![Abus sexuels et communautés religieuses : L'heure du confessionnal](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/10/12440_1;1920x768.jpg)
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Abus sexuels et communautés religieuses : L’heure du confessionnal
Au moment même où le scandale éclate de toutes parts aux États-Unis, les plaintes s’accumulent et les poursuites s’organisent au Québec dans les cas d’agressions sexuelles commises dans les établissements religieux. Fini, l’époque du silence complice au sein de l’Église?
Denoncourt Frédéric
La sentence de 10 ans d’emprisonnement dont a écopé, en février dernier, l’ancien prêtre John Geoghan du diocèse de Boston pour sa culpabilité à 130 chefs d’accusation d’agressions sexuelles a déclenché une véritable onde de choc aux États-Unis. Tour à tour, les cardinaux de Boston, New York et Los Angeles ont cédé et fourni à la justice la liste des prêtres de leur archidiocèse soupçonnés d’avoir commis l’odieux péché sur de jeunes pensionnaires. Même le pape fit état "d’un grave scandale qui jette une ombre de suspicion sur tous les prêtres"…
La presse aussi a participé à la levée de cette singulière omerta. Selon le quotidien Boston Globe, le cardinal Bernard Law était bien au fait des agissements de l’abbé Geoghan alors qu’il contribuait néanmoins à le faire grimper dans la hiérarchie. Pour les magazines Times et Newsweek, c’est le manque de transparence de l’Église catholique qui fait aujourd’hui son calvaire.
Et les langues continuent à se délier chez les victimes présumées à travers un grand nombre de diocèses américains. D’autres poursuites s’organisent. Un cocktail potentiellement explosif dans un pays où l’on sait l’auréole que possèdent toutes deux religion et justice.
Mais voilà: le ballon est-il en voie d’éclater ici aussi? Les histoires d’agressions sexuelles dans les établissements religieux québécois défraient les manchettes depuis quelques semaines. Soutenu par le Mouvement action justice, Hervé Bertrand fut le premier dont la plainte en justice fut entendue à la fin mars. M. Bertrand avait refusé de signer l’entente intervenue dans le dossier des orphelins de Duplessis, car celle-ci n’avait trait qu’à l’internement illégal, faisant l’impasse sur les cas d’abus sexuels. "Cette entente a été "bullshitée" par monsieur (Lucien) Bouchard qui est ensuite parti en Italie main dans la main avec Mgr (Jean-Claude) Turcotte. Il ne fallait pas salir l’image de l’Église", rage M. Bertrand.
Entré en 1950 à l’âge de neuf ans à l’orphelinat du Mont-Providence à Montréal, Hervé Bertrand soutient avoir subi des sévices sexuels entre l’âge de 11 et 15 ans de la part de trois moniteurs. "La plupart des abus se passaient lors de grandes fêtes religieuses comme Pâques. À l’époque, religieux et moniteurs avaient l’autorité suprême. Un des moniteurs m’enfermait régulièrement dans une cellule et m’attachait avec une camisole de force pour ensuite m’enculer et me sucer."
Les religieuses, les médecins et les deux paliers de gouvernement étaient bien au fait de ces pratiques pour le moins douteuses mais ont fait l’autruche, prétend M. Bertrand. "Malgré mes plaintes répétées, les religieuses ne faisaient rien. Un gros pourcentage de ceux qui sont sortis de ces institutions sont devenus des agresseurs ou des pédophiles. Faisons attention avant de les pointer du doigt", plaide-t-il.
Selon Yves Manseau, du Mouvement action justice, qui soutient plus de 200 autres plaignants à l’heure actuelle, 321 plaintes auraient été déposées au criminel au cours des dernières années pour abus physiques et sexuels, sans que le gouvernement ne juge bon d’amorcer une seule poursuite. "On disait qu’il n’y avait rien à faire, car les abuseurs étaient morts ou introuvables. Dernièrement, au bureau du premier ministre, on nous a dit que s’il n’y avait pas eu de compensations, c’est qu’aucune plainte n’avait été portée au criminel. Or, nous pouvons démontrer que c’est l’État qui a bloqué le processus."
