![Droit de cité : Par la bouche de mes égouts](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/10/12219_1;1920x768.jpg)
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Droit de cité : Par la bouche de mes égouts
Éric Grenier
Je viens de lancer ma propre entreprise, spécialisée dans les ascenseurs. Elle est inscrite au registre des entreprises de l’Inspecteur général des institutions financières (à ne pas confondre avec l’inspecteur particulier du Parti libéral) sous le nom d’Escaliers mécaniques Retour Escalators.
Pourquoi investir ma colossale fortune acquise au fil de mes substantielles augmentations de cachets dans une industrie paléolithique comme les ascenseurs? Pourquoi pas dans des industries d’avenir, comme les photocopitechnologies?
D’abord, parce que dans les photocopitechnologies, Groupeaction occupe déjà largement le marché. Mais aussi parce qu’à constater à quel point les retours d’ascenseur se multiplient entre les gens de pouvoir et les locataires de l’antichambre du pouvoir, que ce soit aux hôtels de ville de Montréal et de Longueuil, chez les libéraux fédéraux ou chez les péquistes, je me suis dit: tiens, il y a peut-être une piastre à faire là, fût-elle en argent Canadian Tire.
Les langues de vinaigre colportent même que les ascenseurs qui font l’aller-retour entre l’étage du pouvoir et le lobby ne suffisent plus à la tâche tant il y a de l’affluence ces jours-ci. (Par ailleurs, saviez-vous que si un groupe de pression s’appelle "lobby" en anglais, c’est parce que les rapports entre les élus et ces groupes se déroulaient autrefois dans les lobbys d’hôtels? Après, si les marchés étaient conclus, on se renvoyait l’ascenseur.)
Bien sûr, ce n’est pas gratuit, les ascenseurs. C’est pour cette raison que les B.S. sont obligés de s’infiltrer comme des voleurs, c’est-à-dire par le réseau d’égouts, puis par le système de ventilation, s’ils veulent ne serait-ce qu’épier le pouvoir. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Frank Zampino. Le M. Zampino qui nous a démontré l’autre jour la nécessité des retours d’ascenseur pour le bon fonctionnement de la démocratie, avec une éloquence remarquable. Depuis, qui s’insurge devant les contrats octroyés à ceux qui ont le chéquier sur le coeur, c’est-à-dire dans la poche intérieure gauche du veston Gucci?
Chose certaine, tous ne mangent pas de ce pain-là. On se contente plutôt de Weston pâteux chez les partis de l’opposition, à l’hôtel de ville de Montréal comme à l’Assemblée nationale. Tous deux, les bourquistes à Montréal, et les libéraux à Québec, n’ont-ils pas dénoncé avec fébrilité les accointances nébuleuses de leurs rivaux? Voilà qui est bien fait.
Oui, mais… D’abord, Pierre Bourque, notre très soudain preux chevalier de la transparence et de la démocratie. Cette semaine, le vérificateur de la Ville de Montréal a remis son rapport annuel, où il invite l’administration Tremblay à revoir de fond en comble la procédure d’attribution des contrats à la Ville. Non pas en regard de ceux récemment accordés, mais de ceux adjugés au cours des cinq dernières années. Il y a cinq ans, à ce que je sache, on se passionnait mille fois plus pour la mouche à feu que pour Gérald Tremblay. Gérald qui, du reste.
Non, notre homme à la mairie, c’était Pierre Bourque. Voici ce que dit le vérificateur Guy Lefebvre à propos de ces années folles, dans son rapport publié mardi: la Ville accordait la plupart des gros contrats de construction et de réfection aux mêmes entrepreneurs, trop souvent des proches de l’administration. Et des habitués des chariots élévateurs de l’hôtel de ville, pourrais-je ajouter, histoire de faire mousser ma nouvelle business.
Maintenant, les libéraux de Jean Charest. Les deux seules matières grises de ce parti, le chef de cabinet de M. Charest, Ronald Poupart, et l’organisateur en chef, Pierre Bibeau, ont accepté d’étudier et de commenter un rapport d’enquête privée sur la vie du président de la Société des alcools du Québec, Gaétan Frigon.
Holà, les grands chevaux, s’est estomaqué Jean Charest. "Le Parti libéral n’a ni commandé ni payé directement ou indirectement une enquête de ce genre-là", a-t-il martelé toute la semaine. La belle excuse! "Mais si quelqu’un avait donné de l’information qui s’était avérée véridique et crédible, on aurait agi de façon responsable." Autrement dit, ils ont seulement reluqué le rapport, et comme il n’y avait pas matière recyclable à l’Assemblée nationale, ils l’ont jeté aux ordures. Une belle éthique.
On s’en crisse, imbécile, qui a payé quoi à qui avait commandé quoi. Ce ne sont que de pauvres dégénérés de parvenus qui espionnent le monde par les bouches d’égouts.
Mais qu’un parti politique se fasse l’allié objectif d’un écorniflage à des fins politiques pour ses propres intérêts, et qu’il se mette en situation de conflit d’intérêts avec celui qui a commandé et payé l’enquête privée…
Mais c’était gratis! Une autre belle excuse. Or, comme je l’ai exposé dans mon énoncé économique un peu plus haut, rien n’est vraiment gratuit. Un jour ou l’autre, faudra bien que l’ascenseur redescende. Bon, peut-être pas cette fois-ci, puisque l’enquête n’a pas du tout satisfait MM. Poupart et Bibeau. Ce sera pour une prochaine.
Mais quand même, j’imagine Pierre Bibeau, lors d’un souper avec sa charmante épouse Line, députée libérale du comté de Sauvé, dans l’est de la ville: "Savais-tu, Minou, que la femme à Frigon achète son vin au dépanneur?"