![Le commerce international est-il équitable? : Deux poids, deux mesures](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/10/12406_1;1920x768.jpg)
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Le commerce international est-il équitable? : Deux poids, deux mesures
Le premier ministre Jean Chrétien a réalisé une tournée de neuf jours aux quatre coins du continent africain et annoncé des mesures visant à favoriser son développement. Or, cette visite coïncide avec le lancement de la campagne Pour un commerce équitable d’Oxfam qui réclame de changer les règles du commerce international. Que faire pour sortir les pays du Sud de la misère?
Tommy Chouinard
Photo : Victor Diaz Lamich
Lors de sa récente visite en Afrique, le premier ministre Jean Chrétien a annoncé une mesure largement encensée. Afin de favoriser le développement des pays pauvres et leur accorder un meilleur accès au marché canadien, le Canada devrait en effet supprimer bientôt les barrières tarifaires imposées à certains produits provenant des pays pauvres. Pour l’instant, la mesure s’appliquerait uniquement à des produits textiles fabriqués dans des pays africains les plus pauvres. Le conditionnel est ici de mise, puisque rien n’a encore été mis de l’avant. Si le gouvernement songe à une telle mesure d’aide aux pays pauvres, il ne faut tout de même pas oublier une chose: le Canada impose des tarifs aux importations les plus élevées du G8 sur les produits provenant des pays pauvres (16 à 19 %)…
C’est un peu pourquoi des campagnes internationales sont encore nécessaires pour sensibiliser les gouvernements à créer un commerce équitable avec les pays du Sud. Oxfam vient d’ailleurs de lancer dans 18 pays une campagne (Pour un commerce équitable) et publier un rapport (Deux poids, deux mesures, qui sera remis sous peu au ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew) qui condamnent des pratiques commerciales mondiales minant le développement des pays pauvres. "Ce qu’on constate, et je pense qu’il ne faut pas sortir des HEC pour le constater, c’est que les règles du commerce international sont toutes établies par les pays riches et pour eux-mêmes, affirme Mohammed Chikhaoui, directeur de la planification, des ressources humaines et du plaidoyer pour Oxfam-Québec. On veut que ces règles-là soient changées pour permettre aux pays pauvres de profiter du commerce international, de les intégrer et non pas de les marginaliser." Discours connu, certes, mais encore trop peu pris en compte. Et c’est un peu la raison pour laquelle Oxfam préconise des pistes de solution, à défaut de voir les gouvernements le faire davantage. Favoriser l’émergence du commerce équitable, qui s’applique maintenant au café, au chocolat et au vin, est l’une des avenues empruntées par l’organisme.
"Oui, je vois l’initiative de Jean Chrétien d’un bon oeil, admet Mohammed Chikhaoui. Mais ce qu’on demande, c’est que le gouvernement canadien défende une panoplie de solutions dans les forums internationaux pour amener les autres pays riches à agir, comme lui-même l’a fait. Par contre, l’initiative canadienne n’est pas encore effective. Le gouvernement veut mener une vaste consultation à l’échelle du pays pour que le public la supporte et l’appuie. Autrement dit, ce qu’on doit lire entre les lignes, c’est qu’il y a des lobbies qui travaillent à ce que le Canada ne le fasse pas."
Et pour cause. Le secteur canadien des produits textiles s’inquiètent des répercussions d’une telle décision sur leur industrie et réclame un plan d’aide si jamais le gouvernement va de l’avant avec son initiative. Le Canada doit-il protéger son économie et conserver des règles protectionnistes? "Le Canada doit aider les pays pauvres, mais je suis tout à fait d’accord à ce qu’il soit prudent quelques fois, à condition qu’on n’oblige pas les autres pays à ne pas se protéger. Car, que se passe-t-il avec les pays en voie de développement? Qu’ont fait la Banque mondiale et le FMI au cours des 30 dernières années? On a dit aux gouvernements des pays pauvres: ouvrez vos marchés, libérez votre économie et on va vous aider. Conclusion: ces pays ont ouvert leur marché et sont inondés de produits venant du Nord. Quand les compagnies étrangères investissent dans ces pays-là, cependant, il n’y a rien qui revient ou presque à ces pays, car tout est rapatrié dans les pays investisseurs. Ainsi, même les investissements des pays du Nord ne profitent pas aux pays du Sud. Alors qu’on leur dit d’ouvrir leur marché et d’intégrer les produits des pays du Nord, ces derniers imposent des barrières douanières aux produits que les pays pauvres veulent exporter! Que le Canada protège son économie, d’accord, mais il faut aussi laisser les autres pays se protéger un peu. C’est pour ça que notre rapport a comme titre Deux poids, deux mesures."
Ainsi, répète Oxfam comme un mantra, pour chaque dollar d’aide que donnent les pays riches, deux sont repris à cause de l’iniquité du système commercial…
Fair-play
D’après Oxfam, puisque l’économie des pays du Sud est principalement basée sur les matières premières, il faudrait mettre en place une institution internationale chargée de réguler leur prix. Car, actuellement, une logique injuste s’opère: la concurrence est déloyale, surtout du côté des produits agricoles. "Les pays riches subventionnent leurs producteurs, affirme Mohammed Chikhaoui. Les surplus de production de ceux-ci inondent les marchés des pays pauvres à des prix très bas. C’est ce qu’on appelle du dumping. Ainsi, les petits producteurs de riz et de mais d’Haïti ou de Jamaïque se retrouvent concurrencés par le riz ou le maïs des États-Unis ou des pays européens. Ils ne peuvent pas être à la hauteur. Il faut donner une voix aux pays du Sud, réformer des organisme comme l’OMC, pour qu’ils puissent se défendre et avoir une voix égale aux autres autour des tables de négociations. Autrement, ce n’est pas juste." Juste, selon Oxfam, il faudrait l’être aussi dans le traitement des travailleurs du Sud, respecter leurs droits, appliquer là-bas les mêmes règles qu’ici.
Sur ce point, par contre, plusieurs critiques restent sceptiques. Après tout, si des règles similaires à celles des pays riches sont en vigueur dans les pays pauvres, les investisseurs vont retirer leurs billes, voyant leur marge de profit diminuer… "Cela reste à voir, croit Chikhaoui. Il n’est pas sûr que ça se passerait ainsi. Car si le pouvoir d’achat des pays pauvres n’augmente pas, si les travailleurs restent pauvres, les entreprises du Nord n’auront plus de marché! Si GM veut vendre des voitures en Afrique, il faut que les Africains aient les moyens de les acheter. Si on les maintient dans des salaires de misère, cela n’arrivera pas. Si les gens restent dans la misère dans les pays du Sud, des usines comme celle de Boisbriand vont fermer. Il y a un lien là-dedans. De l’amélioration des conditions de vie dans les pays du Sud dépend aussi le niveau de vie actuel dans les pays du Nord."
Reste à savoir si le G8 comprendra toute cette logique. Les pays de ce regroupement international devraient s’entendre cette année pour un plan d’aide aux pays de l’Afrique pour les sortir de la pauvreté. À suivre…