Je vais vous dire la vérité.
Je me préparais une petite bavure lourde comme du pain noir à propos de la crise du loyer. Un texte qui n’allait probablement pas plaire aux militants du logement social et aux squatteux de Saint-Jean-Baptiste, un texte témoignant de mon scepticisme devant des alarmistes qui veulent faire, sans aucune preuve, du 1er juillet un Kosovo de trois pièces et demie.
Mal m’en prit puisque Michel Chartrand, dans sa plus savoureuse incarnation littéraire, atterrit en sacrant sur mon bureau dans un fracas d’ailes de papier.
Notre Lénine en culottes courtes venait-il m’annoncer l’avènement du socialisme d’État? Les résultats de Mario Dumont dans un nouveau sondage? Ou simplement me rappeler à l’ordre avant que je ne dérive, moi qui peinais de la scie et du marteau dans les années 80 sur les chantiers communautaires des coops d’habitation?
Biographe passionné du vieux sacripan, Fernand Foisy publie cette semaine Sacré Chartrand, un recueil de fleurs d’asphalte tombé (donc) sur mon bureau et qui empeste les grosses vérités bien senties.
J’ai toujours été déçu que personne n’ait reconnu à sa juste valeur la célèbre citation qu’il asséna au beau Bernard Derome un soir d’élections: "Le politically correct, je me le fourre dans le cul." Déçu que ce morceau d’anthologie qui devrait figurer aux côtés du "Veni, vidi, vici" de Jules César ou du "Je pense, donc je suis" de Descartes ne lui ait valu aucune médaille, pas même l’Ordre du Canada.
Mais le pittoresque personnage, on s’en doute, a essuyé tant de figures de style bien grasses sur les moquettes immaculées décorant les officines du pouvoir que le devoir de mémoire m’impose d’en citer ici quelques-unes. À eux seuls, ces aphorismes justifient le bel avenir dont je rêve pour monsieur Chartrand.
Dégoupillons donc la chose pendant que moi, je file me planquer, à l’abri des retombées toxiques.
Voici 10 raisons pour lesquelles Michel Chartrand devrait succéder à Lise Thibault comme lieutenant-gouverneur.
Dix- "L’Assemblée nationale, c’est un cirque peuplé de mouches à feu qui applaudissent tout le temps… si on les mettait dans un bocal, elles ne pourraient même pas éclairer un dessous d’escalier."
Neuf- "Les politiciens: tous des criss de baveux, des prétentieux, des câlisses de parvenus qui nagent dans notre argent, des ostis qui viennent après nous dire de nous serrer la ceinture…"
Huit- "Les partis politiques, au Québec, ils se ressemblent tous. On a le PQ et le Parti libéral. C’est comme une paire de fesses… et au centre, on a le p’tit trou du cul… Dumont. "
Sept- "Le gouvernement fédéral et son ministre Pettigrew, pour aider le monde des affaires, ont volé 18 milliards dans la caisse d’assurance-chômage."
Six- "Les journaux pensent tous de la même manière? Arrête moi ça câlisse! Ils pensent pas, ils nous empoisonnent."
Cinq- "Les Caisses populaires avec 88 milliards d’actif… elles nous donnent la revue Notre-Dame…"
Quatre- "On a un record de taux de suicide au Québec. On gagne pas aux Olympiques, mais on peut tout de même se vanter de quelque chose."
Trois- "Le Québec régresse. Un million de pauvres… crisse! On n’est pas dans un pays sous-développé!"
Deux- "Arrêtez de nous raconter des histoires. Les gouvernements ne gouvernent pas, ils se laissent manipuler par la finance. Rien d’autre."
Et un- "Ce que je dis, ça as-tu du bon sens ou ça en a pas? Ceux qui disent que c’est moi le bouffon, c’est parce qu’ils ont pas le courage d’admettre que les vrais bouffons, ce sont Landry et Charest."
Simplicité, effet de surprise permanent.
Dieu qu’il faut avoir l’habitude du discours entendu de politiciens-gestionnaires et d’économistes qui rêvent d’être invités au Point pour se surprendre de la brûlante et comique franchise de ce Don Quickshot national.
"Le peuple tourne en rond comme un chien qui joue avec sa queue et la mord des fois pour être sûr qu’il est bien vivant", dit Michel Chartrand. Ses partisans hilares lui savent gré d’avoir encore de bien bonnes dents.
Sacré Chartrand
De Fernand Foisy
Lanctôt Éditeur
2002, 121 pages