![Crise du logement : Qui dit vrai?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/10/12168_1;1920x768.jpg)
![Crise du logement : Qui dit vrai?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/10/12168_1;1920x768.jpg)
Crise du logement : Qui dit vrai?
C’est bien connu maintenant, Montréal vit une crise du logement. Ce qui l’est moins, toutefois, c’est comment les acteurs de la crise, des propriétaires aux locataires, s’y prennent pour remédier à la situation, armés de leurs points de vue largement divergents. Voici les dessous de cette bataille.
Carlos Soldevila
Photo : Victor Diaz Lamich
La folie annuelle de recherche de logements se met en branle sur fond de crise. Année après année, près de deux Montréalais sur trois vivent en location, l’un des plus forts taux au pays. Et c’est dans ce contexte que, cette année, seulement six logements sur mille sont inoccupés dans les immeubles privés. Se trouver un appartement n’aura jamais été aussi difficile depuis plus d’un quart de siècle à Montréal.
Cette crise, c’est du bonbon pour les propriétaires de logements locatifs, mais le cauchemar de plusieurs locataires qui doivent se battre à la fois contre des hausses de loyer, des cas de discrimination et de demande de renseignements personnels de la part des propriétaires.
Les signes précurseurs de la crise du logement qui frappe Montréal ne datent pourtant pas d’hier. Depuis 1998, différents organismes tels que le FRAPRU (Front d’action populaire en réaménagement urbain) sonnent l’alarme. À l’époque, déjà, un ménage locataire sur deux devait consacrer 25 % et plus de ses revenus au loyer; et un sur quatre, près de 50 % de ses revenus. Ça, c’était en 1998, et il n’y avait même pas de pénurie de logements…
"Ce qu’on voit aujourd’hui, avec la rareté du logement locatif, c’est l’aggravation de cette crise, explique André Trépanier, de l’Association des locataires de Villeray. Il y a plus de reprises de logements par les propriétaires, plus d’augmentations indues des loyers, plus de cas de règlement du loyer devant la Régie, plus de cas de discrimination et plus de demandes de renseignements personnels. Et c’est surtout plus difficile de se trouver un logement: les locataires qui se présentent dans nos bureaux en situation de détresse, parce que leur bail achève et qu’ils n’ont toujours pas trouvé de logement, sont de plus en plus nombreux." Comme quoi, derrière ces statistiques alarmantes, il y a de plus en plus de drames qui se jouent.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus
Selon Sophie Cabot, cette crise n’est qu’un début. D’ailleurs, cette représentante du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) lance cette semaine une brochure sur la discrimination intitulée Premier arrivé, premier servi! La discrimination, c’est fini.
"Avec la crise, les cas de discrimination augmentent, dit-elle. La discrimination n’est pas que raciale. Prenez l’exemple des formulaires de demande de renseignements personnels qu’on donne aux visiteurs d’appartements à louer: demander le nombre d’occupants (adultes, enfants) ou faire une enquête de crédit, c’est une forme de discrimination indirecte. Bien sûr, les propriétaires doivent se protéger, mais c’est exagéré. Se trouver un logement quand on est sur le bien-être social, c’est presque devenu impossible; avoir des enfants, c’est une plaie. Et tout se fait subtilement et indirectement par le formulaire, sans qu’on puisse s’en prendre au propriétaire. Le refus de louer sur la base du statut économique, c’est discriminatoire."
"Les formulaires sont indispensables, rétorque Pierre Ayotte, vice-président de l’Association des propriétaires d’appartements du Grand Montréal (APAGM). Quand on met entre les mains d’une famille des biens qui représentent une valeur de 40, 50 ou même 100 000 dollars, c’est la moindre des choses qu’on s’assure que ces personnes ont la capacité d’honorer leurs obligations financières, ainsi qu’un comportement qui garantisse la sécurité du bien. Il est important que ces gens-là n’aillent pas foutre le bordel dans l’immeuble et troubler la jouissance paisible des lieux. Une enquête de crédit, ce n’est pas de la discrimination: cela nous permet de vérifier si les personnes sont capables de respecter leurs obligations de locataires."
