Les esprits frappeurs : Poltergeist
Société

Les esprits frappeurs : Poltergeist

Que ce soit au cinéma, à la télé ou dans les oeuvres de fiction en général, les histoires de fantômes et de phénomènes inexpliqués fascinent. Ces anecdotes demeurent cependant de l’ordre de l’imaginaire, sans prise sur la réalité. Mais s’il en était autrement…

Esprit, es-tu là?

L’ancienne demeure rouge et blanche, usée par le temps, se dresse, imposante, sur le flan d’une butte, à deux pas de l’église du village. Pour y accéder, le visiteur emprunte un chemin de terre sinueux et bosselé, entouré de longs arbres aux branches griffues. Peut-être parce qu’elle est située en face du cimetière ou tout simplement parce qu’elle a longtemps accueilli le croque-mort et son épouse, cette maison centenaire a la triste réputation d’abriter des âmes perdues. Selon des témoignages, celles-ci se manifestent en frappant des coups virulents contre les murs, et certains soirs, des bruits de chaînes que l’on racle sur le sol percent le silence de la nuit. Philip, 27 ans, a passé son enfance à L’Ancienne-Lorette; longtemps intrigué par la baraque, il finit par en franchir le seuil. "Quand on contourne la maison, on ressent déjà un souffle démoniaque. Peu de gens osent s’en approcher. J’y suis allé et je me souviens particulièrement bien d’une immense chaise en fer forgé, située dans le hall d’entrée, dont les montants se finissaient par de longues piques aiguisées. C’est le genre d’objet qui meuble les films d’horreur et qui donne la chair de poule quand on pose les yeux dessus." Une description à faire frémir; pourtant, Philip n’a observé aucun phénomène suspect au cours de sa visite approfondie des deux étages supérieurs et de la cave, sombre et humide. Mauvais timing? Sans doute. Il semble que les fantômes ne se manifestent pas sur commande. En outre, la sensibilité de l’individu doit être prise en compte et Philip ne possède peut-être pas le fluide nécessaire à la communication avec l’au-delà.

Martin, 55 ans, a eu plus de chance dans sa quête du mystère. En 1992, ayant entendu parler d’une maison hantée située dans le nord-est de l’île d’Orléans, il décide de se faire passer pour un acheteur potentiel. Sûr de lui et persuadé d’avoir affaire à une légende, il prend rendez-vous. "La maison était vide et, extérieurement, elle ressemblait à une maison de village toute simple", précise-t-il. Cependant, alors qu’il se trouve au rez-de-chaussée en compagnie de l’agent immobilier, il entend des bruits de pas au premier étage. "Je suis vraiment hyper sceptique et jamais je n’aurais imaginé entendre ce genre de choses en me rendant là-bas. Je voyais plutôt ça comme une blague." Effrayé, il sort de la maison en courant pour découvrir qu’une des fenêtres de l’étage supérieur s’est mystérieusement ouverte. "C’était à ne rien y comprendre. L’agent immobilier venait de vérifier que tout était fermé et voilà qu’une des fenêtres battait au vent."

Chasseuse de fantômes
Des "rencontres" comme celle décrite par Martin, Mireille Thibault, auteure du livre Maisons hantées, en a fait des dizaines. Véritable chasseuse de fantômes, rien ne la surprend plus depuis qu’elle s’intéresse aux phénomènes paranormaux. Elle a d’ailleurs pris l’habitude de se rendre dans les maisons "hantées" pour vérifier la réalité des possessions supposées. Titulaire d’un baccalauréat en psychologie, elle a commencé à s’intéresser à la parapsychologie il y a une vingtaine d’années. "En tant que chercheuse, je voulais observer et mesurer les phénomènes dits paranormaux et aussi soulager les personnes aux prises avec des évènements incontrôlés qui les harcèlent et les désemparent."

Selon Mme Thibault, la majorité des gens sont déjà entrés en contact avec des entités invisibles – qui n’a jamais ressenti un sentiment soudain et inexpliqué d’angoisse ou un étrange courant d’air froid lui traverser le corps alors que les portes et les fenêtres sont fermées? "La difficulté provient du fait que bien souvent les gens ne prêtent aucune attention à ce genre de phénomène", déplore-t-elle.

Pas médium mais tout de même pourvue d’une sensibilité certaine, Mireille Thibault s’est déjà penchée sur une quarantaine de cas de hantise au Québec. Un certain nombre d’entre eux restent ancrés dans sa mémoire.

