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Droit de cité : Je vous démissionne
Éric Grenier
Le Sud-Ouest de Montréal a perdu, sans tambour ni trompette (mais peut-être avec un peu de cornemuse), son député fédéral. À peine un an et des poussières après avoir pourtant été élu avec une écrasante majorité lors des dernières élections fédérales, Raymond Lavigne, mieux connu sous le sobriquet de "Qui?" à Ottawa, député libéral de Verdun-Saint-Henri-Saint-Paul-Pointe-Saint-Charles-Alouette depuis 1993, a annoncé son retrait de la vie politique active.
Les bras vous en tombent par terre, je l’entends. Lui aussi, ses bras ont dû suivre le même chemin de la gravité, quand le premier ministre lui a annoncé qu’il avait démissionné, été nommé au Sénat, qu’une élection partielle était déclenchée dans sa circonscription, que l’investiture libérale avait déjà eu lieu, et que Liza Frulla était déjà en campagne électorale pour le remplacer.
Une démission, il l’aura deviné, pour des raisons personnelles; à ce stade-ci de sa carrière et de sa vie, il était temps de passer à autre chose, attends-moi minou, je reviens à la maison.
Bon, je blague en affirmant que c’est le premier ministre qui a annoncé à Lavigne sa démission. Voici comment les choses se sont probablement déroulées.
Le 26 mars dernier au matin, le PLC a appris avec stupéfaction, puis accepté, la démission de Lavigne, découvert qu’il désirait au plus profond de son coeur siéger au Sénat, ils l’y ont nommé une heure plus tard, ont consulté les membres de l’association libérale de Verdun dans l’après-midi pour découvrir qu’ils réclamaient à cor et à cri Liza Frulla, qui a accepté en soirée d’être leur candidate. Ça ne lésine pas. Et, bien entendu, il aurait été malsain pour la démocratie de laisser orpheline plus d’un jour une circonscription, alors Jean Chrétien s’est résigné à déclencher une partielle subito presto.
Une autre hypothèse: le 26 mars, Raymond Lavigne apprend qu’il doit démissionner. De manière très surprenante, ce n’est ni le député, ni le Parti libéral, mais le directeur général des élections qui annonce par voie de communiqué l’abdication, contrairement aux us et coutumes en vigueur. Une heure plus tard, Jean Chrétien le nomme au Sénat, comme promis, en retour de son départ. Du même coup, Jean Chrétien déclenche une élection partielle pour le comté, presque un record de rapidité: en effet, la date choisie est la plus rapprochée que permet la loi électorale pour combler un poste. En soirée, Liza Frulla se fait promettre le comté par les bonzes du PLC. Le lendemain, tout l’état-major libéral au Québec confirme en coulisses que la circonscription sera celle de Liza Frulla.
Une opération savamment planifiée au préalable par les hommes, et les très rares femmes, du premier ministre Jean Chrétien, est-ce possible?
Bien sûr que non. Les libéraux n’avaient pas de candidat-vedette à parachuter dans l’ancienne circonscription d’Alfonso Gagliano, à Saint-Léonard. Si tel avait été le cas, ça aurait plutôt mal tombé, puisque la chicane était prise entre les Italiens, alors que cinq candidats reluquaient l’ancien siège de notre ambassadeur au Danemark. Les libéraux se seraient inutilement compliqué la tâche. Il aurait fallu qu’ils dénichent une autre circonscription qui, par un hasard inexpliqué et inexplicable, se serait libérée. Un vrai jeu de serpents et d’échelles.
Une opération orchestrée par les hommes du premier ministre ou une étonnante succession d’événements plus fortuits les uns que les autres? Ou bien vous êtes cyniques, ou bien je suis terriblement naïf. D’ailleurs, il n’y a que les naïfs pour respecter les institutions démocratiques. Les autres font de la politique.
Un homme de castors
Il ne faut pas regretter outre mesure le départ de ce brave cabot, dont les deux grands faits d’armes en neuf ans de députation auront été dans l’ordre: une montée de lait contre Paul Martin, et d’avoir été nommé par ses pairs parmi les 10 députés les plus paresseux de la Chambre des communes, lors d’un sondage réalisé par le Hill Times, l’hebdomadaire de la colline parlementaire à Ottawa.
Chez les habitués de cette colonne, on connaît Raymond Lavigne pour sa prise de position en faveur de la construction de condos dans l’ancienne raffinerie de sucre Redpath, il y a deux ans. Un projet controversé que l’administration du maire Bourque à l’époque avait tenté d’avaliser le plus rapidement possible, malgré la quasi-unanimité de tout ce qui grouillait comme activistes et gens d’affaires du quartier, contre le projet.
D’abord, qu’un député fédéral se prononce publiquement sur un dossier d’ordre on ne peut plus municipal, il y avait de quoi se pincer. Et doublement, compte tenu de la forme parfois confuse qu’avait prise son intervention. Si le projet des condos était accepté, avait-il promis, Sheila Copps allait vous construire un musée du Canada. "Il va y avoir des diaporamas! Des animaux en fourrure, des castors, des ours polaires, ça va attirer des milliers de touristes et ça va les renseigner sur tout ce qui représente le C-â-n-â-d-â!!!" avait-il dit avant d’avoir le souffle coupé par tant d’emportement. Certains ont chuchoté après qu’ils croyaient avoir entendu une vis tomber par terre.
On ne l’a jamais retrouvée.