Après un siècle fait de papotage, de five o’clock tea, de visites d’hospices, de parties de bridge et de bien des soirées passées sur les champs de course, la reine mère vient de passer l’arme à gauche tout doucement.
Émotion chez les monarchistes britanniques et les Canadiens du même nom.
Depuis le jour où elle décida de demeurer à Londres alors que les bombes et les V-2 de Hitler pleuvaient sur la ville, sa patrie la tient dans une affection particulière. Et même si la dame pourvue de deux hanches et d’un anus artificiels ne tenait plus très bien en selle (sic), elle devait en avoir des choses à raconter.
Comme le jour où elle rencontra ce mahatma Gandhi, un p’tit malpropre tout desséché et chauve vêtu d’un drap blanc qui lui fit perdre son plus beau titre et les restes exotiques de son empire en ruine.
Impératrice des Indes! Imaginez le chic. My dear, mère poule et protectrice bienveillante de 100 millions de déshérités qui vénèrent des idoles à huit bras et brûlent leurs morts avec de la margarine Monarch… Qu’est-ce qu’elle a dû regretter que, malgré les canons, les fusils et la matraque de son neveu Lord Mountbatten, elle ait dû abandonner son empire, son thé, ses tapis, ses épices, ses tigres, le coton, la soie et la main-d’oeuvre bon marché.
Avant elle, le roi George qui perdit l’Amérique en devint complètement gaga.
Mais la reine mère ne se laissa pas démonter, elle passa de juteux contrats de commandite avec les biscuits Peak Freans, les pastilles Fisherman’s Friend, le thé Twinnings, le gin Bombay et le reste et le reste. Et chaque fois que quelque part quelqu’un apposait sur cette camelote le titre de Fournisseur officiel de Sa Majesté, à
Buckingham Palace, en plus de boire et de manger gratis, on faisait recette et on engrangeait les dividendes.
Ces actes de courage et cette débrouillardise contrastaient singulièrement avec le reste de sa famille poursuivi par les scandales et rattrapé par l’hérédité.
Si bien que, quoique la question soit sans urgence, certains se demandent comment a-t-on pu en 40 ans passer d’une telle retenue au spectacle pitoyable et affligeant qu’offre maintenant la clownesque royauté d’Europe.
Au premier rang des cruches: les princesses de Monaconne, Crinoline et Stéphanouille. Ces petites bêcheuses capricieuses et socio-affectives qui, à la faveur du centième chagrin d’amour, ne manquent pas une occasion de se faire tringler dans les coulisses par le chauffeur, le plombier ou la bonne, sont la risée de toute la planète. Au moins, elles ont redéfini le dur métier de garde du corps et fait monter les enchères des autobiographies de domestiques.
Au second: Margaret, la soeur d’Élisabeth II, dont on rapporte que si elle sortit en larmes de la première londonienne de La Liste de Schindler, c’est parce que la vue de tous ces Juifs malpropres lui donnait la nausée.
Fêtarde avertie, elle détestait ses fonctions officielles, mais piquait de saintes crises lorsqu’on ne lui baisait pas la main en faisant courbette. Réfugiée sur les plages de l’île de Moustique aux frais du Commonwealth, elle adorait faire trempette avec de jeunes garçons branchés recrutés aux meilleurs collèges, qu’elle entretenait avec le mépris de son rang.
Et que dire de ce brave Beaudouin de Belgique, publicité ambulante pour Ex-Lax. Morose, bigot, pieux jusqu’au fanatisme et aussi excitant qu’un pot de chambre. Si ses joutes oecuméniques avec le pape et mère Teresa restent mémorables, lorsqu’il passa l’arme à gauche au lit, sa femme, dont on admirait la remarquable laideur, ne fit pas la différence.
Le croiriez-vous? Deux siècles après sa Révolution, la France héberge encore quelques héritiers royaux, cousins de la fesse gauche de Louis-quelque-chose qui, rescapés de la guillotine, réclament leur trône et flirtent avec les pires discours d’extrême droite en dissertant abondamment dans les pages du Figaro magazine sur la pureté du sang et de la race. Ce qui fait le bonheur de la famille Hersant qui se cherche désespérément une particule…
Ce mois-ci, la question se faisait entendre: Qu’est-ce qui est le plus quétaine: que la presse s’émeuve lorsque le prince William fume un pétard et descende deux grosses bières au Bal des Pétasses ou que sa famille l’envoie en réhabilitation afin de corriger publiquement cette incartade?
Évidemment, rien n’arrivera jamais à la cheville du deuil consenti à Lady Di, princesse neurasthénique sortie tout droit de chez Mattel, dont la principale activité de son vivant, hormis de se reproduire dans son mariage de raison, fut de flamber sa pension en robes extravagantes entre deux visites émues aux petits Africains affamés… La royauté, à l’instar de ces grandes bourgeoises désoeuvrées, adore se consacrer au bénévolat… C’est d’un chic et on y rencontre tant de gens intéressants ma chère…
Vous me rétorquerez: "Qu’importe! Ces gens inoffensifs sont aussi décoratifs que folkloriques."
Allons donc. Allez demander aux héritiers de la couronne royale s’ils s’estiment inoffensifs. À Élisabeth première-fortune-d’Angleterre si courbettes, baisemains et dessus de bol de toilette en cuir véritable, selon elle, ne lui reviennent pas de droit divin. Si cette élite de parasites en est réduite aux circuits touristiques, ce ne fut jamais de son plein gré. Depuis la nuit des temps, on a dû par la menace neutraliser graduellement leur pernicieuse influence sur les démocraties; ils ne l’ont toujours pas digéré. À preuve, leur penchant perpétuel pour le fascisme et le rétablissement de la monarchie durant chaque guerre. C’est Rudolph Hess, nazi parachuté sur les terres de la couronne en 42, qui en aurait eu long à raconter.
Heureusement, la reine mère a pu tout au long de son existence se consoler de toutes ces avanies en songeant à nous, fiers Canadiens, derniers partisans de la monarchie entre les Bermudes et les îles Coco. À nous, derniers défenseurs de la poussiéreuse fonction de gouverneur général. À nous, partisans d’un Commonwealth peuplé de dictatures. À nous, dernière puissance mondiale refusant délibérément une autonomie symbolique. À nous, dernière puissance économique à consentir au Royaume-Uni une balance déficitaire issue de l’achat de produits surtaxés.
Alors! Il faut bien que quelques-uns, quelque part, insistent encore. Que quelques-uns fassent du lobby pour la couronne. Ce sont probablement ces mêmes vieux royalistes venus des colonies et leur descendance écolière qui mouillent leurs couches-culottes lorsqu’un prince consort au regard halluciné de pop star débarque ici avec une grande potiche qui sourit comme un canasson piqué avant le départ.
Ah! ne changeons rien à ce décor charmant. Cela pourrait passer pour un geste favorisant les nationalismes.
Et surtout, soyons à jamais satisfaits et fiers du baume que nous avons su apposer sur les rhumatismes de la reine mère et son coeur vieillissant.