Droit de Cité : Quel sommet?
Société

Droit de Cité : Quel sommet?

Nous ne sommes plus qu’à une semaine du grand pow-wow municipal. Excités? Ainsi, contre vents et marées, le maire Gérald Tremblay présidera son Sommet de Montréal, promis il y a à peine quatre mois à un spectaculaire ratage. L’opposition salivait déjà devant la perspective d’autant d’écrapou à charogner.FFQu’à cela ne tienne, dès mardi matin, ils seront plus de 1000 "décideurs" à convoyer au Sommet plus de 2500 idées. Elles sont issues des monticules préparatoires, les Sommets d’arrondissements et sectoriels pour les appeler par leur vrai nom, qui ont eu lieu au cours des dernières semaines.

Autant de propositions en si peu de temps, c’est moins le signe d’un bouillant remue-méninges que d’un "ressassage" de vieilles traîneries; les listes d’épicerie étaient prêtes depuis longtemps, depuis toujours, en fait. Le FRAPRU? Plus de logements sociaux. Le Monde à bicyclette? Plus de pistes cyclables. Les amis de Senneville? Plus de Senneville.

Ces 2500 propositions ne seront pas discutées une à une. Sinon, on aurait besoin de quatre ans pour procéder, et on appellerait ça gouverner. Le comité organisateur du Sommet les a plutôt regroupées en cinq thèmes, du genre "Montréal, métropole de création et d’innovation, ouverte sur le monde", où, entre autres, les participants proposeront que Montréal renforce "sa vocation de cité apprenante". Ou encore, "Montréal, métropole solidaire, inclusive et agréable à vivre", dans lequel les "partenaires concernés" par la lutte à la pauvreté devront "bonifier et valider les actions prioritaires suggérées…"

Ne partez pas en exil chez les Papous, amis lecteurs! Nous vous ferons l’économie de ce charabia verbeux et de toc. À cet univers technocrate à peine moins sophistiqué que la théorie des trous noirs, nous opposons du concret, du béton, de l’asphalte, du sang et de la sueur!

À ces cinq thèmes cabalistiques, nous proposons trois événements de l’actualité municipale récente, qui représentent de vrais défis auxquels devraient se frotter les invités du Sommet triés sur le volet. Nous aurions pu en proposer d’autres, comme la crise de la prostitution dans le Centre-Sud, les "trous" dans le réseau de transport en commun, les terrains contaminés dont personne ne réclame la responsabilité… Lors d’un prochain Sommet, peut-être?

Logements – De guerre crasse

Il y a deux semaines, la Ville de Montréal a émis un avis d’expulsion à 14 locataires d’une conciergerie en piteux état de la rue de Bullion. Sous ordre municipal, les mal logés n’avaient que quatre jours pour paqueter leurs petits, et se trouver un nouveau toit, après quoi les cols bleus barricaderaient l’édifice.

Pourtant, pendant sa cabale électorale de l’automne dernier, Gérald Tremblay avait promis que jamais son administration n’évincerait des locataires avec autant d’empressement. Six mois plus tard, l’histoire se répète, et comme ses prédécesseurs, l’administration Tremblay s’avoue soudainement impuissante devant le phénomène, mais promet d’y trouver un remède.

Pendant le Sommet? Le document de présentation est étonnamment muet sur le sujet. Mais, lors du sommet sectoriel sur l’habitation, les participants avaient fait remarquer que le problème des logements insalubres est important. Environ 100 000 Montréalais habitent dans des taudis tiers-mondistes, souvent loués à prix de châteaux. Les participants ont conclu que la réglementation sur la sécurité et la salubrité des habitations est largement suffisante; c’est son application qui fait défaut. Un règlement de fer, porté par une main morte… Mais ces constatations n’ont pas trouvé écho aux oreilles des organisateurs du Sommet. C’est un comité hors Sommet qui a été chargé de trouver des solutions, mises sur pied dans la hâte, pendant la crisette médiatique qui a suivi l’avis d’expulsion.

En attendant, des centaines de Montréalais pourraient être forcés de griller leurs hot-dogs sur la rue, le 1er juillet (ce qui est interdit…), faute d’avoir trouvé un logement avant la fin traditionnelle des baux. La Ville a annoncé cette semaine qu’elle présenterait son plan d’urgence à la mi-juin. Mais toujours en attendant, on s’occupera d’eux, au Sommet. Comment? En déterminant "les actions à entreprendre pour offrir suffisamment d’unités d’habitation à toutes les clientèles, et notamment, des logements abordables de même que des logements adaptés à des besoins particuliers". Vaste programme…

Même si les "partenaires" du Sommet s’engageaient à construire 25 000 logements sociaux, ça ne représenterait toujours que 5 % de plus de logements à Montréal. Si Québec consent à desserrer l’étau de la Régie du logement sur le contrôle des loyers, les promoteurs immobiliers devront retenir ceci: le revenu annuel moyen des locataires à Montréal est de 21 189 $. Bref, comme le disait François Saillant, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), ce n’est pas le marché de la location qui n’est plus rentable, ce sont les locataires!

