Mode d’emploi d'une occupation : Haro sur une crise
Société

Mode d’emploi d’une occupation : Haro sur une crise

Le 12 mai dernier, le FRAPRU lançait sa Semaine nationale d’occupations. Terrains vacants, bâtiments placardés et ruelles stratégiques ont été pris d’assaut pour dénoncer la crise du logement, promouvoir la construction de logements sociaux et décrier l’attitude des gouvernements. Voir s’est joint à ces squats pour constater comment des militants réagissent à la crise actuelle.

Dans le cadre de la Semaine nationale d’occupations menée par le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) à la grandeur du Québec, l’Association des locataires de Villeray (ALV) s’apprête à donner un grand coup. En cette soirée du mardi 14 mai, une manifestation quitte le local de l’organisme vers un lieu tenu secret. Près de 200 personnes qui se sentent concernées par la crise du logement, surtout des résidents du quartier, emboîtent le pas sous une pluie tenace.

Les quelques artères sont rapidement parcourues, le froid accélérant la démarche. Le cortège de militants s’arrête au coin de Saint-Laurent et de Castelnau. Appuyée sur la station de métro du même nom, l’usine De Castelnau se profile comme un navire échoué. À l’abandon depuis 1988, l’édifice est éventré aux étages supérieurs. Il n’y a que le premier niveau qui a conservé ses murs.

Sous l’oeil attentif d’une dizaine de policiers, deux hommes empoignent des pieds-de-biche et entreprennent d’enfoncer la porte placardée recouverte d’affiches. En deux temps trois mouvements, la brèche est ouverte et environ 80 militants s’engouffrent dans l’immeuble sous les applaudissements des manifestants et les percussions des musiciens.

"Nous voulons rester ici deux jours, lance le coordonnateur de l’ALV, André Trépanier, en scrutant les lieux. Le propriétaire veut construire des condos de luxe à 230 000 $ chacun. Voyons donc, personne ne va acheter ça ici, sur le boulevard Saint-Laurent, en face d’un McDo et à côté des usines! Ça fait des années qu’il retarde la mise en chantier. Ce bâtiment est une honte, il défigure le quartier. En septembre 1999, une partie de la façade s’est même effondrée à quelques mètres des passants! Même les élus municipaux voudraient que ça devienne des logements sociaux. On est ici pour montrer que quelque chose doit être fait."

En place!
À l’intérieur, les nouveaux locataires découvrent leur domicile temporaire. Une grande surface à aire ouverte, remplie de poussière et de morceaux de bois, obstruée par quelques solides colonnes de un mètre de diamètre. Ils seront 37 à passer la nuit sur les lieux.

"Pas loin de 40, c’est assez de monde, soutient la coordonnatrice du Comité logements Bordeaux-Cartierville, Dominique Perreault, venue appuyer ses homologues de Villeray. On n’a pas les installations pour être 150 de toute façon." Son copain et elle sont ici pour dire aux gouvernements que leurs programmes concernant les logements sociaux ne sont pas adéquats. "Ça prend 8000 appartements abordables par année au Québec et 3500 juste pour Montréal", souligne-t-elle. Actuellement, les gouvernements se sont engagés à construire 11 500 logements sociaux sur une période de cinq ans, dont la moitié dans la métropole.

Tout près de l’entrée, deux organisateurs discutent de la suite des événements. "Est-ce qu’on passe à travers la ligne des policiers avec notre matériel ou ils nous arrêtent tout de suite?" s’interroge l’un d’eux. Au même moment, six lumières percent la sombre salle. Les forces de l’ordre, lampes de poche à la main, investissent les lieux. "Ils s’assurent que l’endroit est sécuritaire, explique André Trépanier. Mais nous n’allons pas nous barricader, c’est une occupation ouverte, tout le monde peut entrer et sortir de l’édifice. Ce n’est pas comme à l’îlot Overdale cet été, le contexte est différent."

