Droit de Cité : Vive la gentrification!
Société

Droit de Cité : Vive la gentrification!

Dans le Plateau, le vieux Rosemont, le Mile-End, Hochelaga-Maisonneuve, elle est annoncée comme l’arrivée prochaine d’une nuée de sauterelles. Dans toute la ville, une armada de gens bien intentionnés pratique contre elle une forme d’exorcisme urbain et OSBLien. Vade retro Mentana coin Laurier, la gentrification!

La gentrification des quartiers, ce n’est pas le diable, c’est pire: du mange pauvre, l’expression sous forme de condos et de hausses des loyers de la montée d’une nouvelle classe de parvenus, qui fait l’objet de sarcasmes de la gauche caviar lorsqu’elle boustifaille boulevard Saint-Laurent.

Sauf que certaines études sur le sujet suggèrent que la gentrification est probablement la meilleure chose qui puisse arriver à ces vieux quartiers centraux. Elle serait la meilleure médecine, tant pour les anciens et gagne-petit, que pour les nouveaux résidents débarqués avec leurs diplômes et leurs Volvo. Les premiers seraient parmi ceux ayant d’abord bénéficié de l’invasion des yuppies, des DINK et autres bobos dans leur voisinage.

Moi-même ai-je fait mien ce discours trop bien intentionné pour être faux, selon lequel la gentrification des quartiers urbains est la pire forme de monoculture urbaine qui soit. Un ghetto de velours, mais un ghetto quand même. Avec la gentrification, le Plateau, par exemple, ne sera peut-être plus que le repaire doré des jeunes professionnels, ménages à deux salaires et sans enfant, relativement blancs et aisés, et réputés pour leur individualisme. On les aime bien les yuppies dans les téléromans qui nous racontent la vie, la vie, quand Julie McClemens roule ses yeux doux devant Patrick Labbé, on craque tous. Mais dans la vraie vie, quand on voit des familles entières sur le pavé, faute de pouvoir désormais se payer le Plateau, ça tique.

Deux équipes de recherche ont étudié chacune de leur côté le phénomène de la gentrification aux États-Unis. Selon les travaux du Citizens Housing and Planning Council (CHPC), un organisme de New York qui analyse les tendances en habitation de la Grosse Macintosh, on démonise inutilement la gentrification. On devrait même l’encourager!

Le CHPC n’est pourtant pas un Fraser Institute, ou autre machine à blanchir le libéralisme économique. Très à gauche et très activiste, c’est le FRAPRU des New-Yorkais. Jusqu’à aujourd’hui, le CHPC se battait férocement contre la gentrification. Plus maintenant.

C’est que son étude de la gentrification, réalisée par son économiste et un chercheur de l’Université Columbia, démontre que les ménages à revenus modestes des quartiers "victimes" de la gentrification quittent moins leur logement que ceux vivant à l’abri des yuppies. On remarque 20 % moins de déménagements parmi les classes "ouvrières et faiblement scolarisées" dans les quartiers gentrifiés qu’ailleurs. Parmi ceux qui quittent, à peine 5 % le font pour des raisons budgétaires. Pour arriver à ce résultat, l’organisme a analysé l’historique des 10 dernières années de plus de 15 000 logements, de différents quartiers de Brooklyn et de Manhattan. C’est de l’échantillon.

Si les ménages à bas et moyen-bas revenu demeurent davantage dans un quartier en voie de gentrification, ils profitent donc des améliorations de leur environnement qui accompagnent le phénomène. Le parc immobilier subit notamment une cure de jouvence; de nombreux édifices abandonnés, ou détériorés, redeviennent habitables, les terrains vagues sont maintenant occupés. La Ville gagne en nouveaux revenus fiscaux, augmentant du coup les dépenses publiques dans le voisinage. L’économie se porte mieux, il y a création d’emplois; donc, les résidents d’"origine" sont parmi les premiers à en bénéficier. La criminalité fond.

Ces constatations sont également confirmées dans une autre étude du Département d’urbanisme de l’Université Duke, qui s’est penché sur le cas de Boston. Pourtant, contrairement à Montréal et certains districts new-yorkais, il n’y a pas de contrôle des loyers à Boston. Les pauvres paient plus, c’est tout, mais en revanche, leurs revenus augmentent aussi, plus que ceux de leurs camarades des autres quartiers. Le contrôle des loyers et les lois encadrant les évictions n’ont aucun effet sur la mobilité des résidents. Ils leur permettent de mieux vivre, mais ne les incitent pas à garder leur logement convoité. L’amélioration de leur quartier, si, par contre.

Bref, à la lumière de ces deux études, c’est à se demander si la lutte contre la gentrification n’est pas une bataille contre de bien bons moulins à vent. D’abord, il est difficile de planifier, de budgéter et de légiférer contre des mouvements sociaux comme la gentrification. Malgré les moratoires, le contrôle sévère de la Régie du logement, le Plateau s’est quand même gentrifié. Il n’y a pas de doute, à moins que les clients des brûleries et du Fromentier débarquent tous d’Outremont, de NDG ou de Saint-Armand.

Y a-t-il eu pour autant un plus haut taux de roulement que dans Cartierville ou Saint-Henri? On n’a pas la réponse scientifique, mais à voir la clientèle hétéroclite du Boudoir, du Verre Bouteille, de la Taverne des verres stérilisés et autres lieux de bouze, on peut en douter.