"Le problème, c’est qu’on ne peut pas comparer l’achat d’un téléviseur ou d’une voiture à la location d’un logement, réplique Sophie Cabot. Le droit au logement, c’est fondamental! Bien sûr, on est conscient que c’est une question épineuse puisqu’on confronte le droit à la propriété au droit au logement. Qu’un propriétaire tente de se protéger, c’est compréhensible. Mais l’autre côté de la médaille, c’est qu’alors que la situation devient de plus en plus difficile pour les locataires, les propriétaires, eux, ont carte blanche! Qu’est-ce que ça change si un travailleur autonome a un mauvais dossier de crédit parce qu’il n’a pas payé sa carte de crédit ou sa carte Zellers à temps? Laissez plutôt la chance aux gens de démontrer qu’ils sont capables de payer leur logement."
Pour Lucie Poirier, porte-parole du FRAPRU, qui représente environ quatre-vingts organismes, "la seule façon d’enrayer la discrimination, c’est de diminuer les délais devant la Commission des droits de la personne, que les peines pour discrimination soient plus importantes, et que des inspecteurs sur le terrain puissent amener les propriétaires en cour".
Payer le prix
La hausse des loyers est une autre conséquence de la crise du logement. Selon les données de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), le coût moyen d’un appartement de deux chambres à coucher est passé de 514 $ en 2000 à 535 $ en 2001. Pour un trois chambres à coucher, la moyenne est passée de 647 $ à 674 $. Selon Paul Cardinal, analyste pour la région de Montréal à la SCHL, la réglementation de la Régie du logement du Québec empêche les propriétaires d’augmenter les loyers de façon indue. "Mais nous avons quand même noté une augmentation peu habituelle. Ainsi, entre 1999 et 2000, les loyers ont augmenté en moyenne de 1,2 % à Montréal. Et entre 2000 et 2001, ils ont grimpé de 4,2 %. C’est donc une accélération qu’on peut mesurer."
C’est dans ce contexte d’affrontement et de crise qu’ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver devant la Régie du logement pour s’entendre sur le prix du loyer. "Les locataires ont certains droits, et ils doivent apprendre à les connaître", indique Lucie Poirier.
Cette dernière s’est elle-même présentée par deux fois devant la Régie pour contester des augmentations de loyer qu’elle jugeait trop élevées. "La deuxième année, on nous a demandé une augmentation de loyer de 50 %, ce que nous avons évidemment refusé. Le propriétaire est venu chez nous pour négocier, mais nous lui avons dit que nous acceptions seulement une augmentation de loyer de cinq dollars (1 %), et que c’était non négociable. Ils ont déposé une plainte à la Régie, mais ils l’ont retirée parce qu’ils étaient sûrs de perdre. Cette année, ils nous ont encore envoyé une augmentation de 50 %, que nous avons évidemment refusée, avec succès. Le problème, c’est que de nombreux locataires ne connaissent pas leurs droits et acceptent des augmentations de loyer, ou quittent carrément leur logement. Les propriétaires en profitent ensuite pour en augmenter indûment le prix. Par exemple, le logement à côté du mien était à 430 $; mais quand les nouveaux locataires sont entrés, le loyer a été augmenté à 640 $."
Lueur d’espoir à l’horizon? Difficile à dire, même si Québec et Ottawa se sont enfin entendus pour la construction de 6500 logements sociaux au Québec d’ici 2003. De plus, selon les données toutes fraîches obtenues de la SCHL, le nombre de mises en chantier locatives est de 1 138 logements pour la période de novembre à février 2001-2002, comparativement à seulement 290 au cours de la même période un an plus tôt. Selon Paul Cardinal, de la SCHL, il s’agit d’une "hausse spectaculaire, mais les conditions climatiques des derniers mois ont été exceptionnellement douces ce qui a permis de débuter certains chantiers plus rapidement".
