![La taxe Tobin : Taxer les riches, donner aux pauvres](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/11/11923_1;1920x768.jpg)
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La taxe Tobin : Taxer les riches, donner aux pauvres
L’idée d’aider les pays pauvres avec une taxe sur les marchés financiers, comme la taxe Tobin, fait du chemin. Le consensus est maintenant si fort dans la société civile que les gouvernements commencent à bouger. Changements majeurs en vue? Portrait d’un idéal qui prend forme.
Alec Castonguay
Au Forum Social Mondial de Pôrto Alegre, qui a pris fin le 5 février dernier, le message est sorti clairement: les 51 000 participants ont unanimement approuvé l’idée d’une taxe sur les marchés financiers, comme la taxe Tobin. Le mouvement ATTAC, pour qui l’implantation de cette mesure est le principal cheval de bataille, ne crie pourtant pas victoire. "C’est une étape de plus, il ne faut pas relâcher la pression", soutient le secrétaire général d’ATTAC-Québec et ancien président de l’organisme, Pierre Henrichon.
Car l’idée même de la taxe Tobin n’est pas nouvelle. Imaginée par l’économiste américain James Tobin vers la fin des années 70, cette mesure avait pour but de freiner la spéculation monétaire sur les devises des différents pays. En imposant une taxe de 0,1 % sur chaque spéculation, James Tobin voulait calmer les marchés financiers qui commençaient déjà, il y a plus de 25 ans, à être instables. Et la situation est loin d’avoir changé.
Même si la proposition est formulée autrement, remise au goût du jour au milieu des années 90, freiner la spéculation monétaire reste un objectif. Pourquoi? "Les spéculateurs profitent de l’instabilité des marchés en pariant sur l’augmentation ou la baisse de la devise d’un pays, explique Pierre Henrichon, dont le mouvement ATTAC est maintenant présent dans 40 pays. Mais les sommes sont énormes et peuvent se chiffrer en milliards de dollars. Lorsqu’on spécule avec de tels montants et qu’on bouge ses capitaux, on peut déstabiliser un pays en entier. C’est très grave, car juste avec de l’argent virtuel, on peut mettre à mal une population entière."
Le cas le plus connu est sans doute celui du Mexique. En 1995, le peso a perdu 25 % de sa valeur, uniquement parce que des prévisions floues avançaient que l’économie du pays allait péricliter. Résultat: le gouvernement mexicain a dû augmenter les taux d’intérêt pour protéger la valeur de la monnaie. Les Mexicains, passablement endettés, n’ont pu rembourser leurs dettes et les faillites se sont comptées par milliers.
Mais le Mexique est un exemple parmi d’autres, estime Bernard Élie, économiste et professeur à l’Université du Québec à Montréal. Selon lui, près de 200 crises monétaires semblables ont eu lieu dans le monde depuis 25 ans. Et avec des transactions sur les devises qui frôlent actuellement les 1600 milliards de dollars par jour sur la planète, selon les données d’ATTAC-France, rien ne garantit que le phénomène se résorbera.
La taxe Tobin de 0,1 % pourra-t-elle contrôler ces flux sauvages? "Il faut au moins tenter le coup, avance l’économiste, et jusqu’à tout récemment professeur à l’Université de Montréal, Jean-Guy Loranger. Il faut mettre du sable dans l’engrenage et ralentir les transactions." Mais selon Bernard Élie, cette taxe serait trop faible pour faire reculer les spéculateurs. "La taxe n’est pas assez élevée pour décourager les marchés financiers, croit-il. Quand les spéculateurs font des profits de 10 à 15 % par transaction, ce n’est pas 0,1 % qui va les arrêter."
Un fonds pour les pays pauvres
Si les échanges sur les devises ne peuvent être véritablement freinés, vu l’ampleur des transactions actuelles, il faut au moins profiter de cette richesse. C’est le message des quelque 1000 parlementaires dans le monde qui ont signé une déclaration dans laquelle ils appuient le principe de la taxe.
Ce que certains élus voudraient, appuyés par des mouvements comme ATTAC, c’est que cette taxe de 0,1 % rapporte des dividendes aux pays en voie de développement. "À défaut de véritablement freiner la spéculation, on va au moins créer un fonds pour aider les pays pauvres, souligne Pierre Henrichon. L’argent serait récurrent et les gouvernements ne seraient pas obligés de mettre la main dans leur poche, ce qu’ils font déjà bien peu." Toujours selon les chiffres d’ATTAC-France, une taxe de 0,1 % rapporterait entre 200 et 250 milliards de dollars par année. "De l’argent neuf qui aiderait les pays défavorisés dans des domaines comme la santé et l’environnement", avance Pierre Henrichon. Ce fonds, suggèrent les organismes sociaux, doit par contre être géré par l’ONU et les pays directement visés par cette aide.
Le hic? Aucun pays ne peut aller de l’avant seul. Tous doivent prendre le train en même temps. "Il faudra un accord international pour que cette taxe voie le jour, pense Bernard Élie. Il faut que tous les pays industrialisés décident de l’appliquer pour ne pas que les spéculateurs contournent la taxe."
