Le petit Gurbaj Singh pourra aller à l’école avec son kirpan, selon une procédure qui préserve la "morale sécuriste" de notre société, qui a remplacé le carême par le puritanisme nouvelâgeux. Pas d’alcool, pas de tabac, je porte mon casque à vélo… et mon kirpan dans un étui scellé.
Pendant que les parents s’excitent pour la fausse sécurité de leurs protégés, que les xénophobes jappent au AM leurs jugements de valeur sur les pratiques religieuses des autres ("ça roule à 18 dans des Stationwagon"), et que Me Julius Grey sourit à la caméra, personne ne nuance, ni la liberté de culte ni la laïcité absolue de nos institutions.
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La semaine dernière, la Cour a reconnu à un ensemble de chics condos le droit d’interdire les souccah sur leur balcon, pendant la fête juive du Soukot. La souccah est un petit abri en bois ou en toile, sans toit, que les juifs orthodoxes utilisent pour commémorer les conditions de vie difficiles après la fuite d’Égypte.
Pourquoi le kirpan, et non pas la souccah? Parce que la convention du syndicat des propriétaires des condos, qui interdit même les drapeaux et les décoration de Noël, est un contrat privé, auquel quiconque est libre d’adhérer.
Mais une école publique, ce n’est pas un contrat de vente à tempérament. C’est une institution citoyenne, probablement la plus importante, devant le Parlement et le système électoral. C’est ici que nos rejetons cessent d’être des rejetons et deviennent des citoyens. Oh! Pas toujours de la bonne façon: si au Proche et au Moyen-Orient elle est gangrenée par les hérétiques du Coran et de l’étoile de David, ici, elle l’est par des théoriciens "marxoïdes" qui ont fumé un peu trop de pot et écouté un peu trop de King Crimson dans leur jeunesse.
C’est sur cette base qu’on devrait se demander si le kirpan est acceptable. Ça n’a rien à voir avec la sécurité. Quoique le kirpan soit une arme, il soulève moins le désir d’égorger son prochain qu’un bâton de hockey. Et accepter le kirpan, ça ne signifie en rien qu’en vertu de la Charte des droits et libertés, on tolérerait aussi l’excision ou n’importe quelle autre barbarie. Les cours ont depuis longtemps tranché que la liberté de religion ne permet pas à des parents témoins de Jéhovah d’empêcher les transfusions sanguines à leur enfant malade.
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Le kirpan est un petit sabre. Le dernier gourou du sikhisme reconnu, Guru Gobind Singh (1666-1708), a établi la Khalsa, l’armée symbolique de défense des Sikhs, victimes depuis le XVe siècle des exactions mongoles et musulmanes. Le Sikh fait le voeu de respecter à la lettre les "cinq K" de la Khalsa, tel que l’a conçue Guru Gobind Singh, pour que les Sikhs n’est plus jamais peur, ni honte, d’être sikhs: kesha (les cheveux longs et la barbe), kangha (le peigne dans la chevelure), kara (le bracelet en acier), kaccha (les culottes courtes) et kirpan (le sabre).
Plusieurs écoles californiennes ont déjà réussi à interdire le port du kirpan. En Ontario, le ministère de l’Éducation recommande aux conseils scolaires de le tolérer, sous certaines restrictions, semblables à celles imposées par la cour cette semaine. Par contre, les compagnies aériennes sont parfaitement autorisées à l’interdire à bord des avions, comme l’a reconnu la Commission canadienne des droits de la personne en 1996. Il n’y a pas juste le kirpan qui pose problème. Le turban aussi. Comment en effet porter un casque en moto quand on ne peut enlever son turban? Ici, pas de dérogation.
Alors, pourquoi dans les avions, et pourquoi pas à l’école? Parce qu’on ne pose pas la bonne question. L’interdiction du port du kirpan à l’école n’est pas une question de sécurité. C’est une question de séparation de Dieu et de l’État. Ce n’est pas un jugement de valeur sur le sikhisme. D’ailleurs, le sikhisme est l’une des religions les plus tolérantes et égalitaires qui soient. Plus que l’islam sunnite, que le judaïsme, que le catholicisme.
Il serait un stylo à bille, un coquelicot, une plume de tyran tritri à gorge rousse qu’il n’aurait toujours pas sa place à l’école. En démocratie, on sépare Dieu et l’État parce qu’ils sont INCOMPATIBLES. La démocratie signifie l’État de droit au-dessus de tout. La religion imprime plutôt la suprématie de Dieu sur tout.
Le port du kirpan ou l’interdit de la contraception chez les catholiques est imposé par un pouvoir théologique qui se place au-dessus de notre loi suprême. Une loi divine supérieure à tout, y compris à la Charte, la Constitution, le Code criminel, celui de la sécurité routière… (Paradoxalement, les défenseurs de la liberté religieuse s’appuient sur la suprématie de la Charte des droits et libertés pour faire avaliser la suprématie de Dieu.)
C’est en ça que le kirpan dérange. Il inflige à la condition minimale de toute démocratie (la laïcité de ses institutions) un pouvoir sur lequel ni vous, ni moi, ni personne, même pas ceux qui s’en réclament adeptes, avons un contrôle.
C’est aussi pour ce que représente le kirpan, ou la burqua encore. Un crucifix, c’est juste là pour nous rappeler que quelqu’un a souffert pour nous. Le kippa, la calotte des juifs? Pour se reconnaître entre eux. Il n’y a là aucune motivation qui n’entre en conflit avec la suprématie de l’État de droit. La burqua, par contre, représente la soumission animale de la femme. Là, ça pose problème. Le kirpan? La légitimité de la violence pour défendre la justice, la vérité, mais surtout la foi sikh. Or, en démocratie, c’est la Constitution qui protège la foi, pas juste celle des Sikhs, mais celle de tout le monde.