"Vous avez saigné tous les Montréalais", accusait à s’en essouffler Pierre Bourque, pendant que ses conseillés scandaient "camouflage, camouflage!". La scène avait lieu à l’hôtel de ville, lundi soir dernier, mais on se serait cru à Madrid en 1936, Franco aux portes: "No pasaran! No pasaran!"
Il n’y a pas à dire, l’opposition ne manque pas d’énergie. Avec elle, il y a de l’action à l’hôtel de ville. Du mouvement. Des péripéties. Pour peu, je m’exciterais, je dirais même que c’est dynamique.
Après l’élection municipale de novembre dernier, j’affirmais que l’héritage le plus important qu’allait nous laisser Pierre Bourque était une opposition forte, organisée, voire organique (sans mauvais jeu de mots avec les précédentes carrières de Bourque, mais plutôt en référence au caractère structuré de son parti, avec ses principes préétablis, qu’on les aime ou non).
La première vraie opposition depuis, peut-être, Sarto Fournier. Sarto qui? Eh bien voilà, c’est dire que ça fait un bail que Montréal n’avait profité d’une telle situation.
Jusqu’à maintenant, le chef de l’opposition et son équipe se tirent si bien d’affaire qu’on en vient à espérer que Pierre Bourque y demeure à jamais. Avoir su, il y a longtemps que les Montréalais l’auraient envoyé sur les banquettes arrière de la salle du conseil municipal.
Ironie? L’équipe de l’opposition abat réellement du bon boulot, déverrouillant les placards à squelettes de l’équipe du maire Gérald Tremblay, dénonçant les incohérences de son administration, établissant aussi une bonne stratégie de communication avec la presse…
Le rôle de l’opposition n’est pas d’avoir raison, seulement d’attirer l’attention du public sur le comportement et les politiques du pouvoir, histoire de le forcer à plus de probité, en frappant l’imaginaire collectif par des questions et des images-chocs.
Dans ce cas-ci, c’était pour une histoire de surplus budgétaires. Pierre Bourque dénonçait l’utilisation par la nouvelle ville de 58 millions $ puisés dans les surplus des états financiers de 2001 de l’ancien Montréal, pour le financement de congés qui n’avaient pas été comptabilisés par l’ancienne administration, une formule pourtant acceptée par le gouvernement du Québec à la suite de l’adoption de nouvelles normes comptables permettant un paiement étalé sur 15 ans.
Bon, dit comme ça, ça ne frappe pas trop l’imaginaire. Vous n’accrochez pas l’attention du citoyen avec des récits actuariels. C’est pour cette raison que Pierre Bourque a opté pour ces images de sang et de fureur, dans une mise en scène qui n’aurait pas déplu aux forces anticapitalistes. Il lui fallait vous imager ce que je viens de vous décrire en sanscrit technocratique: l’opposition a découvert que 58 millions $ des surplus de l’ancienne ville n’avaient pas été distribués aux arrondissements de l’ancienne ville de Montréal, mais plutôt utilisés pour payer de vieilles dettes.
Avez-vous idée de ce que l’on peut faire avec 58 millions $? Oui, on peut se monter un club gagnant qui prétende à la coupe Stanley. Mais plus encore, on peut permettre aux citoyens des arrondissements de l’ancienne ville de Montréal d’être un peu plus égaux avec leurs riches voisins des anciennes villes de banlieue. Tous ceux qui habitent ces arrondissements ont bien perçu que quelque chose clochait avec la nouvelle ville, que le niveau de services auquel ils avaient été habitués avait perdu du galon. Tantôt avec l’enlèvement de la neige, plus tard avec ce ménage du printemps qui tarde et qui laisse à désirer lorsqu’il est effectué.
Par exemple, le parc en face de chez moi est la fierté des gens du quartier. Toujours frais manucuré, ses équipements de loisirs sont habituellement prêts pour le début de saison. Une fierté, au point où l’on se fait un malin plaisir d’y emmener des gens de cette banlieue si prétendument efficace, et de leur dire: "Montréal a beau être une paumée, voyez, pourtant elle tourne! Et fort bien à part ça."
Mais depuis la nouvelle ville, le parc n’a plus le même look. Sa préparation printanière tarde. Alors qu’à pareille date par les années passées, il était déjà propre comme un sou neuf, les arbustes taillés, les bancs, arrachés par les vandales ou les chenillettes à neige, remis sur leurs amarres. On travaillait déjà les ronds de pelouse un peu trop "maganés" par l’hiver.
Mais cette année, les lumières de Noël sont encore accrochées aux arbres. C’est dire. Pourquoi? Parce que des sommes qui étaient autrefois consacrées aux quartiers le sont maintenant aux paiements de vieux dûs. Ainsi en a décidé l’administration Tremblay.
L’opposition a-t-elle raison de s’égosiller comme ça? Cela dépend. Dans ce cas-ci, la question est: vaut-il mieux payer ses vieilles dettes ou réparer le toit de la maison? Toutes les réponses se valent. Il faut bien payer ses arriérés, mais il faut aussi réparer le toit. C’est à vous de juger si l’administration municipale a fait le bon choix. Cependant, sans une opposition structurée, vous n’auriez jamais eu cette occasion.
On ne vous aurait jamais posé la question.