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Les candy ravers : Au pays de Candy
Les manufacturiers de tétines et de toutous miniatures auraient été bien surpris si on leur avait dit, il y a 10 ans, que leurs produits allaient devenir un jour les marottes de la night life de milliers de jeunes adultes. La tribu des "candy ravers" désarçonne tout le monde, dans le milieu de la techno comme ailleurs. Si pour certains ils symbolisent l’emprise de la mode sur le milieu, pour d’autres ils incarnent plutôt les vraies valeurs de la culture rave. Et si c’était tout cela en même temps?
Isabelle Porter
Photo : Erick Labbé
"Au pays de Candy,
Comme dans tous les pays,
On s’amuse, on pleure, on rit,
Il y a des méchants et des gentils.
Et pour sortir des moments difficiles,
Avoir des amis, c’est très utile,
Un peu d’astuces, d’espièglerie…
C’est la vie de Candy!"
– Chanson thème d’un populaire dessin animé.
Dans un rave, vous ne pouvez pas les manquer. Dans la rue, encore moins. Ils sont voyants par définition. Le candy type porte des pattes d’éléphant en fourrure jaune serin, des bracelets multicolores du poignet à l’épaule, un paquet d’accessoires qui clignotent ou illuminent, des dizaines de peluches accrochées à ses vêtements et, surtout, des sucettes plein son sac pour donner aux amis. Il a entre 17 et 20 ans, étudie ou travaille comme tous les jeunes de son âge. À cette exception près qu’il ne se trouve vraiment chez lui que parmi des milliers de personnes dans un rave, déguisé en dessin animé.
Mais attention, ce n’est pas juste une affaire d’apparence, nous dit-on. "Être candy, c’est aussi une façon de voir la vie. C’est pas juste des culottes poilues. T’aimes vraiment tes amis!" explique Noise Angel, 20 ans, rencontrée récemment lors d’un rave au Centre des congrès.
Les candy se présentent comme les vaillants défenseurs de la "vraie" culture rave, le PLUR: peace, love, unity, respect, sorte de credo qu’ils répètent sans cesse à la manière du peace man des années 1970. "Moi, c’est pour la mentalité que je me tiens ici. On a des boîtes à bonbons puis on en donne comme des enfants naïfs qui jugent personne. C’est ça, le PLUR", lance Anne-Marie, 15 ans, avant de nous offrir un jujube.
Victimes de la mode?
Toutefois, les candy ont beau se présenter comme les ravers les plus puristes, ils symbolisent pour plusieurs l’emprise de la mode sur ce beau petit univers. Alors qu’aux débuts des années 1990, les ravers s’habillaient n’importe comment pour le plaisir d’être différents, les candy ont aujourd’hui un look bien standardisé.
Strafe est l’un des modérateurs du forum de RaveZone, un site Web très populaire auprès des candy de Québec. Selon lui, le phénomène est relativement nouveau. "Je pense que ç’a commencé au début par le plaisir de s’habiller bizarre juste pour le fun. Puis, jumelé avec l’effet de l’ecstasy et l’idée du retour en enfance, il y a comme un style qui a émergé de ça, même si au début c’était pas voulu que ça devienne défini."
Étant donné le nombre croissant d’adeptes, on ne se surprendra pas de voir apparaître dans les gros événements des kiosques où l’on vend pantalons en peau de vache, bijoux en Fimo et glowsticks (sorte de bâtons fluorescents pour danser que les ravers s’échangent durant les soirées). Internet regorge d’ailleurs de sites où sont vendus à crédit les accessoires les plus inimaginables comme ces petits boutons clignotants qu’on s’accroche au nombril ou ces mini-ventilateurs en plastique rose en format collier. Au-delà du kitsch consommé de la chose, il faut bien reconnaître que tout cela donne un joyeux défilé de couleurs.
Mario Jacques, manufacturier de vêtements qui vend ses produits dans les raves, s’émeut presque devant le phénomène. "La couleur, ça représente la jeunesse, la joie… C’est une forme d’ouverture. Regardez-le, il n’y aucune forme d’agressivité dans leurs visages. C’est encore plus peace que dans notre temps."