Un objectif qui semble pourtant à des années-lumière d’être réalisable. "Les États-Unis ne veulent rien savoir, affirme Bernard Élie. Ça va contre leur principe de libre circulation des capitaux et il n’y a aucune volonté réelle de leur part d’aider les pays pauvres. Il faudra une crise monétaire au sein même des États-Unis pour qu’ils se réveillent." Selon Jean-Guy Loranger, le Canada doit se poser en défenseur de cette taxe et faire avancer l’idée. "Il faut que le Canada suscite ces discussions dans les rencontres du G8, pense-t-il. Il faut être ferme et pousser les autres à embarquer. Si personne ne fait rien, ça restera lettre morte."
C’est d’ailleurs dans cette optique qu’ATTAC-Québec ira surveiller le gouvernement canadien à Monterey, au Mexique, le 22 mars prochain, lors d’une rencontre du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). "Il faut maintenir la pression pour que les dirigeants parlent de cette taxe, dit Pierre Henrichon. Le Canada est officiellement en faveur de la taxe Tobin depuis 1999, alors qu’ils agissent en conséquence."
Si, à très court terme, les principaux militants pour la taxe Tobin n’entrevoient pas son application, reste que les voix en sa faveur commencent à faire assez de bruit pour déranger les dirigeants de plusieurs pays. Tranquillement, mais sûrement…
Qu’en pensent nos politiciens?
Certains pays prennent des dispositions concrètes pour appuyer la taxe Tobin. C’est le cas notamment de la France, qui a modifié sa fiscalité pour être prête si les autres pays de l’Union européenne décident d’aller de l’avant. La Belgique étudie actuellement un projet de loi similaire. Qu’en est-il ici? Nous avons parlé à des élus, dirigeants et ex-dirigeants pour connaître leur opinion sur le sujet.
Paul Martin, ministre des Finances du Canada
"La taxe Tobin de 0,1 % ne pourrait pas empêcher la spéculation sur les marchés, affirme-t-il lorsque joint à Ottawa. Mais je suis d’accord pour l’appuyer si c’est pour créer un fonds afin d’aider les pays en voie de développement." En 1999, le parlement canadien a approuvé une motion en faveur de cette mesure. Que fait le Canada pour soutenir l’idée depuis? "J’ai soulevé la question dans les réunions du G8 et du G20, mais personne n’est prêt à s’engager pour l’instant. Même des pays très en faveur comme la France ou les Pays-Bas hésitent à aller plus loin que des déclarations. Nous verrons éventuellement la création d’une source de revenus pour aider les pays défavorisés, mais il est impossible de savoir si ça ressemblera à la formule actuelle de la taxe Tobin."
Pierre Paquette, porte-parole du Bloc québécois en matière de commerce international
"Notre parti a adopté l’idée lors de notre congrès de janvier 2000, explique-t-il. Mais le Canada ne peut pas agir seul, il faut absolument que le G8 s’entende. Présentement, le Canada ne pousse pas fort. Il n’y a pas vraiment de volonté politique. La motion adoptée par les libéraux en 1999 était plus pour épater la galerie. Mais nous serons à Monterey, au Mexique, le 22 mars prochain, pour leur rappeler leur engagement."
Daniel Turp, président du comité des relations internationales du Parti québécois
"Lors de notre dernier conseil national, il y a deux semaines, nous avons adopté à l’unanimité une motion en faveur de la taxe Tobin. Nous sommes donc confiants que cette mesure pourrait aider à combattre la pauvreté dans tous les pays où elle sévit. Beaucoup de pays ne contribuent pas suffisamment à l’aide internationale, dont le Canada. Il faut donc trouver d’autres façons de s’attaquer aux problèmes des pays en voie de développement."
Jacques Parizeau, économiste et ancien premier ministre du Québec
"La taxe Tobin serait utile pour créer un fonds pour les pays en voie de développement, mais pas pour contrer la spéculation, analyse-t-il lorsque joint à Montréal, deux semaines après son retour de Pôrto Alegre, où il a participé au Forum Social Mondial. Cette source de financement, gérée différemment de la Banque mondiale ou du FMI, serait une contribution extraordinaire des pays du Nord à ceux du Sud." Le Canada peut-il agir seul? "Il ne faut pas se prendre pour d’autres et s’imaginer qu’on peut tout régler seuls. Il faudra un gros morceau comme l’Union européenne pour faire bouger les États-Unis. Depuis que l’idée prend de l’ampleur, je n’aime pas beaucoup le silence des Américains."
Mario Dumont, chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ)
"Je suis sympathique à l’idée, même si on n’a pas encore suffisamment d’études sur le sujet pour y voir clair, soutient le député de Rivière-du-Loup. Dans le discours contre la mondialisation, qui manque souvent de substance, c’est une idée qui propose des solutions concrètes. Mais je crois que le Canada a tout avantage à se faire des alliés pour la défendre. Faire cavalier seul est vraiment le dernier recours."
Stéphan Tremblay, porte-parole du Bloc québécois en matière de mondialisation
"J’ai voté en faveur de la taxe Tobin en 1999, explique le député du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le plus gros défi reste de coordonner tous les pays pour que cette mesure voie le jour. Il faut que le Canada mette encore plus de pression sur les autres pays, surtout sur les États-Unis. Le G8 se réunit au Canada cette année, alors c’est le temps de mettre l’idée sur la table de discussion."