Pic-poil sur le bobo! Déjà, la Régie n’exerce aucun contrôle sur les loyers des immeubles neufs. Ils peuvent louer à 800 $, 1000 $, voire 1200 $ par mois si ça leur chante. Pourquoi n’en construisent-ils pas? Parce qu’ils ne trouvent pas preneurs à ces prix. Et il y a une telle demande pour les condominiums et les maisons unifamiliales (résultat d’une économie qui roule et de taux hypothécaires à un plancher historique), pourquoi un promoteur s’empêtrerait avec un immeuble à logements, et les responsabilités qui viennent avec? Quand il est assuré d’encaisser le profit d’une vente rapide?

Démocratie – Le règne des baronneries

À LaSalle, la conseillère Oksana Kaluzny a voté en faveur de la nomination de son frère Eugène, un important gestionnaire immobilier réputé pour ses accrocs aux règlements de zonage, au comité consultatif d’urbanisme (CCU) de l’arrondissement. Même si elle savait que son frère n’habitait pas LaSalle, comme l’exige la loi pour siéger au CCU.

Ce que cet événement a mis au jour, ce n’est pas la force des liens familiaux. C’est l’absence complète d’opposition dans les arrondissements issus des anciennes villes de banlieue. En créant les conseils d’arrondissement, le gouvernement ne les a pourvus que d’un très petit nombre de conseillers.

Pour un développeur à la recherche d’une dérogation au zonage, ou un fournisseur de services en manque de contrats, ça fait pas mal moins de monde à convaincre. À Anjou, par exemple, il y en avait 13 avant la fusion. Il n’y en a plus que trois aujourd’hui.

Imaginez maintenant quand ces trois conseillers sont tous du même parti. Que le directeur de l’arrondissement est un de leur ancien acolyte du temps de Ville d’Anjou. Vous avez le portrait de tous les arrondissements de banlieue. Tous les arrondissements, à part les neuf anciens quartiers montréalais, sont le territoire exclusif de l’Équipe Tremblay, sauf à Westmount, où ce sont trois indépendants, néanmoins d’anciens complices. Ils votent des budgets, décident des changements au zonage, attribuent des contrats, sans le regard d’une opposition.

À moins de multiplier le nombre de conseillers, ce qui apparaît peu probable, doit-on réduire les pouvoirs des arrondissements? Doit-on leur imposer un oeil du conseil municipal dans leurs affaires? Au Sommet, on préférera pérorer sur la place des femmes et des communautés culturelles dans la politique, genre. Bref, exaucer les voeux pieux, pour éviter une chicane de famille en public.

Bibliothèques de quartier: prendre du volume

Scandale à Westmount cet hiver: une certaine plèbe montréalaise envahit la bibliothèque et dérange la quiétude habituelle des lieux. L’arrondissement de Westmount, au nom de son autonomie, interdit aux non-Westmountais l’accès à son temple littéraire.

Pourquoi les Montréalais accourent-ils vers la bibliothèque de Westmount? Parce que les bibliothèques de l’ancienne ville de Montréal sont, au mieux, des stands à journaux, au pire, des librairies de Pharmescroc Jean Coûteux. Elles ne respectent ni les normes québécoises ni les normes canadiennes en la matière. Que ce soit le nombre de titres, les dépenses par habitant ou les heures d’ouverture, tous les indicateurs placent les bibliothèques de l’ancienne Montréal dans les derniers rangs.

Aujourd’hui, elles sont devenues des bibliothèques d’arrondissement. Or, les arrondissements de l’ancienne Montréal n’ont pas plus d’argent que l’ancienne ville. Seul un réinvestissement, à même les goussets de la riche banlieue, pourrait remettre un peu d’équité.

Au Sommet, dans l’atelier "Montréal, métropole démocratique, équitable et transparente", il devrait être question des ressources dévolues aux arrondissements. Pour le moment, de grandes iniquités existent: un résidant de Dorval reçoit quatre fois plus de budget qu’un autre de Notre-Dame-de-Grâce.

Mais il ne faut pas trop attendre du Sommet. Gérald Tremblay a répété et répété que son administration ne puisera jamais à même les ressources des riches arrondissements pour renflouer les pauvres, comme Côte-des-Neiges et Montréal-Nord. Pourquoi le ferait-il? La très grande majorité de ses conseillers sont issus de ces arrondissements, qui sont demeurés jaloux de leurs privilèges. Les histoires des fondations privées qui se sont appropriées des biens publics avant les fusions sont là pour nous le rappeler. C’est probablement pour cette raison qu’au Sommet, il ne sera question que des "modalités d’allocation des ressources" aux arrondissements. Avec ou sans chausson?