Société

Droit de cité : Fermons Dorval (2)

Le président du conseil d’administration d’Aéroports de Montréal (ADM) a donc eu, comme prévu, cette révélation, en ce jour du 9 mai de l’an de grâce 2002: "La Terre n’est pas plate, elle est bel et bien ronde, et, selon toute vraisemblance, elle tourne en orbite autour du Soleil", a annoncé Pierre Martin.

Ce ne sont pas ses mots exacts, mais c’est le sens qu’avaient ses paroles lorsqu’il a dit qu’après mûre réflexion et long labeur sur le dossier Dorval-Mirabel, son organisation s’était rendu compte que Montréal ne pouvait soutenir deux aéroports.

Que le grand patron des aéroports de Montréal en vienne à ce constat, 30 ans après tout le monde et sa mère, et son père, et ses beaux-frères-belles-soeurs; y compris vous et moi qui ne connaissons pourtant rien à l’aviation, sinon qu’elle vole, il y a de quoi s’étonner. Cet aveu bien attardé est de la trempe de ceux du Vatican qui, en 1992, a finalement admis que l’Église avait eu tort de condamner Galilée pour avoir repris la théorie copernicienne selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil (386 ans plus tard!).

Ce qui étonne autant, c’est la persistance du discours du "tout à Dorval", comme si Mirabel était une sorte de peste dont il fallait s’isoler au plus sacrant. Comme si seul Dorval avait tous les éléments d’un bon aéroport. Or, à part la distance qui lui est favorable, et Air Canada, rien ne fait de Dorval un aéroport comparable à Mirabel. Et encore! La distance est une chose bien relative. C’est le temps de parcours qui importe, et à ce compte-là, on met souvent plus de temps à parcourir un entre-deux sorties pour Dorval que les 20 derniers kilomètres vers Mirabel, pour cause de congestion quasi permanente sur la 40 et la 20.

Il n’y a pas que de bonnes raisons de fermer Mirabel. Il y en a aussi de mauvaises. Comme celle selon laquelle il y a toujours de l’espace pour le développement à Dorval. ADM prend d’ailleurs un malin plaisir à répéter qu’avec le même nombre de pistes, l’aéroport Heathrow de Londres accueille 10 fois plus de passagers. Une rhétorique que personne ne conteste.

Pourtant, à ce que je sache, ce ne sont pas des passagers qui atterrissent sur les pistes, mais des avions. Or, contrairement à Heathrow, Dorval accueille fort peu de gros porteurs, genre Boeing 747. Avant d’être international, Dorval est un aéroport régional, desservant dans de petits appareils (moins de 100 passagers) les petites villes de province, comme Bagotville, Val-d’Or, Halifax, Gaspé… Bref, pour accueillir 10 fois plus de passagers, Dorval devra accueillir 40, 50, voire 60 fois plus d’avions. Ça fait beaucoup de trafic, sur terre comme dans les airs.

En fait, ADM gère les aéroports comme s’ils étaient sa propriété privée. Elle ne prend des décisions que dans son intérêt propre, sans égard aux besoins de la région. L’organisme perdait de l’argent avec Mirabel (comment un aéroport peut-il être rentable quand on ne lui laisse qu’un transporteur, et un "peanut airline" de surcroît?) et la solution facile était de lui mettre le cadenas. (Quant à savoir si le plan d’ADM réussira… Le président du conseil d’ADM est le pdg d’Alstom Canada, une entreprise de matériel ferroviaire au bord de la fermeture définitive!)

Il y a quelques semaines, on apprenait qu’il ne restait plus que de minuscules parcelles de terrains à développer sur l’île de Montréal. Alors ma question est la suivante: puisqu’on a déjà un autre aéroport parfaitement fonctionnel, et de meilleure conception que celui de Dorval, pourquoi ne pas démanteler ce dernier, et en profiter pour lancer le plus formidable projet de développement urbain au pays?

À Denver, au Colorado, ils se sont posé la même question, puisqu’ils avaient, eux aussi, un petit aéroport près de la ville, et un gros neuf, qualifié comme Mirabel d’éléphant blanc et autres insultes. Et comme Montréal, Denver souffrait d’une pénurie de terrains vacants. Elle a vu dans ce nouvel aéroport, trop gros et trop coûteux, construit dans la rase campagne, l’occasion de fermer celui de la ville et de récupérer le site du vieil aéroport pour freiner la fuite de ses habitants vers la banlieue. Résultat: le plus gros chantier aux États-Unis, où accourent les urbanistes, architectes et planificateurs de tout le pays. À deux pas du centre-ville, une nouvelle ville prend forme, avec des rues résidentielles, autour d’allées marchandes et de secteurs industriels et de tours à bureaux. Les futurs résidents de ce nouveau quartier ne se serviront plus de l’auto que pour les promenades du week-end à l’extérieur de la ville. Tous les déplacements seront beaucoup plus aisés, à pied, à vélo et en transports en commun.

En fait, si l’administration du maire Tremblay était autant éprise de la qualité de vie en ville qu’elle l’a prétendu lors des audiences publiques sur l’avenir de la rue Notre-Dame, elle envisagerait une autre solution que celle proposée par ADM, plutôt que de l’accepter sans mot dire. Ce n’est peut-être pas une si bonne idée, mais si personne ne la considère, comment savoir? Et ne comptez pas sur ADM pour apporter des réponses. Elle a un centre commercial à administrer.