Société

Dossier Israël-Palestine : Actions au civil

Dans le tumulte du conflit qui déchire le Proche-Orient, des groupes de citoyens se mobilisent depuis près d’un an et se rendent en Palestine de leur propre gré. Que visent-ils? Quelles actions privilégient-ils? Quelles sont leurs positions  politiques?

Nouvelle manifestation de cette gauche bigarrée, itinérante et aux causes multiples, des groupes de citoyens de tous les pays et de tous les horizons sillonnent les territoires occupés depuis juin 2001. Et les violences des dernières semaines n’ont ralenti en rien le déploiement de volontaires qui assurent qu’ils persisteront jusqu’à ce que s’établisse une paix réelle, à la satisfaction des deux parties. "Notre but est d’offrir un soutien au peuple palestinien par la protection selon nos moyens, le témoignage et le lien médiatique dans cette lutte inégale et ainsi pallier la défaillance de l’intervention officielle internationale", affirme depuis Paris Nahla Chahal, sociologue d’origine libanaise et coordonnatrice des Missions civiles internationales pour la protection du peuple palestinien.

Prônant la solidarité active non violente, les participants aux missions assurent une présence physique sur les lieux où elles jugent qu’il existe une menace d’actions militaires arbitraires ou contraires au droit international. Les groupes, dont la taille varie de 20 à une centaine de personnes, tiennent toutefois à conserver leur neutralité. Ils parlementent et oeuvrent avec les citoyens pacifiques des deux camps, rejetant tout contact avec les organisations armées, Tsahal ou Hamas, affirme Nahla Chahal. S’ils supportent fondamentalement les civils palestiniens et leur droit à la résistance, les délégués en mission ne se prononcent pas en bloc sur les attentats suicide. "Nous ne sommes pas un parti politique où règne le consensus, mais la majorité des gens rejette ce type de violence, bien que ce ne soit pas à nous à dire aux Palestiniens comment riposter. Ma position personnelle est que ces attaques ne servent pas les intérêts des Palestiniens dans le contexte actuel. Aussi, du point de vue éthique, les civils israéliens ne méritent pas la mort malgré le colonialisme. Mais ne soyons pas naïfs, la lutte nécessite parfois des actions violentes bien que celles-ci doivent être ciblées contre l’armée israélienne et les colonies militarisées", renchérit Nahla Chahal.

Souffrir la comparaison
"On ne peut pas comparer ce qui s’est passé en Palestine et en Israël jusqu’à maintenant. Il y a un déséquilibre quant à la responsabilité des actes commis de part et d’autre. Si Sharon voulait créer des foyers terroristes, il ne pouvait pas faire mieux. J’ai croisé des gamins de 15 ans qui ont des yeux… Ils ont tout perdu et sont maintenant prêts à perdre la vie pour la cause. Aucun terrorisme ne peut se justifier, mais il faut comprendre d’où celui-ci est issu", ajoute Bruno Dalberto, qui se rendit à Jénine où, dit-il, il vit une ville totalement dévastée, baignée dans des odeurs de cadavres et où des gens vivent dans des conditions sanitaires exécrables, privés d’eau courante. "Notre aide est limitée à nos bras. Mais on a pu profiter de notre statut international pour braver les militaires qui nous intimidaient. À Naplouse, l’armée nous a tout de même agressés dans le but de s’emparer de membres du personnel médical palestinien que nous protégions. On ne doit donc pas se surprendre de constater une haine farouche de tout ce qui est israélien en ce moment de la part des Palestiniens", poursuit-il.

"En ce moment, il y a une guerre d’occupation coloniale qui est inacceptable, mais la réponse des attentats suicide n’est pas à nos yeux une réponse justifiable. Il faut tout autant dénoncer les actes antisémites perpétrés en France récemment", ajoute le militant bien connu José bové, qui, après avoir bravé les tirs d’intimidation de l’armée israélienne, est parvenu à la fin du mois de mars à pénétrer avec un groupe de 50 personnes dans les quartiers généraux de Yasser Arafat afin de lui apporter du soutien. "Notre rôle est de nous substituer aux États qui n’accomplissent pas leur travail de médiateur et de pacificateur dans ce conflit. Arafat a encore plaidé pour la nécessité d’une solution pacifique par le biais des résolutions de l’ONU", poursuit José Bové.

Histoires de peur?
Bové refuse de croire que le leader palestinien a pu téléguider les attentats suicide en sol israélien. "C’est de la propagande de l’armée israélienne. Arafat était prisonnier et ne pouvait commander ces actes qu’il a d’ailleurs dénoncés de manière très claire. Ces attaques sont sûrement menées par des individus isolés et ne répondent à aucune stratégie de l’autorité palestinienne." Pour Mme Chahal, Arafat reste le seul représentant légitime du peuple palestinien, qui vit une situation très pénible. "Personne ne peut contrôler les gens qui agissent par désespoir", jure-t-elle.

Mais certains soutiennent qu’Arafat livre des messages fort différents sur les bombes humaines et les martyrs en arabe et en anglais? "C’est primaire de croire cela. Il est vrai que la langue arabe diffère dans la logique et le verbe. En fonction de la langue, Arafat peut dire des choses avec des nuances ou sous différentes formes qui font croire qu’il ment. En fait, il tente de faire des compromis selon le langage et la réalité. Il faut comprendre qu’il gère une situation des plus complexes et contradictoires", analyse Nahla Chahal.

De l’avis de Christine Deffile, ancienne fonctionnaire de l’ONU qui passa plusieurs mois en Palestine au moment des accords d’Oslo en 1993 et 1994 et qui participa à la mission de Ramallah à la fin mars, les élucubrations sur la responsabilité d’Arafat ne change rien au problème. Les attentats suicide sont le résultat direct du désespoir généralisé face aux exactions menées par l’armée israélienne, soutient-elle. "Avant de demander quoi que ce soit aux Palestiniens, Israël doit cesser d’attaquer, car il n’y aura que plus d’attentats. Les dirigeants israéliens doivent aussi cesser d’agiter la Shoa comme légitimation de leurs crimes. Le slogan "Une terre sans peuple pour un peuple sans terre" est nuisible et faux."

Et si Christine Deffile dit refuser d’accorder son appui ou d’entrer en contact avec des groupes radicaux tels le Hamas ou le Jihad islamique, cela ne l’empêche pas de faire miroiter le pire. "Une forme de résistance légitime pour les Palestiniens serait le sabotage des équipements des colonies. Les colons israéliens sont des fous furieux qui n’ont aucun état d’âme et qui sont très haineux. Et puis, si tout ça ne se règle pas, un jour ou l’autre les Arabes pourraient eux aussi mettre au point une bombe atomique et ça pourrait tourner mal pour les Israéliens…"

La haine
L’escalade de violence des dernières semaines laisse entrevoir peu d’espoir quant à l’établissement à court terme d’une paix durable dans la région. Les opérations militaires israéliennes et les attentats suicide palestiniens semblant s’appeler les uns les autres. La mécanique de la haine serait-elle devenue l’obstacle principal à tout rapprochement? "On ne peut demander à la victime de faire la majorité des concessions. Ma fille de 15 ans a été élevée dans une famille laïque et démocratique, dans un milieu favorisé, mais elle croit que nos principes pacifistes sont dépassés et penche aujourd’hui pour la violence. Si elle en est rendue là, je vous laisse imaginer les sentiments qui habitent les jeunes Palestiniens des camps qui subissent l’humiliation quotidienne. Alors quand vous parler de la haine…" conclut Nahla Chahal.

Ne reste qu’à espérer une reprise véritable des négociations politiques avec une médiation appropriée…