Parmi les maisons figurant sur son tableau de chasse, on trouve une bâtisse de la région de Montmagny. "D’après les gens du coin, un vieux monsieur y avait habité et hantait encore les lieux. La maison avait été rachetée dans les années 80 par un motard et dès son arrivée, de nombreux phénomènes s’étaient fait sentir. À tel point qu’il n’était plus capable d’y passer la nuit. Le problème a rapidement été réglé puisqu’il s’est fait arrêter et a été jeté en prison. Un policier a alors pris possession des murs et lui aussi a été aux prises avec des évènements inexpliqués: coups dans les cloisons, courants d’air… Il n’a pas fait long feu et a pris ses jambes à son cou. Aujourd’hui, c’est un couple et ses trois enfants qui se sont installés dans la maison. Dès que j’ai eu vent de cette histoire, je me suis rendue sur place en compagnie d’une médium – mon excuse est toujours de dire aux gens que j’étudie les vieilles maisons à l’université; je leur demande alors l’autorisation de jeter un coup d’oeil à l’architecture. La famille a gentiment accepté de nous faire visiter la demeure. Au cours de cette visite, j’ai demandé au propriétaire si, compte tenu de l’âge de la bâtisse, il avait déjà remarqué des phénomènes étranges. Il m’a certifié n’avoir jamais rien constaté d’anormal, même s’il connaissait la réputation de la baraque. Nous avons finalement quitté les lieux. Ce n’est qu’une fois dans la voiture que la médium m’a avoué qu’une entité habitait effectivement dans la maison mais qu’elle n’avait plus de raison de se manifester et qu’elle restait calmement au premier étage. Selon elle, il s’agissait d’un homme âgé possédant une pipe recourbée. Cette description m’a étonnée car elle était identique à celle que j’avais obtenue et dont la médium n’avait jamais eu connaissance."

Entre croyance et scepticisme
S’il peut paraître difficile de prendre pour argent comptant les histoires de sorcières, de fantômes et autres esprits maléfiques, la Société québécoise de psilogie (émanation de l’Ordre des psychologues du Québec créée au début des années 80) prend au sérieux les phénomènes dits paranormaux et tente de leur trouver une explication logique. Philippe Mabilleau, porte-parole du mouvement, souligne qu’"à l’inverse des sceptiques qui ne cherchent qu’à démontrer qu’ils n’existent pas, nous considérons que jusqu’à preuve du contraire certains phénomènes peuvent être expliqués. Il arrive cependant que nous ne trouvions aucune explication".

En 1989, les psilologues se sont ainsi intéressés à un cas troublant dans le quartier Rosemont à Montréal. "Un travailleur social nous a contactés car il avait constaté de violents coups frappés, des chutes et des bris d’objets dans le logement d’une certaine Mme Lafleur qui demeurait au deuxième étage d’une habitation à loyer modéré pour personnes âgées. Les voisins se plaignaient de bruits épouvantables. Finalement, après de longs mois d’enquête au cours desquels nous avons, entre autres, demandé une expertise à un technicien de l’Office d’habitation de Montréal, nous avons dû reconnaître le caractère inexpliqué des phénomènes. La seule certitude que nous avions, c’est que les coups se manifestaient toujours lorsque la petite-fille de Mme Lafleur était présente." Scientifiquement parlant, aucune cause physique ne pouvait expliquer de tels bruits. Or, en psilogie, des évènements qui surviennent dans de telles circonstances sont baptisés poltergeists. Ces phénomènes se manifesteraient en présence d’un enfant ou d’un pré-adolescent étant aux prises avec une situation conflictuelle non exprimée. "Mais nous sommes à l’heure actuelle bien incapables d’expliquer comment cela peut se produire", avoue Philippe Mabilleau.

Les manifestations du malin
La plupart des histoires de possession racontées au Québec se finissent bien, mais ce n’est pas toujours le cas. Lorsque Mireillle Thibault a commencé ses investigations en 1989, elle s’est intéressée à toutes les légendes urbaines qui se racontaient ici et là. Parmi celles-ci, une histoire particulièrement effrayante se déroulait à Saint-David. "On m’avait parlé d’un manoir juché sur une colline qu’aurait habité le docteur Hearn. Au cours d’une partie de chasse, ce médecin aurait accidentellement tué son épouse. Perdant la raison, il aurait alors caché le corps dans le coffre de sa voiture. Quelque temps plus tard, le corps de la défunte est découvert et le Dr Hearn est accusé de meurtre." Selon les croyances, depuis ce fâcheux incident, des coups frappés se font entendre et divers phénomènes inexpliqués se produisent dans la résidence. Afin de vérifier la véracité de ces propos, Mireille Thibault tente de joindre les nouveaux propriétaires par téléphone. En vain. Elle se rend alors sur les lieux. "Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un véritable décor de film d’épouvante! Avec ses petites tourelles, sa véranda, le manoir était réellement impressionnant", se souvient-elle.

