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Skate culture : Planche contact
Le retour de l’été, c’est aussi celui des amateurs du skateboard. Nuisance pour certains, fabuleux spectacle pour d’autres, la pratique de ce sport à Québec ne date certes pas d’hier et ne risque pas de s’éteindre dès demain. Regard sur un sport et une philosophie.
David Desjardins
Dans le parc Saint-Roch, le grondement des roues d’une petite armada de skateboards rompt avec le silence ambiant. De toute part, de jeunes hommes au profil famélique s’évertuent à peaufiner leurs performances, à expérimenter de nouveaux mouvements, s’élançant dans les airs avec la témérité de cascadeurs répondant à leur pulsion de mort.
Un combat contre la gravité, la loi et l’opinion publique qu’ils mènent avec ferveur, réclamant la propriété des rues et des lieux publics qu’ils investissent sans crier gare, imposant leur présence avec style et irrévérence. À Québec, impossible de ne pas les croiser: de la place D’Youville à la place du Marché à Sainte-Foy, ils règnent en maîtres sur les aspérités géographiques d’un terrain artificiel, et ce, depuis maintenant près d’une vingtaine d’années. Une présence que la pérennité marque d’un sceau d’authenticité au delà des modes, mais qui semble avoir usé la patience de détracteurs qui n’y voient que pollution urbaine. Les skateboarders sont-ils les héros de nos villes ou une nuisance publique?
Historique
Dans la myriade de sports extrêmes que la mode actuelle a propulsé au firmament des nouveaux sports professionnels, le skateboard apparaît comme élément fondateur. Dans les faits, son histoire remonte jusqu’au début du siècle dernier où des surfeurs en manque de vagues auraient modifié des patins à roulettes, les fixant à des bouts de bois, inventant ensuite, au tournant de la cinquième décennie, le système de support de roues communément appelé trucks. Une paternité contestée – ne le sont-elles pas toutes? – qu’on attribue au propriétaire d’une boutique de surf en Californie, Bill Richards, qui aurait conçu le skateboard tel qu’on le connaît et dont la première vague de popularité remonte aux années 1960, âge des premières compétitions et début d’une évolution incessante des performances jusqu’aux acrobaties aériennes d’aujourd’hui. Mais dès 1965, l’American Medical Association pointait du doigt ce sport comme étant l’une des pires menaces à la bonne santé des jeunes, considérant les dangers inhérents à sa pratique. La mode du skateboard mourrait pour la première fois.
À travers les âges, la planche n’a d’ailleurs cessé de disparaître pour mieux renaître, ayant le plus souvent radicalement évolué pendant ses périodes les plus sombres. "Au début des années 90, il n’y avait presque plus personne qui faisait du skate à Québec", relate Sico, sorte de tête dirigeante de ULC Skateboards, compagnie de Québec qui vend maintenant ses propres planches, ses vêtements promotionnels et produit ses films depuis 1994. "Pourtant, c’est à ce moment-là que nous autres on travaillait le plus fort à se perfectionner, à faire nos premiers tournages. Aujourd’hui, il y en a partout et les plus jeunes sont vraiment impressionnants. Ils sont vraiment forts", insiste-t-il. Les statistiques lui donnent d’ailleurs raison: aux États-Unis, un adolescent sur quatre pratiquerait le skateboard.
Autour de Sico, quelques vingtenaires à l’allure d’ados affublés de casquettes à l’envers et de pantalons surdimensionnés reviennent rapidement et sans nostalgie sur le passé du skateboard à Québec, se souvenant de la défunte Boutique du Skate, d’Emmanuel Krebs -jadis une vedette locale de la planche – et de ceux qui l’ont précédé. Parmi les skateux rassemblés, le vétéran Nic Côté se souvient: "Pour plusieurs de mon âge, ça a commencé avec un film, Police Academy 3 ou 4, dans lequel il y avait des scènes de skate: moi, ça m’avait vraiment fait tripper de voir ça. (…) Ici, il y avait les pionniers comme Mig [Miguel Marco], Danilo [Percich] et [François] Chabot, des gars qu’on voyait déjà dans les rues, mais leur démarche était moins technique, moins axée sur la performance. En fait, à cette époque-là, le skateboard était un sport très différent d’aujourd’hui. Puisque les endroits tolérés pour faire du skate étaient assez rares, alors on s’est tous connus à la piscine qu’ils avaient construite dans le Vieux-Port pour Québec 84 [qui une fois vidée constituait un lieu de prédilection pour la pratique en l’absence de rampes extérieures], et au skatepark de la Boutique du Skate un peu plus tard." "C’est d’ailleurs là que ULC est né", ajoute Sico.