Nos amies les drogues
Mais plus ça change, plus c’est pareil. Les candy ne sont pas tous des drogués, mais, comme il y a 30 ans, la drogue joue quand même son rôle dans ce culte de l’harmonie. "Il faut pas se le cacher, la drogue y est pour quelque chose. T’es comme dans une bulle d’amour, d’amitié", précise Toupet, une autre habituée des raves de Québec. "C’est pas compliqué, il y a trois sortes de personnes dans les raves: ceux qui vendent de la drogue, ceux qui viennent pour triper puis ceux qui veulent se montrer." Les fameuses drogues sont d’ailleurs à l’origine de certains choix vestimentaires. C’est notamment le cas des tétines que les ravers portent pour s’empêcher de claquer des dents, l’un des effets connus de l’ecstasy. L’idée de porter des pantalons en fourrure, par exemple, peut paraître complètement saugrenue quand on sait à quel point il fait chaud dans les rassemblements techno. Toutefois, il semble que l’effet de sensualité produit par la drogue donne aux ravers un goût particulier pour les sensations tactiles, les textures.
Candy et clubbers
Mais tous ne s’éclatent pas de la même façon dans les soirées techno. Question d’âge et de goûts, la faune rave s’est segmentée depuis son émergence à Québec au début des années 1990. D’un côté, les candy ravers, d’ordinaire plus jeunes, avec leur préférence pour la musique électronique "joyeuse" et leur discours contre l’alcool. De l’autre, ceux qu’on appelle les "clubbers". Plus âgés, ils se massent dans les raves à la fermeture des bars, préfèrent un style de musique house et, surtout, sont plus portés vers la drague. D’où des frictions évidentes entre ces deux sous-cultures. Les candy leur reprochent souvent de ne pas être toujours gentils et de ne pas respecter les règles du PLUR. Bref, les codes sociaux ne sont pas les mêmes, d’où des situations pour le moins délicates. "Certains candy ont de la misère avec les clubbers parce qu’ils n’ont pas la même philosophie. Ils ont l’impression que les clubbers viennent pour se pogner des filles alors que les candy, eux, veulent juste donner de l’affection", illustre Noise Angel.
Cette critique a sa contrepartie. Les fameux clubbers, pour peu qu’ils soient familiers avec la situation, ne se gênent pas non plus pour critiquer les candy, en les présentant comme des adolescents ridicules. Le quotidien anglais The Independent rapportait, il y a deux ans, qu’en Grande-Bretagne, certains bars leur bloquaient systématiquement l’entrée. Pas question de rentrer dans une boîte de nuit avec ses jouets! Selon le journaliste Rob Fearn, la vague candy serait apparue en 1998 en Angleterre, quoique là-bas on les appelle plutôt les "gatecrashers" ou encore les "cyberfreaks". "La friction avec les clubbers plus âgés est attribuable au fait que le phénomène des cyberfreaks constitue la première renaissance de la techno. Les gens adoptent un paquet de styles qu’ils étaient trop jeunes pour expérimenter à l’origine", écrit-il (traduction maladroite de: "This friction is largely because the cyberfreaks phenomenon is clubbing’s first real revival, with clubbers embracing a hotchpotch of styles they were too young to experience first hand."
On trouve même dans le Web un site carrément anti-rave où sont attaqués tout particulièrement les candy, leurs costumes et leurs contradictions. Parfois avec humour, parfois pas du tout. Comme c’est le cas avec cette photo montrant un type en train de peloter une fille à la limite de l’inconscience. "PLUR: peace, love, unity, rape", peut-on lire (en français: paix, amour, unité, viol).
Virage commercial
Malgré ce que certains pourraient qualifier de guerre idéologique entre candy et clubbers, les incidents violents sont rares. Les promoteurs ont d’ailleurs tendance à s’adapter à la situation soit en faisant des fêtes qui ciblent l’une ou l’autre des clientèles, soit en leur réservant chacun leur salle. Ainsi, outre les histoires de drogue ou les problèmes de permis, les policiers rapportent peu de délits, et ce, malgré le fait que les raves attirent un nombre grandissant de personnes.
Le nombre d’événements aussi se multiplie. Selon Rebelle, aussi modératrice sur RaveZone, on compte à Québec seulement au moins un rave par semaine, si ce n’est deux ou trois. Fait intéressant, le site qui avait été créé, il y a deux ans, par et pour un petit groupe d’amis, est devenu ces derniers mois le point de ralliement des ravers de la région et plus particulièrement des candy. Pas moins de 700 personnes prennent part au forum de discussion régulièrement. Les membres de cette communauté virtuelle organisent leurs propres activités et se reconnaissent dans les partys rave en écrivant leur surnom de forum (nick) sur leur bras.
