dans les nominations. Selon Jean-Léon Rondeau, président de l’Académie québécoise du théâtre, ces inévitables incohérences importent peu, puisque la remise de prix n’est qu’un prétexte pour promouvoir le théâtre. "Pour une partie des artistes, c’est même un mal nécessaire, reconnaît-il. Il ne faut pas prendre cela trop au sérieux."

Mais récompenser des spectacles qui ont quitté l’affiche, ça sert à quoi? Pourquoi ne pas investir plutôt dans l’adaptation télé de pièces? À en croire le président de l’Académie, l’augmentation du nombre de reprises théâtrales serait directement attribuable aux Masques. Cette année, un téléspectateur touché par la grâce devant son écran aurait le choix entre huit reprises de spectacles nominés. "L’argent que nous allons chercher par le biais de subventions, environ 15 % de notre budget, n’est pas enlevé à la production. Et les Masques font vendre des billets."

Sur la scène musicale, deux galas se font face. Celui de l’ADISQ, regardé par plus d’un million de curieux, s’ouvre doucement aux nouveaux courants musicaux. On a vu en octobre Jorane s’y démener en compagnie de Marie-Jo Thério et Claire Pelletier. Interrogée sur les retombées de l’événement, la productrice Louise Laplante confirme que les ventes de disques grimpent après le gala, et l’illustre avec "une exception qui confirme la règle": Daniel Boucher, pratiquement né sous les projecteurs du gala, il y a deux ans, qui a vendu ensuite 50 000 disques en quelques semaines. Un vrai conte de fées.

Le gala MIMI propose quant à lui un gros party en l’honneur de l’industrie du disque parallèle, diffusé en direct sur le Web le 3 mars (www.bandeapart.fm). En tout, 22 prix seront distribués aux artistes choisis par le public lors d’une soirée marquée par 10 prestations live. En cinq ans, la fête s’est assagie, et l’anti-gala ressemble de plus en plus à un vrai, remarque Jean-Robert Bisaillon. "Le but, c’est de permettre aux artistes de sortir de l’underground durant une semaine." Les organisateurs espèrent même trouver un diffuseur, pour qu’une version écourtée de l’événement puisse être retransmise dans les chaumières, comme les autres galas. Plus ça change…

Finalement, peu importe la discipline artistique, un gala, c’est un peu comme une visite chez le dentiste. Pas forcément amusant, mais nécessaire. Interrogé sur l’utilité de ces cérémonies, Bernard Émond conclut: "Il y a deux positions: celle du puriste, convaincu que les galas donnent lieu à des injustices, et l’autre, qui est de s’avouer que la réalité passe par la télévision. Pour exister, il faut être à la télé. C’est terrible, mais nous en sommes là."

Eh bien, dans ce cas, à vos postes, prêts, regardez!