Infrastructures culturelles : Le milieu se réjouit
Société

Infrastructures culturelles : Le milieu se réjouit

Présents dans le secteur depuis plusieurs années, les artistes ont néanmoins le sentiment d’avoir émergé de la précarité depuis 10 ans. Si une nouvelle dynamique favorise les liens entre les différents centres et disciplines, certaines craintes subsistent tout de même.

Il serait un peu malaisé pour le monde des arts et de la culture de rechigner en face des réalisations des dernières années. Trop souvent négligé par les gouvernements et le secteur privé, le milieu a reçu près de 25 M $ en investissement dans Saint-Roch au cours de la décennie 1990. Les ateliers pour artistes se sont multipliés tout comme les pôles de création et de diffusion ont été consolidés.

"À la fin des années 1980, beaucoup d’artistes s’exilaient à Montréal dès la fin de leur formation car Québec ne leur offrait rien. Aujourd’hui, on observe le phénomène inverse, des gens de Montréal, Chicoutimi et même Toronto débarquent, attirés par les conditions offertes", explique Florent Cousineau, artiste et entrepreneur qui fut le maître d’oeuvre du projet des Ateliers du roulement à billes où l’on trouve 33 espaces de création. Selon lui, le coup de maître de l’équipe L’Allier fut sans conteste la mise sur pied d’un programme de subventions à l’acquisition. "Ce fut le geste décisif qui nous permettra de s’implanter pour de bon dans le quartier. Durant des années, les artistes étaient locataires et, par le fait même, soumis aux caprices des propriétaires pouvant les chasser afin de faire des condos."

En tout, c’est 150 ateliers qui sont aujourd’hui la propriété des créateurs, s’y ajoutent une centaine d’autres en location. Pour Ulysse Dubois, artiste et propriétaire d’un espace aux Ateliers du roulement à billes, ce programme et l’exemption de taxes résidentielles pour les deux premières années ont fait la différence. "Le regroupement des infrastructures facilite les rapprochements et la communication entre les artistes. De plus, le quartier est de plus en plus complet au plan des services avec plusieurs restaurants, épiceries, boulangeries, ce qui fait qu’on peut maintenant pleinement vivre ici."

Effets secondaires
Petite ombre au tableau, ces espaces individuels ne sont plus à la portée de l’artiste moyen dont le salaire annuel, en arts visuels par exemple, oscillerait entre 5000 et 8000 $. Le quartier est beau, soit, mais les terrains et bâtiments prennent aussi rapidement de la valeur. "Il faudra voir lors du dégel des taxes si les artistes seront encore en mesure de conserver leurs espaces. Du temps où le quartier était délabré, on achetait un atelier pour bien moins cher. Il était aussi possible de louer pour 100 $ par mois. Au plan des équipements collectifs, ce qui a été réalisé est très positif, mais individuellement, il y a un risque que le quartier devienne tellement coté que les artistes ne soient forcés de partir. Voilà peut-être l’effet pervers du renouvellement de Saint-Roch…" plaide Carlos Ste-Marie, de l’Oil de poisson, un centre de production et de diffusion en arts visuels qui est un des 10 organismes qui logent au complexe Méduse. "Ce qui est bien, c’est le décloisonnement des centres et la collaboration qui s’ensuit dans le quartier. Méduse est un modèle unique qui a créé une dynamique incroyable; des Français s’intéressent même au concept."

À l’étude!
"Le pari de M. L’Allier est tenu au-delà de ses espérances; la venue de l’école a créé une dynamique toute nouvelle dans le quartier", concède Marie-André Doran, directrice adjointe de l’École des arts visuels qui a investi plus de la moitié de l’ancien édifice de la Dominion Corset en 1994. L’institution serait en voie de jouer un rôle crucial dans l’épanouissement du milieu. La proximité du CDTI et du CNNTQ, centres névralgiques de la nouvelle économie et du multimédia, favorise une synergie entre les secteurs technologique et traditionnel. "On a des liens plus naturels avec les centres d’artistes comme Méduse, mais on travaille maintenant à établir des ponts avec le milieu des arts numériques et technologiques avec la vague du multimédia", poursuit Mme Doran.

L’École, qui détient cinq ateliers au Roulement à billes, est passée de 600 étudiants en 1994 à 900 aujourd’hui et prévoit récupérer à très court terme les espaces laissés vacants après le départ des fonctionnaires municipaux qui logent dans la seconde partie du bâtiment.

Artère principale
L’aide à la rénovation et à l’acquisition d’édifices abandonnés a également permis à des entreprises culturelles de déménager leurs pénates dans le quartier. C’est le cas de celle de Vincent Masson, copropriétaire du centre Rouje Arts et événements (ancienne galerie Rouje) installé dans Saint-Roch depuis l’été 2001. "La nouvelle vitalité de la rue Saint-Joseph en pleine relance nous a attirés. Des gens qui circulent dans la rue s’arrêtent souvent devant notre vitrine."

"Il était important pour nous de se retrouver dans un véritable quartier, où vivent les gens et où il y a un bouillonnement culturel", continue Jack Robitaille, directeur artistique du théâtre La Bordée qui emménagera sous peu dans l’ancien cinéma Pigale sur Saint-Joseph et qui deviendra le seul théâtre à Québec à être propriétaire de son espace, après avoir profité d’une subvention de la CDEU et du programme des infrastructures des paliers supérieurs de gouvernements.

Rouje Arts et événements est à la fois un centre d’exposition et de production d’événements de toutes sortes. Son défi est de décloisonner les disciplines artistiques et d’offrir une panoplie d’activités. "Nous exposons des peintures et des sculptures mais voulons également offrir de la photo et de la vidéo, en plus de soirées de lecture publique de textes et autres", explique M. Masson.

Pour sa part, La Bordée jouira d’une salle de 350 places qui offrira des possibilités nouvelles. "Nous aurons une scène à l’italienne qui permettra de déplacer des éléments de décor à la verticale. Il pourrait y avoir par exemple des apparitions de personnages par le plafond; ce sera magique", souligne M. Robitaille. Cet élément nouveau intéresserait déjà des compagnies de Montréal qui voudraient s’y produire de même que Ex-Machina. La future salle sera climatisée et permettra des représentations toute l’année durant.

Tout ce bouillonnement culturel ferait en sorte de susciter davantage d’intérêt chez les entreprises privées du quartier avec lesquelles le milieu en serait à établir des ponts par la vente d’oeuvres, ce qui contribuerait à la survie de la communauté, se réjouit M. Cousineau. La réalisation de cinq fresques sur les piliers de l’autoroute Dufferin, dont les coûts furent assumés par les gouvernements et le privé, traduit également bien ce changement de mentalité à l’égard de l’art, selon M. Cousineau. "Deux fois par année, nous recevons des gens du Smithsonian Institute qui s’intéressent aux arts. Auparavant, les visites se limitaient au Vieux-Québec, mais depuis trois ans on les amène rencontrer des artistes dans Saint-Roch. Le coin perd ses allures de ghetto et s’ouvre à une vie nouvelle", conclut M. Cousineau.