Union des forces progressistes : La moitié gauche du politique
Société

Union des forces progressistes : La moitié gauche du politique

La gauche aura enfin son parti politique unifié: l’Union des forces progressistes. Voir s’est rendu au forum national de cette organisation politique qui veut interpeller les mouvements militants, lutter sur le terrain, combattre aussi bien les préjugés associés à la gauche que le néolibéralisme. La gauche politique sortirait-elle du  placard?

"On nous fait passer pour des guignols!"
"On fait injustement rire de nous autres!"
"On nous connaît mal!"
"On ne nous prend pas au sérieux!"
"On est vus comme des intellos déconnectés de la réalité!"

C’est confirmé: la gauche politique en a plus qu’assez des clichés dont elle est victime. C’est pourquoi elle s’organise et sort de sa torpeur. Enfin.
Tous ces cris du coeur ont en effet été lancés par quelques-uns des 150 militants de l’Union des forces progressistes (UFP), réunis la fin de semaine dernière à l’UQAM dans le cadre d’un forum national, rassemblement à situer quelque part entre le brainstorming et la thérapie de groupe. L’UFP, récente coalition politique qui regroupe le Rassemblement pour l’alternative politique (RAP), le Parti de la démocratie socialiste (PDS) et le Parti communiste du Québec (PCQ), est appelée à devenir officiellement un "parti de la gauche unifiée", lors d’un congrès de fondation qui se tiendra les 15 et 16 juin prochains. La gauche croit ainsi pouvoir surmonter les préjugés et se tailler une place parmi les partis traditionnels.

"Il y a beaucoup d’espoir, car les horizons politiques sont actuellement bouchés, affirme Paul Cliche, porte-parole provisoire de l’UFP qui a remporté, à la surprise générale, 24 % des suffrages lors de l’élection complémentaire dans Mercier en avril 2001. Il n’y a pas de choix présentement, aucune solution de rechange. Nous voulons en former une avec des idées novatrices."

Lors du forum national, première étape vers la création de l’UFP, les militants ont justement discuté de ces "idées novatrices", des différents projets de plate-forme, dont un sera officiellement adopté au congrès de fondation. "Notre principale caractéristique sera la lutte à la mondialisation néolibérale, estime Cliche. Le PQ, le PLQ et l’ADQ sont des courroies de transmission des politiques néolibérales. On veut offrir autre chose."

Autrement, épousant les causes en vogue, l’UFP tire tous azimuts: moratoire sur les OGM, promotion du commerce équitable, création d’un revenu minimum garanti, adoption d’un mode de scrutin proportionnel, dénonciation de la Zone de libre-échange des Amériques, réforme majeure de la fiscalité, création d’une politique de soutien à la famille, hausse du logement social, etc. Créer un parti à la fois (attention à la liste!) écologiste, anticapitaliste, pacifiste, humaniste, féministe et uni: voilà leur commande. Une grosse commande…

Toutes les tentatives d’unification de la gauche se sont en effet soldées par des échecs dans le passé, notamment en raison de divergences de points de vue. Cette fois, cet énième projet d’unification semble le bon. Certes, quelques frictions sont survenues au cours du forum lors de débats idéologiques, quelques séances d’obstination sur des virgules du paragraphe 8.3 de la pré-proposition no 2 ont rappelé de douloureux souvenirs, mais il n’en demeure pas moins que les militants de l’UFP ont trouvé dans le progrès social leur point de convergence et veulent passer à l’action, une bonne fois pour toutes. Fini, le dogmatisme; bonjour, le pragmatisme!

Conscients de la crise de confiance et de la désaffection de bien des citoyens à l’égard de la politique ("avec les partis traditionnels, c’est normal", croit Cliche, qui semble déjà être en campagne!), les militants de l’UFP voient tout de même une ouverture au changement. Le leur, bien entendu.

Rassemblement populaire
Témoin de l’effervescence des mouvements militants et communautaires au Québec, communément appelés la gauche sociale, l’UFP a bien l’intention de les courtiser. "Nous voulons faire la jonction avec la gauche sociale, explique Monique Moisan, militante de l’UFP et présidente du PDS. Nous savons qu’elle est formée d’une infinité de groupes communautaires, de syndicats, d’associations féministes, écologistes et antimondialisation. Il faut représenter cette tendance sur la scène politique."

Le recrutement risque de s’avérer ardu: les groupes militants et communautaires rassemblent souvent insatisfaits et blasés de la politique, des gens qui ont plutôt tourné le dos à l’engagement politique partisan pour faire avancer leurs idées autrement. "Ce qu’on veut leur faire voir, c’est qu’un parti pourrait être leur bras politique, souligne Paul Cliche. Avec le PQ qui a changé d’orientation avec les années, ils n’ont pas vraiment de représentant à l’heure actuelle, et leur action est immense, mais limitée. Pour changer les choses, remonter à la source des problèmes, la politique est le meilleur moyen. Nous croyons avoir tout ce qu’il faut pour traduire ce mouvement en politique." Thérèse Hamel, enseignante et membre du comité de coordination nationale du RAP, candidate de ce parti dans Blainville lors des élections partielles d’octobre dernier, estime quant à elle que la gauche sociale et la gauche politique doivent se retrouver. "Nous avons en commun les mêmes luttes, par exemple le logement social et la ZLEA. Il faut travailler ensemble."

