, nous avons tenté une nouvelle expérience avec le Jeu de la morale. Et vous avez répondu à l’appel en grand nombre: nous avons reçu plus de 70 lettres, fort intéressantes de surcroît.
Notre chroniqueur, Richard Martineau, décrivait le problème moral suivant: une bombe est cachée dans un lieu public au Sri Lanka. Le soldat Thomas interroge les suspects, trois terroristes tamouls, pour savoir où elle se trouve exactement. Devant leur refus, il abat un des terroristes. Aussitôt, ses comparses disent tout et la bombe est désamorcée. Le soldat Thomas a-t-il bien fait d’agir ainsi? Est-il moral de tuer ou de torturer un homme pour en sauver d’autres? Résultat: comme on est au Québec, eh oui, environ 50 % des lecteurs ont répondu oui et la même proportion de gens ont opté pour le non…
"Moi, je ne sais pas ce que j’aurais fait, affirme d’emblée le directeur du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix de Montréal, Jocelyn Coulon. C’est facile, à Montréal, de dire qu’il ne faut pas torturer. Mais le jour où les forces de l’ordre font face à une telle situation, elles doivent trancher. Pourtant, on devrait se dire que rien, rien ne justifie la torture. Mais lorsque des vies sont en jeu, il est là, le problème moral."
"On peut toutefois se demander où ça nous mène, poursuit-il. Il y a un risque de tomber dans la facilité. Si on accepte de commettre un acte de torture, juste une fois, le précédent est établi. Et même les groupes terroristes peuvent alors revendiquer cette pratique."
Comme le disait Camus, rappelle Jocelyn Coulon, à choisir entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. "Entre des principes et des vies humaines, on choisit généralement la vie", conclut-il.
Anne Sainte-Marie, d’Amnistie internationale, est catégorique: "Non, le soldat Thomas n’a pas bien fait d’agir ainsi. Il n’est pas moral – ni légal (la torture est unanimement et universellement interdite, sans aucune exception) – de torturer un homme pour en sauver un, cinq, cent… Surtout pas au nom de la raison d’État ou de la sécurité nationale, invoquées par toutes les dictatures et les régimes corrompus pour justifier la répression."
Elle estime aussi que, la plupart du temps, les informations extorquées sous la torture ne valent rien et que les victimes de torture sont plus souvent des personnes prises pour cibles en raison de leur identité, plutôt que des individus torturés pour leur soutirer de précieux renseignements… "La torture est un traitement dégradant. Elle corrompt toute société qui l’autorise. Par expérience, Amnistie sait que la torture ne peut être réglementée. Il peut être tentant de recourir à cette pratique face à un suspect qui demeure muet. Mais si l’on justifie ne serait-ce qu’une fois la torture, elle sera légitime aussi en d’autres occasions. Les États démocratiques ne doivent pas appliquer les méthodes de ceux qui s’opposent à eux."
Vaste dilemme, visiblement… Voici enfin, en vrac, un échantillon de vos réactions. Le choix fut difficile, très difficile, mais pour lire l’ensemble des opinions, visitez le tout nouveau site www.voir.ca/morale. N’oubliez pas de réagir au prochain Jeu de la morale…
Je crois que Thomas a fait le bon choix en tuant un des terroristes afin de trouver l’emplacement de la bombe. Il avait peu de temps et des vies étaient en jeu. De plus, par leurs actes terroristes, ceux-ci nous montrent qu’ils considèrent que la vie des autres a peu de valeur. Alors, c’est une question mathématique: une vie pour en sauver des centaines.
Christine Carrier
La réponse à votre question est non. Il n’y a pas d’arguments assez humains pour promouvoir la torture. Les méthodes de travail du soldat Thomas ont permis de sauver 100 personnes, mais demain, en représailles, les Tigres tamouls bombarderont une école et feront 1200 victimes…
Hang Hum
Il n’y a pas de bonne réponse à votre question. Ce n’est ni oui ni non. Et c’est oui et non. C’est du cas par cas. Lorsqu’on est efficace par la terreur de la torture, comme le soldat Thomas, certes, on sauve des vies sur le coup, mais on n’interrompt pas nécessairement la spirale de la torture. On démontre au contraire son efficacité pour tout le monde. Par ailleurs, il semble exister des situations ponctuelles où une torture, telle celle utilisée par le soldat Thomas, serait ce qu’il y a de plus approprié pour sauver des vies. Comme on le voit, cette appréhension se trouve néanmoins à contredire l’autre citée juste avant… Il semble donc qu’il faille renoncer à un principe universel ou absolu.
Denis Beaulé
Je dirais que Thomas a bien fait. La décision n’était pas difficile à prendre. Pensez-vous que ces Tigres tamouls auraient réfléchi, eux? Sûrement pas. Le problème avec les terroristes, c’est qu’ils n’en n’ont pas de morale! Tous les gestes qu’ils posent sont en fonction de leurs croyances. Si Thomas a réussi à sauver X personnes contre un fou, je persiste à croire que sa décision fut la meilleure et la seule possible.
Marie-Ève Rousseau
On ne peut pas dire que le militaire en question ait eu raison d’adopter cette ligne de conduite, car il ne savait pas quels seraient les résultats. Il a pris un risque. Il a eu de la chance. En effet, il était possible qu’aucun des trois terroristes ne sache où était la bombe; il était aussi possible que celui qui le savait ne parle pas. Les études sur la torture (par Amnistie internationale) indiquent que les scénarios du genre du vôtre sont rares. La torture n’obtient pas de renseignements utiles. Il n’est pas possible d’ériger l’exemple que vous donnez en ligne de conduite générale.
Michel Despland