L’éthique est assez élastique à notre époque. Pour plusieurs citoyens, l’éthique, c’est une vieille affaire liée aux cours de philosophie au cégep. De plus en plus de gens arrondissent les coins de leur conscience professionnelle sous prétexte que personne n’est pur, qu’il ne faut pas être plus catholique que le pape, ou que chaque individu a son prix. Les politiciens, les producteurs, les fonctionnaires, les animateurs, les journalistes, les artistes, etc. Chaque milieu a son petit scandale qui illustre ce vieil adage: là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie.
Dans ce contexte, quand un humoriste décide d’agir selon ses principes avant ses intérêts, cela devient hors du commun. Vendredi dernier, Claude Legault a commis un geste assez exceptionnel: il s’est retiré du National d’impro Juste pour rire. La raison? Il est en désaccord avec l’embauche de la cofondatrice de CINAR, Micheline Charest, à la direction du Groupe Rozon, producteur de l’événement présenté au Medley jusqu’au 18 mai.
Dans une lettre ouverte, l’humoriste explique qu’en tant qu’auteur, "il ressent un profond malaise à défendre les couleurs de Juste pour rire, en sachant que madame Charest fait partie de l’équipe de Gilbert Rozon". Micheline Charest a été impliquée, entre autres, dans le détournement de millions de dollars en crédits d’impôts par l’utilisation de prête-noms. Sa société a fait croire que les scénarios des émissions produites par CINAR étaient écrits par des Canadiens, alors qu’en réalité il s’agissait souvent de scénaristes américains.
On ne reviendra pas ici sur ce scandale ou sur ses mystérieuses conclusions. Par intégrité, Claude Legault a décidé de ne pas ramer dans la même galère que Micheline Charest, quitte à sacrifier une des choses qu’il aime le plus au monde: exercer son métier de comédien.
Ce ne sont sûrement pas tous les artistes qui peuvent se permettre de faire une telle sortie dans le milieu culturel québécois. Toutefois, on souhaiterait que plusieurs suivent son exemple. Après tout, être créateur, c’est avoir la prétention de sublimer le réel pour élever l’âme collective. Si les artisans de nos livres, de nos pièces, de nos chansons, de nos comédies et de nos films agissent comme des mercenaires, alors il est inutile de demander aux citoyens ordinaires de promouvoir de meilleures valeurs.
Claude Legault, qui a été choisi joueur par excellence du Mondial d’improvisation au dernier Festival Juste pour rire, vient de décrocher la première étoile dans cette partie qui est toujours à finir. Celle qui oppose les hommes et leur conscience. (Luc Boulanger)