?Manifestement, il y avait quelqu’un dans la maison. Des bottes de travail étaient posées devant la porte d’entrée et puis il y avait aussi une motocyclette. Pourtant personne n’est venu m’ouvrir. En regardant à travers les vitres, je pouvais distinguer des meubles antiques et surtout une porte menant à la cave d’où se dégageait de la lumière. J’y ai aperçu des gros moellons mêlés à des pierres anciennes qui semblaient former les fondations." Malgré ces multiples tentatives, Mireille Thibault n’est jamais parvenue à établir de contact avec les locataires. Mystère non résolu, donc.

Même essai du côté de Charny. Après avoir passé une petite annonce dans le journal, Mme Thibault est contactée par une vieille dame. "Elle avait acquis en 1939, pour 250 $, une vieille maison. Or, au cours des 25 années qu’elle y a passé, de violents et néfastes phénomènes se sont manifestés. Des voix ont par exemple ordonné à son fils et à son mari de se suicider. Des odeurs inexpliquées, des sifflements et des bruits de machine à coudre ont été constatés." La cave semblait l’endroit le plus propice aux manifestations: les habitants y éprouvaient des frissons d’angoisse et surtout, des objets y disparaissaient régulièrement. L’ancienne propriétaire a également fait part d’un four qui s’allumait tout seul et de vaisselle qui s’entrechoquait dans l’évier. "D’après elle, les manifestations étaient devenues beaucoup plus fortes après l’ouverture d’une vieille cheminée."

Attirée par tant d’énigmes, Mireille Thibault se rend sur place. "Le terrain et la maison semblaient négligés, presque à l’abandon et il m’a semblé que quelque chose de morbide, de néfaste se dégageait des lieux." Elle contacte alors l’actuel propriétaire qui lui répond sèchement que ces histoires sont absurdes. Fin de l’investigation.

Malgré ces échecs, Mireille Thibault n’a jamais baissé les bras, et des histoires d’entités qui prennent possession d’un corps, d’esprits qui refusent de quitter une maison ou de démons qui effraient les locataires, elle peut en raconter à la pelle.

Robert n’est pas surpris par cette histoire. Au milieu des années 70, il a acheté une maison dans la rue Grandpré à Montréal. "La plus ancienne maison du plateau Mont-Royal, une très ancienne ferme dominée par une tourelle. Je m’y étais installé avec ma femme et dès la première soirée, alors que nous avions encore la tête dans les cartons, nous avons ressenti les premiers évènements bizarres. Ça a commencé par des coups sur la porte, mais personne n’était derrière. Puis ça a été au tour des murs de craquer et de grincer. Plus les mois avançaient, plus nous nous sentions mal à l’aise. Finalement, au bout de deux ans, nous avons décidé de quitter les lieux. Les membres d’un mouvement spirituel étaient très intéressés à racheter la demeure. Pourtant, après l’avoir visitée, ils ont décrété qu’elle dégageait trop d’énergie négative. Malgré mes avertissements, c’est un de mes amis qui a acquis la vieille ferme. Six mois plus tard, il a été victime d’une crise cardiaque. Sa soeur s’est alors installée dans les murs et à son tour, au bout de six mois, elle a eu un arrêt cardiaque." Robert a appris bien plus tard que la maison avait servi de lieu de réunion à des membres d’une secte satanique qui s’adonnaient à des séances de magie noire. Le lien entre ces évènements ne fait désormais aucun doute dans sa tête.

Mythe ou réalité?
Quelle que soit la nature des phénomènes dits paranormaux, leur étude est loin d’être une sinécure. Incontrôlables et difficilement vérifiables, ils ne se prêtent pas facilement au jeu des explications rationnelles. Le scepticisme est de mise et l’incrédulité une religion. Pourtant, dès que l’on évoque le sujet, des dizaines de personnes font part de leurs expériences: mystérieuses disparitions ou bruits étranges entendus certains soirs de pleine lune. La question reste donc entière.

Pour plus d’information:
À lire: Mireille Thibault, Maisons hantées, Éditions Louise Courteau, 2001.
À visiter: le site Angoisse (http://www3.sympatico.ca/copain28/menubienvenue5.htm) ; le site de la Société québécoise de psilogie (http://www.sqp.qc.ca/index1.html); le site des Sceptiques du Québec, une association à but non lucratif fondée en 1987, dont le principal objectif est de promouvoir la pensée critique et la rigueur scientifique dans le cadre de l’étude d’allégations de natures pseudo-scientifique, ésotérique et paranormale (http://www.sceptiques.qc.ca/).

À visionner: The Others de Alejandro Amenábar avec Nicole Kidman.