Relations sexuelles et âge du consentement : Autres temps, autres moeurs?
Société

Relations sexuelles et âge du consentement : Autres temps, autres moeurs?

L’Alliance canadienne revient encore avec une idée conservatrice: le parti de droite veut hausser l’âge du consentement pour avoir des relations sexuelles de 14 à 18 ans. Un débat similaire se déroule aux États-Unis avec la sortie du livre Harmful to Minors. Coudonc, les tabous sur les jeunes et la sexualité seraient-ils encore en vigueur en  2002?

Le Canada, un pays avant-gardiste, ouvert, progressiste? Pas si sûr, puisque le conservatisme social s’affiche encore et toujours. Dernière frasque à ce jour, comme l’a rapporté le quotidien Le Devoir samedi dernier: l’Alliance canadienne a l’intention de faire hausser l’âge du consentement pour avoir une relation sexuelle de 14, comme la loi canadienne le prévoit actuellement, à 18 ans. Le seuil actuel ne serait pas approprié puisque, selon l’Alliance, les jeunes de moins de 18 ans n’ont pas la maturité nécessaire pour avoir des relations sexuelles, doivent absolument être protégés des risques de rencontrer des abuseurs plus âgés, etc. Après tout, croit le parti de droite, si les jeunes de 14 ans n’ont pas le droit de boire, fumer, voter et conduire, pourquoi en serait-il autrement avec le sexe?

Selon la loi actuelle, un jeune âgé de 14 ans peut en effet avoir des relations sexuelles avec un autre jeune ou un adulte. Toutefois, ce dernier ne doit pas représenter une figure d’autorité (un professeur, entre autres), et un jeune doit avoir atteint l’âge de 18 ans pour commettre des actes liés à la prostitution ou à la pornographie. Malgré ces restrictions, l’Alliance canadienne considère la loi trop laxiste. Et le parti n’est pas le seul à penser ainsi, car le sujet fait partie d’un débat qui se déroule depuis deux ans et qui se poursuivra encore cet été entre les ministres de la Justice du pays dans le cadre de réunions fédéral-provincial. Les provinces s’opposent: celles des Prairies sont en faveur de hausser l’âge du consentement à 18 ans (Manitoba) ou 16 ans (Alberta), alors que d’autres, comme le Québec, veulent conserver le seuil à 14 ans. "En mai, des discussions auront encore lieu à ce sujet. L’âge du consentement fait partie d’un large débat sur les solutions possibles afin de mieux protéger les enfants des pédophiles, et mieux combattre la prostitution et la pornographie juvéniles", affirme une responsable des communications du ministère fédéral de la Justice.

Livre controversé
Étrangement, le débat survient alors que les États-Unis vivent une controverse sur le même sujet. En effet, la parution du livre Harmful to Minors: The Perils of Protecting Children from Sex (University of Minnesota Press), qui prône une plus grande ouverture sociale à la sexualité chez les jeunes, a soulevé l’ire des conservateurs du pays. "Le sexe est une partie du développement d’un enfant et d’un adolescent, écrit l’auteure Judith Levine, et les relations sexuelles avec des adultes ne sont pas toutes nécessairement traumatisantes pour les mineurs." Aux États-Unis, la loi exige d’avoir au minimum 18 ans pour avoir une relation sexuelle, d’où la controverse…

Avant même sa parution, des voix conservatrices se sont élevées aux quatre coins des États-Unis pour dénoncer ce livre qualifié de "rêve de tous les abuseurs sexuels et pédophiles". Des personnalités politiques, comme Tim Pawlenty de la Chambre des représentants du Minnesota, ont demandé de suspendre la publication du livre, ce que l’éditeur a refusé de faire, même s’il a été inondé de plaintes. La partie du livre qui fait le plus jaser, c’est celle contenant une suggestion de l’auteure: réduire l’âge du consentement à 12 ou 14 ans. Judith Levine endosse ainsi l’approche néerlandaise à ce sujet. En 1990, le parlement néerlandais a légalisé les relations sexuelles entre adultes et jeunes de 12 ans, à condition qu’il y ait consentement mutuel. L’enfant ou le parent d’un enfant peuvent néanmoins porter plainte en cas d’abus.

"C’est un bon modèle, parce qu’il reconnaît le jeune comme un être sexuel qui peut déterminer son avenir et faire des choix intelligents, sans ignorer le fait qu’il est plus faible qu’un adulte et qu’il a toujours besoin de protection légale, affirme la journaliste Judith Levine, jointe par téléphone à son domicile de Brooklyn. Les lois qui fixent l’âge du consentement à 18 ans mettent, de façon erronée, tous les enfants dans la même catégorie, sans reconnaître leur habilité à entretenir des relations. Déclarer une classe de personnes incapable d’avoir des relations sexuelles n’est pas la meilleure façon de protéger les enfants, surtout quand on y inclut les adolescents qui ont atteint le stade de puberté et qui ont déjà, de toute façon, des relations sexuelles. C’est comme si on voulait nier la réalité. On est un peu hypocrite dans ce débat…"

Ainsi, Levine voit d’un mauvais oeil les discussions actuelles au Canada sur la révision à la hausse de l’âge du consentement. "Je ne comprends pas pourquoi des gens veulent faire cela, car ça ne règle strictement rien", se désole Levine, essayiste qui écrit depuis 20 ans sur la sexualité. Pourtant, l’Alliance canadienne croit ainsi pouvoir mieux protéger les enfants, les empêcher de se faire abuser, ne pas donner de facilités légales aux agresseurs potentiels, resserrer l’étau autour des pédophiles… "Quand on dit qu’on protège ainsi les jeunes, je réponds ceci: essayer de nier que les jeunes sont des êtres sexuels est une erreur. Un âge de consentement plus élevé ne protège pas nécessairement davantage les enfants, car on ne tient pas compte de la sexualité des jeunes et, ainsi, des façons sécuritaires de l’exprimer."

Selon celle qui a fondé le groupe féministe No More Nice Girls et la National Writers Union, hausser l’âge du consentement a une influence sur l’éducation sexuelle, surtout à l’école. Plus le seuil augmente, moins les jeunes sont informés sur le sexe. "Les écoles ont déjà de la difficulté à faire de l’éducation sexuelle. Elles n’osent pas parler d’homosexualité et du plaisir sexuel. C’est encore tabou. En ce moment, on dirait que les écoles font davantage des campagnes de peur axées sur le sida, les prédateurs sexuels, les viols. Ce sont des problèmes, oui, mais il y a une grosse exagération à ce sujet. On parle de sexe aux jeunes seulement en termes de problèmes. On a l’impression de vivre des années en arrière."