Vous avez participé le 15 avril dernier à la grande manifestation pro-Israël à Washington au cours de laquelle le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, a été hué pour avoir fait allusion à la détresse de la population palestinienne (AFP). Qu’est-ce que ça vous a inspiré comme réaction?
"Je n’ai pas vu ça."
N’avez-vous pas l’impression que, partout, il y a radicalisation des positions des juifs à l’extérieur d’Israël sur la crise au Proche-Orient?
"Un peu oui, bien sûr. Parce que dès qu’il y a attentat terroriste, suicidaire et meurtrier, bien sûr que la communauté juive réagit. Elle réagit avec force, avec angoisse. C’est donc normal que la réaction soit un peu plus, disons, forte que d’habitude. Mais ça ne tourne jamais en haine en tous cas."
Non?
"Non, je n’ai jamais vu encore un visage de haine."
Je sais que vous dites que vous ne les avez pas entendues, mais il y a pourtant eu des huées lors du rallye à Washington. Ça a été rapporté par de nombreux journalistes… Comment est-ce que vous voyez ça, des réactions de ce genre…
"Ce que je ne vois pas, il m’est difficile de le commenter parce que je suis témoin, j’aime être témoin. Un témoin est quelqu’un qui voit. Je suis arrivé après, uniquement pour faire mon petit discours et je suis parti."
Dans un texte paru dans le journal Le Monde, vous avez écrit il y a deux ans que le statut de Jérusalem, c’est quelque chose qui dépasse la politique, étant donné son héritage historique et religieux. Ne croyez-vous pas que le fait d’amener ce genre d’argument maintenant risque de nous mener nulle part? Qu’on pourrait tout simplement vous opposer les arguments du même type de l’autre côté?
"Je veux bien, je veux bien les écouter, les arguments opposés, mais je les connais pas. Pour l’instant, les arguments que je connais, moi, ce sont des arguments historiques qui ne reflètent que mon engagement, ma pensée et ma tradition. Je suis convaincu qu’en face, il y a des chrétiens, des musulmans qui disent autre chose. C’est normal."
Qu’est-ce que vous pensez du discours voulant que les Palestiniens soient victimes d’un génocide? L’emploi de ce terme, ça vous fait réagir?
"C’est indigne de leur part de le dire."
Pourquoi?
"Parce que c’est faux. On n’a pas le droit d’employer des mots à tort et à travers. Il n’y a pas eu de génocide. Génocide veut dire "l’intention de tuer un peuple"."
La position du gouvernement Sharon est actuellement beaucoup critiquée. N’éprouvez-vous pas de la difficulté à concilier pacifisme et votre soutien au gouvernement israélien?
"Pas du tout. Je ne suis pas pacifiste, je suis un homme de paix. Pacifiste, c’est quelqu’un qui ne prend jamais les armes. Moi, je pense qu’il y a certaines guerres qui malheureusement sont inévitables. La guerre contre l’Allemagne hitlérienne était une guerre juste. La guerre contre le terrorisme aujourd’hui (quoiqu’elle ne se compare pas à la première par son ampleur) est une guerre nécessaire, car le terrorisme est une malédiction qui pèse sur ce siècle qui vient de naître. Donc je suis pour le projet du président Bush et je suis pour Israël qui se défend."
Vous qui avez défendu la cause tibétaine par exemple, vous ne vous sentez pas inconfortable de vous ranger du côté du plus fort, d’autant plus que la position de Bush est jugée excessive, répondant aux intérêts des puissants?
"Non, non, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de terroristes. Imaginez si on ne fait rien, les terroristes s’amènent avec des bombes bactériologiques, c’est tellement facile de les transporter… Et demain ce sera Chicago, ce sera Ottawa, ça peut être n’importe où. Il y a des limites qui ont été franchies et nous sommes conscients du danger. Il faut agir, désarmer les assassins futurs et, sincèrement, moi, je pense que c’est une guerre qui malheureusement est à faire. Autrement, je suis contre les guerres, je suis contre la violence et je suis contre la terreur."
Alors pour vous, la résistance des Palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie n’est pas une guerre juste?
"Non parce que les moyens ne sont pas justes. Leur cause peut l’être. Moi, je comprends très bien les jeunes Palestiniens qui veulent un État. Je les comprends, mais les méthodes employées par le mouvement palestinien terroriste comme le Jihad, par exemple… Non. Ils n’ont pas le droit, ils font la terreur. C’est de la terreur suicidaire, assassine."
On parle de violence, de terrorisme, mais alors que faut-il penser des assassinats rapportés à Jénine?
"Non, non. Écoutez, on a commencé avec 5000 morts. Ensuite, c’est devenu 3000 morts, ensuite, c’est devenu 500 et maintenant tout le monde sait que c’est 57 morts. Quarante-sept ou 48 étaient des soldats terroristes armés et Israël en a perdu 23. Alors quand même! Les journalistes devraient faire attention à tout ça!"
Dans quel sens?
"Ça veut dire ne pas dire des choses qui ne sont pas vraies, c’est clair."
Oui, mais d’un autre côté, Sharon refuse aussi qu’on vienne enquêter sur ce qui s’est passé à Jénine…
"Mademoiselle, vous voulez me parler uniquement de ça ou il y a autre chose qui vous intéresse? Parce que moi, bien sûr, c’est un sujet qui me préoccupe, mais ce n’est pas le seul sujet qui me préoccupe…"
Mais j’imagine que je ne suis pas la seule personne à vous avoir interrogé là-dessus…
"Oui, mais deux ou trois questions, ça suffit vraiment. D’habitude, on m’appelle pour m’en poser une ou deux. Là, on revient toujours aux mêmes mots, aux mêmes questions, aux mêmes réponses alors que voulez-vous que je vous dise…"
D’accord, donc une dernière question.
"Allez-y."
Vous avez parlé beaucoup de Dieu dans vos ouvrages. Dans Le Mendiant de Jérusalem, vous vous demandiez si Dieu n’infligeait pas toute cette douleur aux Juifs pour tester la pureté de leur coeur. Où trouvez-vous Dieu dans ce conflit qui n’en finit plus?
"Je ne le sais pas en vérité. Quand il s’agit de Dieu, pour moi, c’est toujours un point d’interrogation: où est-il, que fait-il? Pourquoi son silence, pourquoi sa présence, son absence? Vraiment, je n’en sais rien. Je sais une chose, c’est qu’on n’a pas le droit d’impliquer Dieu dans le meurtre. Qui dit qu’il tue pour Dieu est en train non seulement de tuer Dieu, mais de transformer Dieu en assassin et ça, c’est trop."?