Du côté de Québec, on aurait mis sur pied un comité de travail "pour essayer de trouver un terrain d’entente entre les locataires et les propriétaires". C’est du moins ce que révèle le compte-rendu d’une réunion tenue le 12 mars dernier entre des membres du RCLALQ et le ministre délégué à l’Habitation, Jacques Côté. "C’est impensable! lance André Trépanier. Il y en aura pas de consensus! Il faut que le gouvernement tranche le débat: on ne peut pas, d’un côté, accroître les droits des locataires et, de l’autre, ceux des propriétaires pour qu’ils fassent plus de profits. C’est irréconciliable et il faut mettre un terme, une fois pour toutes, aux outils qui permettent aux propriétaires d’effectuer des demandes de renseignements personnels."
Tout indique qu’on est loin d’une résolution de la crise et c’est pourquoi les différents groupes de défense des droits des locataires promettent un printemps plutôt chaud: nous allons ainsi assister, dès la mi-mai, à une vague d’occupations sans précédent à Montréal et dans quelques villes du Québec.
Solutions pour une crise
Comment faire pour sortir de la crise du logement qui sévit actuellement à Montréal? Nous avons posé la question à divers intervenants, des groupes communautaires aux propriétaires. Réponses variées…
André Trépanier, Association des locataires de Villeray
"Pour résoudre cette crise, il faut d’abord qu’il y ait une reconnaissance politique que c’est une crise. Même s’il y avait des familles sur le trottoir en juillet passé, le maire de Montréal et le gouvernement du Québec refusaient de parler de crise; ils parlaient plutôt de situation d’urgence. Ils jouent sur les mots, car ils savent très bien que s’ils reconnaissent qu’il y a crise, ils devront prendre les mesures qui s’imposent."
Lucie Poirier, porte-parole du FRAPRU
"Le marché privé a démontré qu’il n’était pas capable de répondre aux besoins de logement des personnes à faibles revenus et même à moyens revenus. Les gens doivent s’associer ou s’impliquer dans les comités logement pour revendiquer de meilleures conditions de logement et des logements sociaux. La solution à la crise, c’est d’offrir 8000 logements sociaux de plus au Québec par année, dont 3500 à Montréal, ce qui permettrait non seulement de régler une partie du problème de pénurie de logements, mais aussi de donner de bons logements à des locataires à faibles revenus."
"Il faut une intervention gouvernementale pour investir dans la construction de logements locatifs. Le logement social, ce n’est pas une réponse pour tout le monde. Il faut trouver de quelle façon on peut réglementer le marché locatif privé et le soutenir. Pourquoi les constructeurs investissent-ils dans le condo? Simplement parce qu’ils font des revenus rapides."
Pierre Ayotte, APAGM
"Pour régler la crise du logement, il faut absolument que le gouvernement incite le secteur privé, soit les développeurs, les constructeurs et les propriétaires, à investir de nouveau dans le logement locatif. Pour l’instant, le logement locatif n’est pas payant parce que les coûts de construction sont trop élevés. Les gouvernements doivent donc donner des exemptions de taxes temporaires aux constructeurs; enlever la taxe de bienvenue; enlever la taxe de vente fédérale et provinciale sur la construction de logements locatifs; et, finalement, enlever la taxe sur le capital. Ça ne priverait pas le gouvernement de revenus, puisqu’il n’en perçoit pas tant qu’il n’y a pas de construction de logements! Je ne me cacherai pas pour vous dire que la crise favorise les propriétaires. Et qu’il y a certainement plus de cas de mauvais propriétaires qui abusent de la situation. Mais comment une situation, qui est maintenant favorable aux propriétaires, a-t-elle donné naissance à une recrudescence du nombre de cas de discrimination et d’abus? Eh bien, c’est la crise du logement qui fait ça! Lorsqu’il y a une offre et une demande qui s’équilibrent, on n’entend pas parler de ces problèmes-là!"