Dominique Perreault est d’accord avec son comparse. "C’est symbolique ici, mentionne-t-elle. Les gens ont une perception quelque peu négative de l’occupation depuis cet été, mais c’est un moyen comme un autre pour informer les gens." Elle se retourne et pointe les autorités qui montent la garde d’un oeil attentif. "Disons que les policiers aiment plus ou moins ce genre d’action depuis Overdale. Pour eux, c’est du pareil au même, alors que c’est faux."

OK pour la nuit
Après vérifications, le feu vert est donné aux occupants. L’endroit est sécuritaire, et comme le propriétaire n’est pas disponible, les autorités ne peuvent rien faire. "Il y a deux raisons pour être évincé, raconte André Trépanier. Un bâtiment dangereux ou alors un avis d’expulsion du proprio. Mais pour l’instant, tout va bien. Les forces de l’ordre nous tolèrent."

Le camion a finalement fait halte devant la porte. Une chaîne humaine, souriante et dynamique, débarque le matériel. Une vraie excursion de camping. Sacs de couchage, lampes électriques, système de chauffage, tables, chaises… même une toilette chimique sera installée!

L’opération nettoyage se met ensuite en branle. Une cinquantaine de personnes improvisent des balais à l’aide de planches de bois. Des plastiques sont posés sur les centaines de carreaux cassés des fenêtres, "pour empêcher la pluie et le froid". La majorité des occupants s’entendent pour dire que l’endroit est très bien.

"C’est devenu très politique, analyse Charles Brochu, homme dans la trentaine qui a aussi participé à la deuxième phase du squat d’Overdale à l’immeuble Préfontaine. Je veux apporter ma contribution. Si on reste écrasé dans notre coin, rien ne va changer. J’ai été impliqué dans la crise du verglas et je peux vous prédire que le 1er juillet, il y aura plus de monde à la rue que lors de cette catastrophe."

Charles Brochu n’est pas le seul à s’impliquer. Selon le coordonnateur du FRAPRU, François Saillant, plus de 1300 personnes ont participé aux différentes occupations prévues au Québec. Des événements répartis dans les villes en pénurie de logements comme Montréal (taux d’inoccupation à 0,6 %), Québec (0,8 %) et Gatineau (0,8 %), mais aussi dans des agglomérations actuellement dans l’antichambre d’une crise, comme Sherbrooke (2,3 %) et Saguenay (2,4 %). À Montréal, des actions ont été menées dans Hochelaga-Maisonneuve, Parc-Extension, Côte-des-Neiges, Saint-Henri, Centre-Sud et Villeray.

Plus de 800 personnes auraient pris part aux actions dans la métropole. "Et ce n’est pas toujours le même monde qui se déplaçait d’un endroit à l’autre, soutient François Saillant. Les citoyens des quartiers ont bien répondu à l’appel. Même si les conditions climatiques ont été désastreuses et nous ont passablement compliqué la tâche."

Si Dame Nature a fait des siennes, quelques propriétaires en ont fait autant. Ainsi, l’occupation de l’usine De Castelnau s’est vu porter un coup fatal une journée plus tôt que prévu. "Nous n’avions pas pu joindre le propriétaire le mardi, explique le policier du poste 31, dans Villeray, Pierre St-Hilaire. Mais le mercredi matin, il est venu nous voir pour signer les papiers d’expulsion. Il était en beau fusil! Nous avons laissé une heure aux occupants pour libérer l’endroit, soit 45 minutes de plus que le règlement. À midi, tout était fini."

André Trépanier est tout de même content de son premier squat. "Tout a été fait dans le calme et c’était organisé à la perfection, juge-t-il. J’ai même dormi avec quatre couvertures! Mais surtout, aucune confrontation n’a eu lieu avec les policiers. Je crois que le message est passé, même s’il reste du travail à faire."

Reste à savoir si les occupations auront sensibilisé les gouvernements… Rendez-vous en juillet pour la crise!