Pour les organisateurs d’événements, le site est devenu une espèce de baromètre. Un gros promoteur de Montréal aurait même annulé un party récemment à la suite de réactions négatives à ses activités de promotion de la part des participants au forum. Selon Rebelle, "les ravers sont devenus de plus en plus difficiles et critiques sur les salles". Bref, tout ce beau monde est de moins en moins organisé de manière underground avec ce que ça a de bon et de moins bon. D’un côté, en organisant de gros événements plus commerciaux, les promoteurs peuvent se permettre de faire venir parmi les meilleurs D.J. de l’étranger, chose inimaginable il y a quelques années.
Mais cette nouvelle donne n’est pas exempte d’abus. "Il arrive qu’il y ait juste de l’eau chaude dans les toilettes. Ils barrent l’eau froide pour que les gens achètent des bouteilles d’eau. C’est dangereux parce que ceux qui prennent de la drogue, ils ont besoin d’eau et ils ont pas nécessairement l’argent pour s’acheter quatre bouteilles d’eau à 5 $", raconte Cyre de RaveZone. Qui plus est, le prix du billet a littéralement monté en flèche, se chiffrant autour de 40 $ à l’entrée. Ajoutez les boissons, les vêtements et l’ecstasy à 30 $ la pilule et faites le compte: un party rave en bonne et due forme se chiffre au minimum à 100 $, 200 $ pour plusieurs.
Les raves se seraient-ils embourgeoisés? Oubliez aujourd’hui les partys d’entrepôt dans des lieux inconnus. Les smart drinks faits maison ont été remplacés par les marques de compagnies qui souvent commanditent les événements. Il est même arrivé à Québec qu’on annonce un rave dans une conférence de presse. Mais ne mettons pas tout sur le dos des promoteurs, ces derniers suivent quand même une tendance de plus en plus marquée. "Un party d’entrepôt? Si quelqu’un faisait ça, le lendemain le monde chialerait sur le forum pour dire que les toilettes n’étaient pas propres", lance Rebelle.
Vivre à l’envers
Aussi ironique que cela puisse paraître pour certains puristes, le style candy vend, et ce, même à l’extérieur de la scène techno. On peut acheter des glowsticks dans les discothèques conventionnelles et il est devenu commun de voir dans les bars des filles avec des brillants sur le visage ou dans les cheveux. Ce qui fait craindre à certains que la culture rave ait perdu son côté alternatif. Oui et non, croit l’auteur irlandais Stephen McCarthy. Dans un brillant essai sur les cultures de jeunes, cet universitaire fait valoir que le style rave auquel s’attachent les candy "n’est ni dominant, ni marginal, mais les deux à la fois".
Pour le comprendre, il faut d’abord mettre de côté la perspective de classes, avance-t-il. "Les styles scandaleux, qui étaient autrefois la marque des sous-cultures et qui délimitaient la frontière entre sous-cultures et culture dominante, reflètent à présent la disparition de cette division." McCarthy rappelle à juste titre que depuis qu’elle existe, la culture rave n’a jamais exprimé la moindre revendication. Peut-être parce que la culture techno exprime plutôt le besoin de fuir un système devant le risque d’échouer à le réformer. Comme les peace il y a 30 ans; les punks il y a 20 ans. "Il s’agit d’un regain d’innocence et d’un désir d’oublier les problèmes pendant un moment. C’est la recréation d’une époque de nos vies où le jeu était essentiel, et où les disputes entre papa et maman ou leurs problèmes d’argent, ou encore le trou dans la couche d’ozone étaient des questions sans importance." D’où cette fuite du monde adulte, ce monde préoccupé par le profit et les choses matérielles. Ainsi, tout comme les candy qui la défendent, la culture rave traverse une sorte de crise d’adolescence où elle tente de résister au méchant monde des adultes. Non sans peine. En attendant, elle permet encore à une génération d’assumer la réalité en la faisant fonctionner à reculons. Comme l’exprime si bien Rebelle, "le rave, c’est un refus de la société comme elle est. On fait du 9 à 5 du lundi au vendredi. Vivre la nuit, c’est vivre à l’envers."
Pour en savoir plus:
– Le site de RaveZone Québec: http://www.ravezone.barkode-productions.com
– Le site anti-rave officiel (en anglais): www.i-mockery.com/antirave/main.asp
– Pour lire l’essai de Stephen McCarthy: http://culture.coe.fr/postsummit/citoyennete/documents
/fseminar981208refdoc.htm