Drogue: la salvia : Trip légal
Société

Drogue: la salvia : Trip légal

Une nouvelle drogue commence à se tailler une place dans le petit univers des psychotropes à Montréal: la salvia. Elle fait de plus en plus d’adeptes; ceux qui en prennent oublient l’existence de leur corps et il est même légal d’en vendre ou d’en consommer. Prudence toutefois: la petite plante ne convient pas à tous les jardins intérieurs…

Cultivée au Mexique depuis des siècles, la Salvia Divinorum est importée en Europe et aux États-Unis depuis quelques années et on commence à peine à en entendre parler ici. En Hollande, en Angleterre, en Suisse, en Californie et même au Wisconsin, les importateurs qui en proposent sur Internet prétendent l’acheter à des paysans mexicains de la région où elle a vu le jour, la Sierra Mazateca à Oaxaca.

Les intermédiaires sont nombreux. Par exemple, le flacon de salvia que Voir a pu se procurer dans une boutique avait été commandé auprès d’un vendeur d’Amsterdam qui l’avait de toute évidence importé du Mexique ou d’Hawaï.

Les effets que la salvia provoque se comparent à ceux de certains champignons magiques dans le créneau naturel, ou carrément à ceux du LSD parmi les drogues chimiques. Les témoignages font état d’hallucinations diverses, certaines personnes perdent tous leurs repères physiques. Les plus exaltés parlent carrément d’expériences mystiques, d’"exploration de la conscience" ou de "voyages chamaniques". Lorsque inhalée, la salvia en version concentrée produit des effets d’environ une demi-heure à peine mais ces derniers sont très forts. Ainsi, on recommande carrément de ne pas tenter l’expérience en public mais plutôt chez soi, en compagnie d’une personne de confiance, de faire attention au feu et bien évidemment de s’abstenir de conduire…

Les nombreux sites Internet qui y sont consacrés regorgent d’ailleurs de mises en garde. Pour éviter les incidents fâcheux, Daniel Siebert, un amateur aussi scientifique qui s’est spécialisé dans l’étude de cette drogue, a même créé un véritable guide de l’utilisateur pour les consommateurs de salvia (www.sagewisdom.org). La plupart des sites qui en font la promotion recommandent d’ailleurs de le consulter. Le propos est sans équivoque. "Ce n’est pas de l’acide légal. Ce n’est pas du pot légal. Ce n’est pas un substitut pour n’importe quelle autre drogue. La salvia ne s’apparente à aucune autre drogue. C’est très important que vous connaissiez ses effets, ses dangers potentiels et comment éviter ses dangers si vous l’essayez."

Beaucoup d’inconnues
Malgré tout, la plante ne semble pas avoir fait trop de vagues. Aucun cas de décès rapporté, pas d’intoxication grave et enfin, on ne lui connaît pas d’amis dans le milieu criminel. Aux États-Unis, le produit n’est tout simplement pas homologué. Même chose au Canada. À la Gendarmerie royale du Canada (GRC), on dit n’en avoir jamais entendu parler. Bref, son dossier est aussi propre que celui du basilic. Comme l’explique Jean Lemieux, du programme de sensibilisation aux drogues de la GRC, on recense actuellement pas moins de 75 drogues de ce type sur le marché. Toutes euphorisantes, naturelles, légales. Les policiers les appellent les "legal high". "Les gens se demandent souvent pourquoi ces drogues sont légales. C’est que plusieurs substances ne sont pas réglementées parce qu’il n’y a pas de problème."

Ainsi, outre le site de Daniel Siebert, on connaît peu de chose sur la composition de cette drogue et sur ses effets à long terme par exemple. Le chercheur René Blais du Centre de toxicologie de Québec, pourtant très au fait de ces questions, en a entendu parler pour la première fois lorsque nous l’avons rejoint. À notre invitation, il a bien voulu faire une analyse rapide des informations disponibles sur la plante pour en conclure que la salvia pourrait avoir certains effets antidépresseurs. On sait qu’il s’agit d’une herbe psychoactive composée d’une substance chimique, la salvinorine, laquelle serait à l’origine des effets provoqués. D’ailleurs, les feuilles sont parfois vendues avec des ajouts de concentrés de salvinorine pour en accroître la puissance. Quant à ses antécédents familiaux, c’est une variété très rare de la sauge, herbe qu’on utilise pour assaisonner nos petits plats. Mais que les impétueux et les inquiets se calment, il n’y a rien à fumer dans nos comptoirs à épices, chimiquement, les deux sauges étant aussi éloignées l’une de l’autre que le sont leurs usages respectifs.

Marketing mystique
Difficile toutefois de mesurer l’importance des ventes qui se font principalement sur le Web non sans sens du marketing. "Êtes-vous en quête d’illumination spirituelle? Êtes-vous à la recherche de réponses pour votre moi supérieur? Voulez-vous grandir spirituellement dans votre voyage et le comprendre mieux comme le faisaient les chamans? Si c’est le cas, vous êtes à la bonne place!" Ici et là, on raconte la petite histoire de cette plante que les chamans auraient utilisée dans leurs cérémonies religieuses et que les Occidentaux ont aujourd’hui la chance, dit-on, de découvrir.

Si la salvia est loin d’être la seule plante ou substance exotique à susciter de l’intérêt comme drogue dans le Nord, elle fait l’objet d’un intérêt plus marqué que les autres et suscite la curiosité d’un nombre grandissant d’amateurs souhaitant l’"essayer". Si on se fie aux témoignages de gens en ayant consommé, la salvia serait davantage une expérience qu’une drogue consommée régulièrement au prix d’une dépendance. Une retenue qui s’explique par la puissance des effets de cette plante qui ont de quoi apeurer les toxicomanes les plus initiés.

La salvia à Montréal
La salvia serait en circulation à Montréal depuis à peine un an et demi, selon Pierre Bédard, gérant de la boutique High-Grow du groupe Hemp-Québec. "C’est encore peu connu ici, même si c’est une des très rares substances qui soient légales", précise-t-il.

Pierre Bédard a découvert la salvia lors d’un voyage à Amsterdam. "En Europe, affirme-t-il, c’est très connu et très populaire."

À Montréal, les boutiques spécialisées en cannabis et en chanvre peuvent obtenir pour leurs clients, sur demande le plus souvent, des feuilles sèches ou des extraits de salvia que l’on peut fumer. "Les effets sont très particuliers, souligne Bédard. On se sent très mollo. Le corps devient en quelque sorte engourdi. C’est un peu comme lorsque l’on prend des champignons magiques. Le goût âcre est très étrange aussi. Nos perceptions sont modifiées par la salvia: l’ouïe devient très affinée et la vision, très nette. Les couleurs deviennent très criardes."

À la boutique Je l’ai, on vend pour 30 $ des flacons contenant suffisamment de salvia pour cinq ou dix consommations. "L’extrait ressemble à des miettes de feuilles, affirme Georges Dupont, vendeur. Le trip est vraiment spirituel. Tu sors de ton corps et tu entres dans un autre monde, surréaliste. C’est comme un voyage astral. Ça ne fait pas si longtemps que l’on en a, et déjà plusieurs personnes l’apprécient. À ma connaissance, il n’y a pas eu de mauvaises expériences. Et le plus important, c’est que c’est légal."