Fascinés par la mort plus que ne le fut aucune autre société, les Égyptiens d’il y a 10 000 ans s’inventèrent des rites de passage complexes qui devaient mener le défunt sur l’autre rive.
Pensant que le mort emportait avec lui ses possessions, on déposait à ses côtés nourriture, vêtements et or afin de supporter le long voyage.
La mort d’un pharaon n’était pas une mince affaire. Alors, afin qu’il ne manque ni de compagnie pour ses parties de jambes en l’air ni de petit personnel pour récurer les parquets de l’au-delà, on emmurait dans sa tombe tout son entourage immédiat: serviteurs, cuisiniers, concubines, conseillers, et le chien et le chat … Une chape de granit se refermait ensuite sur tout ce monde d’asphyxiés.
Politiquement, ce rite cruel avait au moins le mérite de faire place nette à un successeur qui n’amorçait jamais son règne en s’embarrassant d’anciennes allégeances et de comparaisons désavantageuses.
Le procédé persiste dans nos démocraties modernes. Particulièrement aux USA où, comme on le sait, l’élection d’un président provoque d’intenses bouleversements de haut en bas de l’échelle. Ce renouvellement de l’administration touche indifféremment les ministres de la Justice, de la Santé, les directeurs des agences fédérales, le juge en chef de la Cour suprême, et s’étend jusqu’aux réceptionnistes de la Maison-Blanche…
Certes, on n’assassine plus personne. Même si des centaines de courtisans condamnés à se recycler dans l’enseignement, l’analyse politique ou le lobbying le font la mort dans l’âme.
Au Québec, il n’y a guère que la petite armée des attachés politiques qui varie ainsi au rythme des élections et des remaniements. Les pouvoirs législatifs demeurent, la majorité des grands commis de l’État persistent quelques mois, les hauts fonctionnaires restent.
À ce sujet, il ne semble pas venu à l’esprit de beaucoup d’observateurs d’admirer la fort édifiante prestation du pouvoir politique après que notre Ti-Guy Chevrette national fut passé à la trappe en mars dernier.
Au moment de son départ, Chevrette traînait dans sa serviette deux sujets chauds: le virage à droite et le projet d’un nouveau boulevard urbain à Montréal.
Pour ou contre? Apparemment appuyé sur les études et les plans de son ministère, Guy Chevrette avait dans les deux cas des positions très très arrêtées sur la question.
Ce sera ça ou rien! Impossible de faire autrement. Sinon Québec ne payera pas, répéta le ministre pendant des mois malgré la contestation venue de partout. Car après quelques semaines Chevrette avait réussi à faire de ces "deux dossiers", aussi ennuyeux qu’insignifiants, de pathétiques foyers de discorde. Réussi à se mettre à dos pêle-mêle les autorités municipales de Montréal, les associations de citoyens, de payeurs de taxes et de commerçants, les regroupements d’handicapés, de personnes âgées, les cyclistes et bla bla bla.
Et puis… coup de baguette magique. Guy Chevrette démissionne et voici que – miracle ! – le boulevard urbain envisagé par Montréal pourra s’intégrer au paysage, que ce virage à droite nécessaire à l’évolution du Québec redevient un danger. Et voilà qu’à l’intransigeant ministère des Transports on est devenu conciliant, flexible, attentif, respectueux des volontés populaires…
Qu’en conclure? D’où et pourquoi ce virage?
A-t-on, comme au temps des pharaons, liquidé l’entourage: sous-ministre, conseillers, architectes, ingénieurs des transports?
Le bonhomme était-il plus simplement de la race des gérants d’estrade, des p’tits boss? Décrétait-il unilatéralement en son âme et conscience ce qui était bon pour les Québécois?
Les pertinentes études de faisabilité dont il a abreuvé le peuple n’étaient-elles faites que pour légitimer les toquades vitreuses du Roi Dagobert même quand elles semblaient, paraît-il, le contredire?
Dans une réflexion collégiale, l’entêtement, contre la raison d’un seul homme au sommet, peut-il pourrir les relations démocratiques entre électeurs et élus? Bien sûr!
Changement de règne. Changement d’attitude. Au sein d’un gouvernement qui a entamé un peu tard un virage à gauche, Guy Chevrette a pogné le clos tandis que son successeur prenait le virage de la réconciliation à 180 degrés. Emmuré dans la tombe études, plans et devis. C’est peut-être, parfois, ce qui arrive lorsqu’on essaie de faire passer les vessies pour des lanternes, ses lubies pour des vérités absolues.
Quant à son chauffeur, il songe paraît-il à se recycler chez McLaren…