Droit de cité : 100 jours et 100 nuits
Société

Droit de cité : 100 jours et 100 nuits

C’est l’heure du rapport d’étape. Dans moins d’une semaine, ça fera la rondelette somme de 100 jours que Gérald Tremblay et sa bande auront pris le pouvoir.

Après 100 jours et 100 nuits, où s’en va Montréal? Au Sommet, bien entendu. Pas au faîte, ni over the top, ni au zénith, encore moins au piton de son mamelon. Mais au Sommet de Montréal de juin prochain.

C’est-à-dire que nous ne sommes même pas encore partis pour l’aventure, parce qu’on s’est pas encore branché sur une destination. Tout au plus, avons-nous mandaté quelques-uns d’entre nous d’aller nous procurer des guides de voyage et des cartes. Ils ne sont toujours pas revenus, du reste.

C’est pas ben loin, ça. Mais jusqu’à maintenant, c’est le seul pas qu’a su (et peut-être pu) entreprendre la première administration de l’histoire de cette nouvelle ville. D’abord, parce qu’elle a perdu beaucoup de temps à gérer les distractions, les histoires de contrats, les boîtes à surprise qu’ont laissées en héritage plusieurs anciennes municipalités, et les nids-de-poule dans la loi 170. Une loi 170, qui, comme nous l’avions prévenu, a été rédigée avec une telle hâte, que le gouvernement en a oublié de boulonner quelques boulons et tarauder quelques tarauds.

Mais aussi parce que le Comité de transition, en place pendant un an avant l’acte de naissance du nouveau Montréal, a laissé aux élus le gros de la job. Définir l’administration des arrondissements, l’organisation du travail, l’arrimage des conventions collectives, l’établissement de normes comptables, de systèmes informatiques communs…

C’est à se demander à quelle transition présidait au juste le Comité de transition. On a plutôt l’impression que c’était davantage un comité de transmission, qui n’a fait que transmettre des documents du ministre aux élus de la nouvelle ville.

Vrai que le Comité s’est activé à placer les hauts fonctionnaires de la banlieue, qui risquaient de perdre leur boulot avec la fusion, aux postes stratégiques de la Ville. Ce qui expliquerait pourquoi un nombre disproportionné de directeurs et de chefs de services sont issus d’anciennes villes de la banlieue. Même bon nombre des directeurs d’arrondissements de l’ancienne Ville de Montréal, les petits boss-paperasses des administrations de quartier, proviennent de la banlieue.

Pour le reste, le Comité n’a émis que quelques recommandations au gouvernement, pour s’assurer que les pratiques douteuses de la banlieue puissent se perpétuer dans la nouvelle ville, et même au coeur du Plateau ou du Mile-End. Son rapport final est un ramassis de circonvolutions et d’ambages qui tient en quelques pages. En comparaison, le Comité de transition à Québec a accouché d’un rapport considérable et détaillé.

Malgré ces contretemps, les Montréalais étaient en droit de s’attendre qu’à cette étape-ci, la nouvelle administration ait au moins une idée de la direction, une fois qu’elle aura paqueter tous ses p’tits. Car, au lendemain de sa courte victoire électorale, l’équipe de Gérald Tremblay avait une terrible réponse existentielle à donner à une question qui l’était tout autant: What’s next?

Rappelons qu’il y a un an, six forces divergentes de l’opposition s’activaient pour croiser le fer avec Pierre Bourque. Tout ce beau monde a drapé les incompatibilités qui les éloignaient pour s’unir sous un seul objectif: battre Bourque. Le 4 novembre au soir, l’objectif était atteint et consommé. Alors, what’s next? Gérald Tremblay a répondu en chuchotant, et du bout des lèvres, "bâtir la nouvelle ville". C’est pas un objectif, ça, c’est la tâche minimale qui leur incombe.

Alors, what’s next encore? Ou, plus correctement français: quelle ville? Toujours pas de réponse, sauf celle du Sommet de Montréal, qui ne peut en être une crédible. Il n’aboutira que sur une longue liste d’épicerie esquissée à partir d’innombrables petites listes d’épicerie, contradictoires les unes aux autres. Cela ne définira rien, sauf quel groupe d’intérêt aura été plus convaincant que l’autre.

L’autre semaine, j’avais transmis la mienne. C’était bidon, mais de nombreux lecteurs se sont pris au jeu et ont commenté certains points. L’exercice a parfaitement fonctionné puisqu’il a démontré la dynamique d’épicerie des Sommets.

Je propose, au nom de tous les propriétaires de chiens (et à leur insu), de libérer les cabots des enclos. Un autre groupe, au nom de tous les non-propriétaires de chiens (à leur insu itou), m’a répondu le contraire, genre mort aux chiens. On va où avec ça? Nulle part, sinon que les aboiements des derniers risquent d’être plus convaincants que les gémissements des premiers.

Mais Montréal n’a toujours pas, de ce qu’on charrie trop souvent à tort et à travers, de projet de société. Il y a huit ans, Rudolph Gulianni a proposé le sien aux New-Yorkais: faire le ménage. Il l’a fait. À Québec, Jean-Paul L’Allier s’est donné la mission de donner à sa ville un caractère de capitale nationale. Il l’a fait. Mais à Montréal? Les enclos à chiens seront plus petits ou plus grands, selon la vigueur de chacune des parties.

Gérald Tremblay ne cesse de répéter qu’il ira là où ceux qui l’ont élu le mèneront. Le problème, c’est qu’ils vont dans tous les sens. Et Gérald Tremblay, en digne héritier politique de Robert Bourassa, refuse de trancher. C’est ce qu’on appelle un manque total de leadership.