Vos REER sont-ils éthiques? : Argent propre
Société

Vos REER sont-ils éthiques? : Argent propre

Vous voulez investir dans des REER sans financer des compagnies aux pratiques douteuses? Pourquoi ne pas opter pour des fonds éthiques! De plus en plus connu, l’investissement socialement responsable permet de faire fructifier son argent sans agir sur le dos de l’environnement ou des travailleurs du tiers-monde. Explications.

Les épargnants avertis la connaissent, d’autres l’ignorent: la période des REER bat son plein et se terminera sous peu. C’est bien beau de penser à ses vieux jours, de mettre des sous de côté pour sauver de l’impôt, mais sait-on seulement dans quoi l’argent durement gagné est investi? Qui dit que les fonds dans lesquels sont placés vos REER ne comprennent pas des actions de compagnies qui exploitent des enfants dans le tiers-monde, polluent des cours d’eau, enfreignent les droits les plus élémentaires des travailleurs dans les pays du Sud ou appuient des régimes douteux?

Impossible de ne pas se sentir concerné. Quiconque cotise à une caisse de retraite, un régime de rentes, ou investit en Bourse peut se poser la question: mon investissement est-il "socialement responsable"?

L’investissement socialement responsable (ou éthique), c’est le nouveau terme en vogue. Et en ce début d’année, période des REER oblige, l’expression prend plus que jamais de l’importance. Au lieu de rechercher uniquement de bons rendements financiers, les investisseurs "éthiques" s’assurent d’acheter des actions d’entreprises qui respectent certaines valeurs. Exit les compagnies qui oeuvrent dans l’armement et développent des organismes génétiquement modifiés. Bienvenue celles qui respectent l’environnement et les droits humains.

"Nous pensons qu’investir ne doit pas que rapporter de l’argent, mais aussi respecter nos valeurs." Brenda Plant, qui n’a rien d’une boursicoteuse granola néo-hippie, est membre du Groupe d’investissement éthique (GIE), un club d’investissement créé en 1998. Ses 46 membres investissent chacun de 50 à 300 dollars par mois, sommes réinvesties dans des compagnies dont les activités n’ont rien à voir avec le tabac, le jeu, l’alcool ou l’armement, et rien à se reprocher côté environnement et droits de l’homme. Quelque 60 % du portefeuille du GIE est destiné à acheter des actions de compagnies responsables comme Energy Conversion Devices, qui conçoit des technologies propres, ou Whole Foods, qui développe des aliments biologiques (sans OGM). L’autre partie, 40 %, est consacrée au développement communautaire, comme l’Aurora Business Project, un programme de microcrédit qui finance des projets de femmes de quartiers défavorisés.

Le nouvel engouement pour ces pratiques financières éthiques est tel que le GIE a aidé à la création de deux autres groupes montréalais basés sur son propre modèle. Il y a de quoi: les rendements boursiers du GIE ont atteint 28,4 % en 2000 et 12,83% en moyenne par année depuis sa fondation!

Actionnariat militant
"C’est compliqué d’investir de façon responsable, car les compagnies n’ont pas de transparence et ne disent pas tout au sujet de leurs activités", souligne Brenda Plant. C’est pour surmonter cette difficulté que le Groupe d’investissement responsable (GIR) a été créé il y a un an. "J’ai vu qu’il y avait un intérêt parmi la population et de la part de groupes comme les syndicats et les communautés religieuses pour se doter d’outils permettant d’investir de façon plus socialement responsable. Il n’existait aucune firme spécialisée dans ce domaine à Montréal, alors qu’il y en avait à Toronto et aux États-Unis. Je pensais que c’était important d’en avoir une ici", affirme François Rebello, président et fondateur de GIR, une division de la firme de courtage Demers Conseil.

Le GIR conseille les investisseurs, particuliers comme caisses de retraite, pour qu’ils placent leurs avoirs dans des fonds éthiques offerts ici, c’est-à-dire seulement une dizaine. Parmi eux, par exemple, le Fonds Investors exclut les entreprises engagées dans les industries nucléaire, pornographique et militaire. Le Fonds Acuité, quant à lui, privilégie les entreprises qui utilisent des technologies durables et disposent d’un dossier environnemental sans tache.

En plus d’exclure ou d’inclure des compagnies selon certains critères sociaux et environnementaux, cette forme d’investissement militant va plus loin. Plusieurs investisseurs font pression sur les entreprises délinquantes en utilisant le pouvoir que leur confère leur statut d’actionnaire. Ceux-ci déposent des propositions sur des questions sociales lors des assemblées d’actionnaires dans le but d’amener la direction des entreprises à prendre ces questions au sérieux. L’ensemble des actionnaires doit alors se prononcer par vote sur ces questions. Par exemple, une proposition déposée l’année dernière devant l’assemblée des actionnaires de la Compagnie de la Baie d’Hudson a obtenu environ 15 % du vote et forcé la direction à donner un coup de barre à son code de conduite envers ses fournisseurs afin d’éviter toute violation des droits humains de leur part.

"Je ne me contenterais pas d’une approche qui permet uniquement aux gens de se donner bonne conscience, estime François Rebello, ancien président de Force jeunesse et de la Fédération étudiante universitaire du Québec. Au bout du compte, ça doit changer les choses. Il ne faut pas seulement encourager les compagnies responsables, mais aussi demander à celles qui ne le sont pas de changer d’attitude. Un bon exemple est celui de Talisman, une compagnie pétrolière de l’Alberta. Une proposition d’un actionnaire, appuyée à 25 %, lui demandait de faire une étude pour s’assurer que ses opérations au Soudan n’étaient pas contraires aux droits de l’homme. La compagnie a refusé. Des caisses de retraite importantes et des communautés religieuses ont vendu leurs actions de Talisman, entraînant sa chute. Et depuis, ce titre est handicapé par rapport à ses concurrents. C’est même devenu un titre risqué. On voit que les investisseurs éthiques peuvent faire bouger les choses."

Payant et gratifiant
L’investissement socialement responsable ne fait pas que soulager les consciences et satisfaire le militant en soi: il rapporte aussi. Ce n’est pas un obstacle à la performance, puisque celles des fonds éthiques et réguliers sont comparables. "Les études démontrent qu’à long terme, il n’y a pas vraiment de différence entre un fonds éthique et un autre fonds, note François Rebello. Depuis le 11 septembre, comme le prix du pétrole a baissé et que les titres liés aux nouvelles technologies ont remonté, les fonds éthiques ont même dépassé la moyenne des autres fonds." Fait à noter, les fonds éthiques canadiens ont crû de 75 % entre 1998 et 2000 (comparativement à 30 % pour les autres fonds), passant de 5,9 milliards à 10,35 milliards en 2000.

"Au-delà du rendement financier, l’investissement éthique permet d’agir concrètement à l’intérieur d’un système économique qu’on dénonce souvent", croit Brenda Plant. "Il faut utiliser le pouvoir qu’on a comme investisseur et épargnant pour changer la société, conclut François Rebello. C’est trop souvent sous-estimé."