L’UFP entend ainsi être un "parti pas comme les autres", comme l’ont martelé toute la fin de semaine les 150 militants rassemblés au forum. Comment? Non seulement en courtisant la gauche sociale, mais également en s’impliquant dans diverses causes et luttes sur le terrain, chose que les partis traditionnels ne font pas. En termes simples, être un parti des urnes, mais surtout celui de la rue. "Notre action ne sera pas seulement électorale, assure Paul Cliche. Nous allons aussi nous engager dans des luttes sociales. Nous avons commencé à le faire, par exemple sur la question de la Palestine et les revendications de certains comités logement, lors du boycott de McDonald’s aussi. Nous allons continuer à faire ce genre d’actions." Pierre Fontaine, membre de la direction du PCQ, renchérit: "Nous voulons représenter les revendications de ces groupes, manifester avec eux et les amener à venir se joindre à nous."

Cette soudaine offensive prend sa source dans un objectif tout avoué: rejoindre les citoyens, "leur montrer que leurs luttes sont aussi les nôtres", pour rependre l’expression de Paul Cliche. "C’est ça, le problème de la gauche, poursuit-il. On peaufine de beaux programmes, on se rassemble réunion sur réunion, mais on ne va jamais rejoindre la population. On se dote maintenant d’un parti de masse, mais il faut plus, c’est-à-dire aller vers les gens." Plus simplement, l’Américain Michael Moore, auteur et réalisateur caustique, a toujours dit que la gauche devait aller jouer au bowling, question de se rapprocher du peuple…

Déjà, ce rapprochement semble amorcé, s’il faut en croire des initiatives entreprises au forum. Un atelier destiné aux jeunes a été organisé, preuve que la gauche politique, souvent étiquetée "vieillotte", désire se brancher sur le 220 d’une frange militante de la jeunesse. "Il y a 15 ou 20 ans, les jeunes qui avaient des idées et voulaient faire avancer les choses allaient au PQ, explique Cliche. Maintenant, ils n’y vont plus, car ils voient qu’il n’y a plus rien à faire là. Ils viennent plutôt nous voir dans nos assemblées locales. Beaucoup d’autres jeunes sont en attente. Ils veulent voir ce que cela va donner, l’UFP. Nous avons le devoir de leur prouver notre sérieux."

Les jeunes sympathisants ou membres de l’UFP ont même décidé de créer un comité de mobilisation qui invitera jeunes et moins jeunes à militer au sein de l’UFP et à se rendre au congrès pour constater la teneur du parti. "Nous voulons nous battre dans des luttes de la population et prouver aux jeunes, souvent sceptiques, qu’un parti politique comme le nôtre représente un outil de changement", affirme David Laneville, représentant des jeunes de l’UFP.

Vers des élections
La gauche politique a fait un bon bout de chemin en peu de temps. Il y a deux ans, un colloque sur l’unité de la gauche québécoise a donné lieu à la mise sur pied d’un comité de liaison entre les partis de gauche. Puis est survenu le choc: l’élection partielle dans Mercier, un succès conjoncturel, certes, mais surtout un événement qui a galvanisé les troupes.

C’est à l’issue de cette élection que l’UFP a été constituée formellement entre les trois partis de gauche, le tout nouveau Parti Vert du Québec préférant continuer à évoluer de son côté. Déjà, différents satellites locaux de l’UFP existent au Québec, dans Gouin, Mercier, Rosemont, mais aussi en Outaouais, Montérégie, Lanaudière et dans la région de Québec. D’autres encore sont en voie de création, afin de couvrir, à terme, l’ensemble du Québec. Le congrès de fondation de l’UFP, qui se tiendra au Centre Saint-Pierre, lancera officiellement le parti, en confirmant sa plate-forme, son statut, son porte-parole ou son chef, sa forme aussi. Par exemple, les trois partis formant l’UFP sont appelés à disparaître légalement aux yeux du Directeur général des élections, mais demeureront comme entités au sein du nouveau parti afin de marier unité et pluralité.

Avec les dernières élections en France, les militants de l’UFP ont constaté que la division en petits partis quasi sectaires ne servait pas la gauche. Et contrairement à ce que croit le premier ministre Bernard Landry, qui considère l’UFP comme un parti qui divisera le vote de la gauche et permettra au PLQ et à l’ADQ de percer, les militants ont plutôt foi en leur Union. "S’il y a quelqu’un qui divise la gauche, c’est bien Bernard Landry, lance Thérèse Hamel. Il se dit de gauche, mais il est de droite. Il réussit à attirer des votes de gauche en trompant les gens, des votes qui nous reviendraient normalement. Et j’espère que plusieurs personnes vont nous suivre." Petit détail qui n’en est pas vraiment un, l’UFP entend mettre l’indépendance du Québec à son programme, même si les critiques risquent de l’attaquer sur ce point…

L’objectif de l’UFP pour les prochaines élections provinciales? "Nous voulons être partout au Québec, mais surtout présenter des candidats solides dans une vingtaine de comtés forts, estime Paul Cliche. La population est ouverte au changement. Nous sommes là."