Société

Le temps de glace

Ah! Bernard Landry, l’homme qui manie si bien l’apostrophe. Qu’on soit pour ou qu’on soit contre ses idées et son style plein de grâce, ces temps-ci, on lui tendrait volontiers la main et l’on ferait avec lui le chemin vers la gare en portant ses valises pour le dernier train vers nulle part.

Ah! Bernard Landry, l’homme qui manie si bien l’apostrophe. Qu’on soit pour ou qu’on soit contre ses idées et son style plein de grâce, ces temps-ci, on lui tendrait volontiers la main et l’on ferait avec lui le chemin vers la gare en portant ses valises pour le dernier train vers nulle part.

Mais Bernard Landry est – si j’ose dire – déjà parti.

En goguette vers Moscou avec les préposés aux bénéficiaires des autres provinces canadiennes où, dit-on, il évite sagement les deux controverses québécoises préférées: les lobbys et le patinage artistique.

Voilà une destination qui, à mon avis, manque de flair politique et d’opportunisme.

Que n’a-t-il pas pris un aller simple vers Salt Lake City, histoire de redorer son image de marque.

Personnellement, je l’aurais bien vu distribuer félicitations et médailles en fromage P’tit Québec sous l’oeil bienveillant des dignitaires unilingues de Sport Canada. Et j’aurais apprécié qu’ils nous rappelle que David et Annie Pelletier n’ont aucun lien de parenté avec Jean, afin que nous restions fiers de ces vrais Québécois.

Je l’aurais bien vu, et croyez-moi ç’aurait été un plus, en commentateur, sauver du déshonneur une langue française horriblement malmenée par la bafouillante équipe d’analystes de Radio-Canada. Je l’aurais agréablement retrouvé, en direct sur les pentes, lui qui reste tout de même l’un des grands spécialistes de la descente en ligne droite, comme le démontrent les intentions de vote des Québécois.

Mieux. Qui parmi les autorités de Skate Canada aurait pu résister à l’envie de lui trouver un petit coin de glace, histoire de lui permettre de montrer toute son habileté à faire des huit et à tourner en rond comme l’option nationale?

Mais la performance eut été accomplie en pure perte. Et aigri par sa défaite, M. Landry aurait évoqué la partisanerie d’un jury vendu d’avance à la clarté référendaire, estimant qu’il faut plus de cinq virgule un pour remporter la partie. D’autant que depuis Bush et Jospin, on ne peut guère compter sur la France ni l’Amérique pour un p’tit coup de pouce.

Il en aurait eu aussi contre tous ces journalistes qui, comme le Comité olympique de Québec 2002, font des montagnes avec des riens.

Curling? Hockey? Proposons plutôt à notre premier ministre de se consacrer à l’un de ces sports d’équipe où l’on peut, au moins, justifier la défaite en accusant pêle-mêle le sort, la glace, les blessures ou l’origine ethnique de la Zamboni.

"On n’a rien à se reprocher. On a tout fait. Remanié les trios, mis de côté les joueurs démotivés, opté pour la jeunesse, retiré le gardien à la dernière minute… mais définitivement, la puck roulait pas pour nous autres", confiera le chef à Michel Bergeron.

Mais… mais… un instant M. Quenneville! Quelle est cette ombre furtive assise au dernier rang dans les estrades au côté des dignitaires canadiens? Ciel! Michel, serait-ce Jean Charest, le fantôme du parlement Gatorade qui attend patiemment que vienne l’heure inévitable où les bleus, à force de tricoter avec la rondelle, s’effondreront d’eux-mêmes, épuisés par l’abus de temps de glace, le manque de relève et les conflits internes?

N’en voulons pas à M. Landry d’être, à plus d’un titre, comme une patineuse malhabile. Dans l’adversité, il demeure stoïque, s’acharne tout de même à sourire et dissimule les erreurs de parcours sous de savantes arabesques. Remarquez, si plus personne ne le donne gagnant pour le match final, en emportant son parti vers le précipice, lui, au moins, il respecte la devise olympique: peu importe le résultat, l’important, c’est de participer.