Philosophie et mercantilisme
En ce samedi de mai, ils sont des dizaines à défiler dans le parc Saint-Roch, certains se contentant d’observer Nic, Tony et Smart, tous membres de ULC, d’autres dévalant les escaliers sur leur planche, escamotant chaque palier d’un mouvement aérien dont la simplicité n’est évidemment qu’apparente. Certains réussissent, d’autres échouent. Chacun d’entre eux arborant ses cicatrices comme un militaire ses galons, montrant que leur sport en est un de patience, de nombreuses frustrations et de blessures, d’un perfectionnement incessant aux allures d’éternel recommencement afin de vaincre les immuables lois de Newton.
"Leur philosophie est celle de l’action, commente Jean-Étienne Poirier, anthropologiste et auteur de Hopupu, un essai sur les sports de glisse. Tu ne verras pas les gars discuter de matériel trop longtemps. Oui, d’accord, ils parleront bien des types de gommes de leurs roues ou des trucs du genre, mais leur statut au sein du groupe se définit dans le geste, dans la réalisation d’une figure, dans l’accomplissement. Dans un monde où il est trop facile de s’en sortir avec des paroles, eux préfèrent agir."
Une philosophie cependant récupérée par un marché florissant qui exploite cette rébellion à coups de publicités mettant l’accent sur une marginalité qui prend des allures corporatives. Mais, comme le souligne Poirier, ce sport a vite fait de départir les vrais des faux: "C’est vrai, tu ne peux pas faire semblant", acquiesce laconiquement Côté avant de se tourner vers ses comparses amusés par l’analyse extérieure qui est faite de leur sport. Pas de place pour la théorie dans le skateboard, tout se déroule sur la planche, la caméra vidéo agissant comme témoin de leurs actions, le groupe d’individus comme seul juge de la qualité des performances.
Skateboarding is not a crime… anymore
Incertains des bénéfices ou inconvénients qu’amène une popularisation à grande échelle de leur sport, les skateboarders affirment toutefois qu’ils sont moins harcelés par les gardiens de l’ordre qu’ils ne l’ont déjà été. Elle n’est pas si loin, l’époque où la force constabulaire réprimait à coups d’amendes la pratique du skate dans les rues et lieux publics de Québec. "Il y a une telle prolifération d’amateurs de skateboard et de patin à roues alignées que nous devrions passer nos journées à courir après ces gens-là si nous voulions faire respecter la loi à la lettre. Nous faisons donc preuve de tolérance", confirme Jean Mainguy, aux relations publiques de la police de Québec.
Les jeunes peuvent donc ranger leurs t-shirts sur lesquels ont peut lire "skateboarding is not a crime". Une affirmation accrocheuse lancée par des Américains exaspérés par le harcèlement policier, une situation à reléguer au domaine du passé pour les gens d’ici. Enfin pour l’instant. On pourrait cependant améliorer la situation et désengorger les lieux publics en créant des parcs qui soient dignes de ce nom, selon certains des skateux présents. Parmi eux, Guy Bernard déplore que les fonds investis dans la construction de parcs tels que celui qui surplombe la place D’Youville l’aient été sans qu’on consulte les principaux intéressés: "Les skateparks, c’est plus compliqué qu’on pense. Mais les gens qui les construisent profitent de l’ignorance des élus municipaux et des gens responsables de ces structures pour leur refiler quelque chose qui n’est pas à la hauteur du prix qu’ils exigent. S’ils voyaient ce qui se fait ailleurs, ils comprendraient… À commencer par les matériaux qu’ils utilisent… J’ai déjà essayé d’en parler à la Ville, mais ils n’ont pas voulu m’écouter."
Une problématique qui ramène les jeunes à la rue, faisant toutefois réaliser à ces skaters-cinéastes que sous leurs yeux se révèle un singulier tableau de fond pour leurs tournages: "On dirait que les architectes qui conçoivent le design de la ville l’ont fait en pensant au skate", lance Sico. "Ouais, c’est tellement beau en plus, c’est le berceau de l’Amérique, man! Même les Montréalais sont jaloux de nos décors", conclut Côté.
Héros des villes
Dans un monde gris d’adultes apathiques auquel les skateboarders ne voient visiblement pas d’intérêt, leurs planches sont celles du salut et de l’affranchissement, leur louvoiement fluide entre les voitures bloquées par les embouteillages se faisant la métaphore de leur état d’esprit. Leurs zigzags sur le bitume ne sont en fait qu’une affirmation de leur position, celle d’une marge qui ne réclame rien, si ce n’est qu’une certaine reconnaissance. Le respect. Allez donc les voir surfer sur l’air, braver la mort, rompre avec le rythme hypnotisant de la ville: ils vous convaincront qu’ils sont bien autre chose que de petites frappes, mais de véritables héros urbains.