Brutalité policière : La police à l'oeil
Société

Brutalité policière : La police à l’oeil

Avec la Journée internationale contre la brutalité policière, le 15 mars, le COBP tient sa traditionnelle manifestation. Mais voilà que le Collectif opposé à la brutalité policière multiplie maintenant ses actions: "copwatch", ateliers, suivi judiciaire. Reste à savoir si ses revendications pour un meilleur encadrement des pratiques policières seront entendues…

Alexandre Popovic

, le militant le plus connu du Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), baigne tellement dans le monde des manifestations que ces dernières viennent même à lui. Au cours de l’entrevue qu’il accorde à Voir, lors de la Journée internationale de la femme, une manifestation alternative défile juste devant un café, rue Sainte-Catherine, lieu de l’entretien. "Hé, il y a quelques-uns de mes amis là-dedans!" lance-t-il avant de sortir en coup de vent du café. Pour y revenir quelques minutes plus tard, heureusement…

Popovic, c’est un militant hors norme, jeune-vieux routier des manifs qui ne fait pas l’unanimité. Quoi qu’il en soit, à l’arrivée de la Journée internationale contre la brutalité policière, le vendredi 15 mars, le COBP annonce à coups de pubs sur les murs et les poteaux de la métropole sa manifestation traditionnelle, sixième mouture. On ne sait trop encore à quoi s’attendre: de la casse comme en 2000 (une centaine d’arrestations) ou de la classe comme en 2001? Dans un cas comme dans l’autre, les médias (réseaux de télé, en tête) risquent d’être présents, comme l’appréhende Popovic. L’année dernière, le COBP avait demandé aux médias de rester sagement à la maison, craignant les saisies vidéo de la police afin d’étayer leurs dossiers contre certains manifestants…

Au lendemain du meurtre du policier Benoît L’Écuyer, une chose est sûre: la manifestation du COBP tombe tout de même un peu mal… "Malgré ce qui est arrivé, la Journée a toujours sa place, plus que jamais même, explique celui qui a fait parler de lui lors du commando-bouffe au Reine-Élizabeth en 1997 (il est en appel dans ce dossier, après avoir été rendu coupable de vol, notamment). Les abus continuent de façon quotidienne, que ce soit par des contrôles d’identité injustifiés dans la rue ou par d’autres moyens, comme cela survient souvent à la sortie de la station de métro Berri-UQAM, rue Saint-Denis, quand les policiers viennent sans raison débarrasser la place de tout le monde, étudiants comme sans-abri. De plus, avec l’entrée en vigueur de nouvelles lois antiterroristes, qui accroissent les pouvoirs des policiers, il y a tout lieu de craindre que ce type d’abus se poursuivent. On donne droit aux policiers de faire des détentions préventives et des arrestations sous simples soupçons, c’est assez dangereux. Il y a même un danger à ce que nous, manifestants, soyons considérés comme des terroristes et subissions la répression policière, qui est d’ailleurs de plus en plus violente contre les manifestants, comme on l’a vu au Sommet des Amériques à Québec."

Pour chaque cas mentionné, les forces policières prétendent portant toujours la même chose, c’est-à-dire utiliser la force nécessaire, n’intervenir que lorsque les soupçons sont suffisants. Malgré tout, Popovic reste sceptique. "Des arrestations sous de fausses accusations, ça existe. Et c’est souvent un calvaire, car tu dois prouver ton innocence en passant à travers tout le processus judiciaire. Par exemple, en décembre dernier, j’ai été acquitté après un procès qui a duré 10 jours. Quatre policiers ont témoigné pour dire que j’avais encouragé des jeunes à lancer des bouteilles, le 15 mars 1999. Mais c’était faux! Ils sont tous allés témoigner en disant qu’ils m’avaient vu. Le juge Lafontaine m’a donné raison et a même qualifié une portion du témoignage policier de mensonge."

Copwatch
Pour annoncer leur manifestation, le COBP a tapissée la ville d’affiches annonçant l’avènement d’un État policier au Canada (ouf!) et dénonçant Giovanni Stante, le policier accusé de la mort du sans-abri Jean-Pierre Lizotte en 1999. "Son procès commence le 29 avril, et on va suivre ça de près", assure Alexandre Popovic. D’ailleurs, les activités du COBP comprennent ce genre de suivi judiciaire. En plus de répertorier les causes ayant trait de près ou de loin aux actes de policiers, les membres du Collectif se rendent en cour afin d’assister aux procès. "Nous ne voulons pas que les causes soient oubliées, note-t-il. Nous voulons nous assurer que justice soit faite."

Le COBP organise également des ateliers d’information. Par exemple, Surprise! On a des droits!? informe les citoyens sur leurs droits face à la police (au sujet des fouilles, des interrogatoires, des arrestations, entre autres). "Parfois, on prend le COBP pour une gang d’énervés. Mais on fait des actions concrètes, soit en informant les gens, soit en aidant les gens victimes d’abus."

En ce début de printemps, des membres du COBP huilent leur vélo pour la saison du "copwatch", la surveillance des agissements policiers, pratique utilisée dans plusieurs villes américaines et européennes contre les abus de pouvoir et les arrestations illégales. Chandail identifié "copwatch" sur le dos, chevauchant leur vélo, les membres du COBP filment des interventions policières avec une caméra vidéo, recueillent des témoignages et rédigent ensuite un rapport, comme la police, avec toutes les informations pertinentes à l’affaire: nom des agents, lieu, heure, etc. Leurs observations sont accumulées dans leur bulletin, Info-Bavures. Le but? Créer un effet dissuasif sur les agents surveillés et prendre sur le fait des actes répréhensibles.

Alors, ça fonctionne? "Une fois, un membre du COBP s’est rendu en cour avec son vidéo. C’était pour une affaire de manif à l’Université Concordia. Autrement, c’est plus pour signifier aux policiers que nous les avons à l’oeil. Quand ils nous voient arriver, d’ailleurs, on note une modification dans leurs comportements. Ils sont plus consciencieux. Ils savent qui nous sommes, on ne se cache pas. Notre but est d’être des témoins privilégiés et d’avertir les policiers que nous surveillons leur travail."

Sus à l’impunité
Si le COBP en vient à pratiquer le "copwatch", à surveiller lui-même les pratiques policières, c’est qu’il a perdu confiance envers les organismes qui sont censés se charger de cette tâche. "Le plus souvent, les plaintes déposées au Comité de déontologie policière connaissent des délais anormalement longs et sont souvent rejetées, plus de la moitié en fait, et bien peu aboutissent à des enquêtes", se désole Alexandre Popovic.

Selon lui, comme le COBP l’a rappelé à la Commission Poitras sur la police au Québec en 1998, l’impunité règne au sein des forces policières. "Au-delà de la fausse caricature voulant que tous les policiers soient des brutes sadiques, il existe, au sein de l’institution policière, une tradition fermement ancrée de solidarité mafieuse, de loi du silence. Ainsi, les policiers ne se dénoncent pas entre eux, ils ne veulent pas être catégorisés comme des rats. De cette façon, personne ne fait quoi que ce soit contre un collègue qui commet des bavures. Le 15 mars, c’est justement pour rappeler qu’il reste encore beaucoup de choses à faire."

La manif du COBP se tiendra le vendredi 15 mars. Le rendez-vous est fixé à 17 h, au square Berri.