Taxi de nuit : Joy ride
Société

Taxi de nuit : Joy ride

Chauffeur de taxi depuis 13 ans à Québec, MOHAMMED a choisi la nuit. "Les gens, la nuit, ils sont relax, ils font la fête, ils ont pas de problèmes de jour." Et puis, avec un verre dans le nez, ils se déniaisent et racontent leurs histoires que Mohammed reprendra peut-être si elles sont drôles. Entre les quatre portes des chauffeurs de taxi, c’est une grande épopée urbaine qui se raconte dans la plus pure tradition orale.

"Une fois, il y en a un qui me demande: "Tu es de quelle race?" – "Je suis végétarien", que je lui réponds. Alors le gars, il me demande: "C’est où ça?" Je lui dis: "Voyons, combien de salades tu manges par jour?""

Mohammed fait partie de la centaine de chauffeurs de taxi d’origine arabe à Québec. Chez certaines compagnies comme Taxi-Coop-Québec, ils représentent près du quart des chauffeurs. Après les attentats du 11 septembre, plusieurs se sont fait refuser des voyages, certains clients allant jusqu’à spécifier aux standardistes qu’ils ne voulaient pas être conduits par des chauffeurs arabes. Ça se serait atténué avec le temps, nous dit-on un peu partout, non sans crainte d’attiser les tensions en reconnaissant qu’elles existent. Mohammed, lui, dit ne pas avoir eu de problèmes. Ses quatre frères non plus d’ailleurs – dans la famille, tout le monde a fait du taxi à un moment ou à un autre. "Quand t’es neutre et pis que t’es pas négatif, tu peux jouer favorablement. Comme on dit en arabe, si tu mets ta tête dans une casserole de graines, c’est sûr que les poules elles vont te piquer."

Racistes, non, mais pas toujours forts en géographie… Comme ces trois jeunes filles lui demandant d’où il vient. "Du Maroc." Silence. Après avoir fouillé un moment dans son monde mental, l’une des filles finit par demander: "Ah oui, le Maroc, c’est pas des clémentines, ça?" Mohammed éclate de rire. Encore. Les conversations de ce genre, c’est ce qu’il préfère et c’est pour ça qu’il travaille la nuit. Parce que la nuit, les gens sont plus relax, plus sympas. Et quand ils ont un verre dans le nez, ils sont souvent rigolos et la nuit passe vite. "C’est une clientèle spécialement conçue de bonne humeur! Moi, le stress, je connais pas ça. (…) Les clients de nuit, c’est ça qu’ils ont. Ils sont sur le party, ils sont relax. C’est rare que tu vas tomber sur un poisson pourri et puis, s’il est comme ça, c’est parce qu’il est malheureux… Mais ça, c’est malgré lui, on peut pas le blâmer non plus. Moi, en général, j’aime ça. Ce monde-là, je l’aime! J’aime ça quand je vois quelqu’un qui est sur un verre ou un petit joint et puis qui est un peu dans l’imagination."

Les clients de jour lui "mettent le malheur dans la tête". La logique du "je te paye et tais-toi", ça le déprime. Les cellulaires, les rendez-vous, les gens pressés avec "leurs problèmes de jour", très peu pour lui.

De toute façon, depuis qu’il est ici que Mohammed vit la nuit. Avant le taxi, c’était le dépanneur, et puis les cours du soir à l’université. Il se dirigeait vers la médecine mais c’était trop cher. Il fallait travailler pour tout payer. Un professeur lui a conseillé d’essayer le taxi. Une fois parti, il s’est dit que c’était plutôt bien alors il a continué, a acheté son taxi et puis voilà! Aujourd’hui, il en parle comme d’une vocation. Une sorte de médecine de la rue. "Souvent, les gens parlent malgré eux. Le taxi, c’est aussi une accalmie. Un chauffeur, c’est comme le barbier du coin. Quand il y a un voyage de 20 minutes, la personne a le temps de se confier. Des fois, tu peux lui donner un peu de morale pour la remonter. On essaie toujours de se mettre de son côté, de garder le bon sentiment." Parce que c’est pas toujours drôle et on s’en doute bien, Mohammed raconte plus facilement les bonnes histoires que les mauvaises. Et une fois ancrées dans la tradition orale, même les histoires de peur deviennent drôles. La nuit a son humour et l’humour a sa nuit.