Autre temps, autres moeurs?
"Il y a 10 ans, on avait recommandé aux évêques du Canada de prendre la chose au sérieux, mais il semble qu’on ne l’ait pas fait", observe Jean-Guy Nadeau, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. "La conception de l’autorité était très différente dans la culture de l’époque. Il a fallu du temps avant qu’on reconnaisse que ces abus pouvaient être dommageables, on se disait que ce n’était pas si grave", poursuit M. Nadeau.
Quant à la réticence des évêques à aller au-delà de simples regrets lancés du bout des lèvres, Jean-Guy Nadeau croit que plusieurs demeurent peut-être sous l’emprise de cette conception voulant que l’on exagère un peu les torts causés, bien que d’autres admettent de plus en plus la gravité de la situation. Selon lui, la théologie du pardon, la promesse de ne plus recommencer, ainsi que la culture institutionnelle qui induit un réflexe d’autoprotection peuvent aussi expliquer en partie le mutisme dans lequel se serait confinée l’Église. "Il faut néanmoins reconnaître que du mal a été fait. Nous avons participé à la création de cette culture dans laquelle les abus étaient acceptés. Les victimes doivent se sentir écoutées et l’Église doit prendre ses responsabilités. La suspicion fait plus de tort que la reconnaissance de certains faits."
"C’est une question très douloureuse qui soulève beaucoup d’interrogations. On doit reconnaître qu’il y a eu faute et il faut chercher à guérir", admet Roger Ebacher, évêque du diocèse Gatineau-Hull.
Mgr Ebacher présida, en 1992, le comité ad hoc de la Conférence des évêques catholiques du Canada qui rédigea le document De la souffrance à l’espérance portant sur les agressions sexuelles dans les établissements religieux. Le document visait à aider les diocèses à gérer les situations d’abus sexuels et physiques en accordant la priorité à la protection des enfants.
Étrangement, le document au titre plus que révélateur n’envisageait aucunement de faire la lumière sur les agressions passées, mais seulement d’éviter qu’elles ne se reproduisent, reconnaît Mgr Ebacher. "Nous ne formulions que des recommandations et il en revenait à chaque diocèse de les mettre en application ou pas." Donc, pas d’excuses officielles de l’Église pour les sévices passés? "Si des actes criminels ont été commis, la question doit être réglée en cours de justice." Il en reviendrait ainsi à chacune des victimes de s’adresser à l’institution où elle aurait subi des sévices. "C’était un phénomène de société, et on ne peut refaire le passé même si on remet en cause ces comportements", conclut Mgr Ebacher.
Questionné à savoir si la source du problème est individuelle ou institutionnelle, Jean-Guy Nadeau explique la situation ainsi: "C’est un peu les deux. Au départ, c’est le problème de l’individu, mais cela devient un problème ecclésial dans la gestion. Il faut dire que, dans l’imaginaire populaire du temps, l’Église faisait le bien des enfants et que si à travers ça il y avait quelques pommes pourries…"
Réclamer justice
Déçus de ce qu’il considère être de la mauvaise volonté de la part de l’Église et de l’État, Yves Manseau entend presser le pas sous peu. "Le Québec pourrait devenir le seul État où les abuseurs s’en seront tirés sans poursuites. Nous avons en main des éléments pour faire éclater un scandale à teneur mondiale, aussi gros qu’en Irlande où près de un milliard de dollars seront versés en indemnités."
L’État et l’Église marcheraient-ils main dans la main, un peu comme avant? "J’estime qu’il y a eu convergence d’intérêt entre les deux. La jurisprudence dans ce domaine démontre que les compensations sont élevées, ce qui a fait peur au gouvernement qui sait l’ampleur du problème", poursuit M. Manseau.
Celui-ci déplore également le fait que le Québec soit la seule province à ne pas avoir mis sur pied un programme de compensations pour les abus physiques et sexuels commis dans les institutions d’État gérées par les communautés religieuses. "Nous voulons un règlement du même ordre que celui des autres provinces. Les religieux ici ont un double discours, ils veulent aider, mais se réfugient derrière la légalité. Mais on va faire éclater l’abcès, vous allez voir."